Le mois de mars est arrivé. Les journées allongent et la neige fond au soleil. Au Québec, depuis quatre cents ans, c’est à ce moment de l’année que de gais lurons se dirigent vers la forêt pour entailler les érables. Ce geste séculaire, qui est devenu une véritable fête, la fête des sucres, est au cœur de notre identité québécoise. Les produits de l’érable font partie intégrale de notre culture et aussi de notre renommée.
Or, une menace plane sous les racines de nos érables à La Présentation, comme en bien d’autres endroits au Québec. Le puits de gaz de schiste du rang Salvail, qui n’est pourtant pas en production, laisse toujours s’échapper du méthane des profondeurs de la terre. Bien sûr, Gastem et sa partenaire, la compagnie albertaine Canbriam Energy, ont tenté de colmater les fuites au cours de l’été 2011 mais sans succès car si Gastem avait réussi, sans doute l’aurait-elle crié sur tous les toits et elle n’aurait pas hésité à brandir en conférence de presse un document émis par le Ministère de l’environnement pour démontrer leur réussite. Or il n’en est rien, et l’absence d’information depuis ce temps est fort inquiétante.
Dans un récent article de La Presse [1], Marie-Michèle Sioui nous dit qu’après plus de deux ans et demi de tergiversations pour empêcher les citoyens de savoir ce qui a été injecté sous nos pieds, les gazières ont finalement remis divers documents dans lesquels on retrouve cités un grand nombre de produits et substances. «Arsenic, mercure, plomb, uranium et nitrites font partie de ces produits, à l’instar des 64 000 litres d’acide chlorhydrique…» est-il indiqué dans l’article. La journaliste ne relève pas l’ensemble des substances mais si l’on ne considère que ceux mentionnés, qui peut prédire les réactions chimiques qui peuvent avoir lieu au fonds du puits, là ou règne une température et une pression élevées?… Tout étudiant en chimie vous dira que des produits chimiques peuvent réagir pour en produire de nouveaux et que ceux-ci ont en général des propriétés souvent très différentes des produits originaux. Qui pourrait donc connaître la toxicité de ce que l’on retrouve dans les puits des gazières?…
À La Présentation, pour autant que l’on puisse en savoir quelque chose, le méthane et tous les autres produits chimiques qui furent employés lors du forage fuient du sol dans un rayon de plus de 20 mètres (donc 125 pieds de diamètre) autour de la tête de puits. Ça fait beaucoup de «cochonneries» qui se promènent dans le sol et qui menacent la nappe phréatique. Quelles en sont les conséquences pour la santé publique et, plus particulièrement en cette saison, pour la qualité du sirop d’érable qui sera produit? De fait, si l’eau d’érable coule généreusement dans les seaux ou les tubulures, c’est parce que les racines de nos érables s’abreuvent dans l’eau du sol et du sous-sol…
On serait donc en droit de demander à Canbriam Energy, et à toutes les autres compagnies gazières, si les racines des érables peuvent absorber ces nouveaux contaminants chimiques. On a ici un premier indice… Michel Labrecque, de l’Institut de recherche en biologie végétale au Jardin Botanique, utilise des saules pour décontaminer les sols des usines désaffectées de leurs métaux lourds et autres produits chimiques. On pourrait sans doute conclure qu’il est possible que certaines substances chimiques pénètrent dans les racines et montent dans la sève des érables. Heureusement, on ne fait pas de sirop de saule!
On pourrait aussi demander à ces compagnies et à leurs sous-traitants si la sève contaminée peut agir sur le métabolisme des érables. Est-ce que la sève contaminée peut, à terme, modifier la photosynthèse des feuilles? ou encore hypothéquer les mécanismes de défense de l’arbre?…
C’est inquiétant aussi d’imaginer que ces produits chimiques peuvent se retrouver dans la «panne à bouillir» avec l’eau d’érable. Et là, ça se complique. Le processus d’ébullition concentre les sucres présents dans la sève car il faut entre 35 et 40 litres d’eau d’érable pour faire un litre de sirop. De plus, la chaleur accélère la plupart des réactions chimiques. Or, on retire le sirop du feu à environ 104°C, la tire d’érable à 114°C et le sucre dur à 118°C. Est-ce que les produ its chimiques présents dans la sève pourraient être 35 fois plus concentrés dans le sirop, comme cela est le cas pour les sucres? Pourraient-ils être dégradés? Une question se pose : quelle est la composition finale du sirop d’érable? Du sucre d’érable? En absence de réponse, il existe un sage principe: le principe de précaution…
On mentionne dans la brochure «De la palette à la fourchette» de l’an dernier que 17 % de la production mondiale des produits de l’érable provient du Vermont et des États Américains limitrophes; environ 7% de la production mondiale des produits de l’érable provient de l’Ontario et des provinces maritimes; et 76% provient du Québec. Il y a là une industrie et un patrimoine unique à protéger. Fait étonnant : la majorité des régions productrices de sirop au Québec sont assujetties à des permis et à des travaux d’exploration des gazières et il suffit de consulter la carte des permis du Ministère des Ressources naturelles du Québec pour s’en convaincre. Est-ce que l’ensemble de l’industrie acéricole québécoise et des petits producteurs est consciente des dangers que représente l’exploration gazière pour leurs produits? Cela me semble très important et mériterait une grande attention.
Pour le moment, il n’y a qu’un puits à La Présentation et il fuit. L’industrie du gaz projette quant à elle de forer 20 000 puits dans la vallée du Saint-Laurent. Combien laisseront échapper des produits toxiques dans 20 ans? dans un siècle?
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[1] La Presse, 9 mars 2013. Gaz de schiste : cocktail chimique utilisé pour les forages. http://affaires.lapresse.ca/economie/energie-et-ressources/201303/08/01-4629270-gaz- de-schiste-cocktail-chimique-utilise-pour-les-forages.php
Québec : Du gaz dans ton sirop
Les dangers du gaz de schiste dans les érablières
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