Ce 13 septembre 2009, la tenue d'une commémoration du 250e anniversaire de la bataille des plaines d'Abraham est importante pour l'ensemble des Canadiens, et ce, à plus d'un titre. En février dernier, le révisionnisme sécessionniste aura su, à coups de menaces de violence non dénoncées, nous faire oublier l'importance de rappeler le caractère fondateur de cet épisode historique.
La position des indépendantistes sur la reconstitution de la bataille des Plaines se résume à une sempiternelle rengaine selon laquelle nous ne serions qu'un peuple de «vaincus» et d'«opprimés», les «victimes» d'un «complot anglo-saxon» menaçant notre identité et notre survie en tant que Français d'Amérique. Toute référence à notre «défaite» ne peut qu'être «humiliante» et «malveillante». En filigrane, ils idéalisent le régime totalitaire, monarchique et religieux d'avant 1759, et pas du tout la France républicaine de 1789. Le drapeau québécois rappelle étrangement ces idéaux réactionnaires: une croix avec comme toile de fond les couleurs et l'emblème de la royauté française de l'époque.
Même en faisant abstraction des manoeuvres d'intimidation (lesquelles furent brutales à un point tel qu'elles ont eu raison de l'événement projeté), cette position est tout simplement revancharde et passéiste. Plus troublant encore, elle est cautionnée par les leaders indépendantistes, qui vont jusqu'à se réjouir d'avoir provoqué l'annulation de l'événement.
En ayant recours à une telle déformation de l'Histoire, ils admettent que leur projet est toujours fondé sur une incompréhensible nostalgie du bon vieux temps de la race blanche, catholique et française en terre d'Amérique... Ils marquent ainsi à nouveau le caractère résolument identitaire et exclusif de leur démarche opposant toujours Anglais contre Français. Une telle rhétorique n'a pourtant plus sa place dans le Canada d'aujourd'hui. Pourquoi encore s'y réfugier?
Oubli de l'Histoire
Qui plus est, pour la soutenir, il faut nécessairement oublier de grands pans de l'Histoire. Déjà au moment de la guerre de Sept ans, les colons français vivant ici s'identifiaient uniquement comme «Canadiens», ayant depuis longtemps perdu tout réel attachement pour la «mère patrie». À ce titre, le joug du Régime français pesait lourd sur leur vie quotidienne, qui était extrêmement difficile. On oublie l'étonnante résilience de ces colons qui devaient composer avec l'incurie de la monarchie française et la domination du clergé catholique en l'absence d'un État de droit. Comment peut-on encore aujourd'hui avoir la nostalgie d'une société si arriérée?
Les nationalistes taisent aussi le fait que le régime de droit criminel anglais de l'époque reconnaissait l'habeas corpus dans le cas de toute détention injustifiée. Pourquoi ne pas plutôt célébrer ce progrès et la fin de l'arbitraire du Régime français?
Un tel détournement de l'Histoire a aussi l'habile «avantage» d'oblitérer 250 ans de coexistence et de métissage entre autochtones, francophones, anglophones et nouveaux arrivants au Canada. Pendant la même période, la seule guerre de Sécession aux États-Unis avait fait en quelques années plus d'un million de morts.
L'argumentaire des indépendantistes refuse délibérément de tenir compte de la reconnaissance du français et du droit civil par les autorités britanniques. Le gouverneur Murray, dès 1759, s'associait aux Canadiens pour la gouvernance et acceptait le bilinguisme comme modus operandi.
De même, il occulte les immenses progrès accomplis depuis grâce aux combats communs des Canadiens de toutes origines pour le gouvernement responsable, la démocratie et l'indépendance du Canada. La reconnaissance constitutionnelle des droits et libertés dans la Charte canadienne des droits de 1981 fait aujourd'hui la fierté de l'immense majorité des Canadiens de tous horizons.
Comment ignorer la progression de la langue française au Québec et les bienfaits des protections constitutionnelles de la Charte au profit des minorités linguistiques, notamment en Acadie, au Manitoba et en Ontario, de même que dans les institutions fédérales, toutes réalisées dans le respect mutuel et dans le cadre de la Constitution canadienne?
Tout cela et bien d'autres progrès qu'aucun retour nostalgique au Régime français ne saurait remplacer. L'idée que de ne pas parler de l'événement puisse contribuer à «réparer» l'«humiliation» de la «Conquête» (alors qu'il s'agit en fait d'une cession) n'est qu'asservissement intellectuel. Pour paraphraser Tocqueville, le nationalisme a fréquemment pour effet d'endormir les esprits les plus critiques, lesquels sont pourtant impératifs à la survie et à l'épanouissement de la démocratie.
Pierre Falardeau et ses disciples, porte-étendard extrémistes de l'idéologie nationaliste au Québec, prétendent encore en 2009 que les «Anglais» nous «oppriment», 250 ans après nous avoir «conquis» et qu'ils seraient notre «ennemi» de par leur seule identité ethnique. C'est là une idée absurde et nocive que les tenants de la pensée unique ne dénoncent pas, s'accommodant de ce «conflit» pour justifier la victimisation et l'opposition «eux-nous» indispensables à leur théorie de pseudolibération.
Or la réalité, fort heureusement, est tout autre. Il est grand temps de se le rappeler.
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Bernard Amyot, Avocat et ancien président de l'Association du Barreau canadien
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