Le texte de Gilles Bibeau et Lorraine Guay, appuyé par un certain nombre d’intellectuels d’ici et d’ailleurs, se sert de la condamnation (justifiée) par la communauté internationale de la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis pour s’en prendre à la légitimité même de l’État d’Israël. Il est inutile de revenir sur chacune de leurs affirmations. Rappelons néanmoins quelques éléments essentiels.
1. Il est tout à fait possible de se dire sioniste et de s’opposer à l’occupation des territoires palestiniens, comme le font la plupart des sionistes de gauche. 2. Le sionisme consiste en une idée très simple : créer un État-nation pour le peuple juif sur la terre d’Israël/Palestine. Certes, le sionisme repose sur une mythologie nationale au même titre que tous les nationalismes. Cependant, nier que cette terre constitue le berceau de l’identité juive est tout simplement grotesque. 3. Bien sûr, le sionisme a commis son lot de crimes, tout comme les autres nationalismes d’ailleurs, mais la caricature qu’en font Gilles Bibeau et Lorraine Guay est navrante.
Au tournant du XXe siècle, les Juifs étaient un peuple sans patrie et persécuté. Ils se trouvaient donc dans un « état de nécessité » (que tous les systèmes juridiques du monde moderne reconnaissent) qui justifie certains actes qui sont répréhensibles en temps normal, en l’occurrence, accaparer une partie du territoire habité par un autre peuple. S’ils ne l’avaient pas fait, 500 000 Juifs qui ont pu se réfugier en Palestine avant la Seconde Guerre mondiale auraient probablement péri. Il ne s’agit pas de nier l’injustice faite aux Palestiniens, mais de rappeler que le conflit israélo-palestinien oppose deux légitimités.
Une affirmation excessive
Quant aux intentions malicieuses du mouvement sioniste, qui aurait planifié le nettoyage ethnique des Palestiniens dès ses débuts, force est de constater que cette affirmation est aussi excessive que le reste du texte. L’idée d’un État binational, défendue aujourd’hui par l’extrême gauche propalestinienne, est à l’origine une idée sioniste. Ben Gourion lui-même, le principal père fondateur de l’État d’Israël, l’a défendue avant d’y renoncer dans les années 30, car les nationalistes palestiniens craignaient que les Juifs y deviennent majoritaires.
Mais pour en revenir au nettoyage ethnique de plus de 700 000 Palestiniens pendant la première guerre israélo-arabe, rien ne le justifie. Cependant, n’oublions pas que ces expulsions eurent lieu au cours d’une guerre déclenchée par les Palestiniens eux-mêmes afin d’empêcher la mise en place du plan de partage des Nations unies. Cette guerre tua 1 % de la population israélienne et en déplaça un autre 10 %.
Rappelons-nous aussi qu’à l’époque, toute population hostile (ou perçue comme telle) était systématiquement expulsée ou réprimée. On n’a qu’à penser aux plus de dix millions d’Allemands chassés d’Europe de l’Est à la suite de la Seconde Guerre mondiale, aux quinze millions de musulmans et d’hindous forcés à quitter l’Inde et le Pakistan à la fin des années 40, aux Juifs chassés d’un grand nombre de pays arabes, etc. Citer un crime en le dissociant de son contexte est un procédé très douteux.
Enfin, les auteurs se trompent en affirmant qu’Israël n’a jamais négocié de bonne foi. En réalité, deux gouvernements israéliens ont accepté les « paramètres Clinton », prévoyant, entre autres, l’évacuation de la quasi-totalité de la Cisjordanie, soit Éhoud Barak en janvier 2001 et Éhoud Olmert en septembre 2008. Malheureusement, les négociations ont avorté, car ces deux premiers ministres ont perdu le pouvoir prématurément.
Réclamer la destruction
Il serait cependant important de rappeler que les attentats du Hamas et de ses alliés (le Hezbollah, le Djihad islamique, etc.) ont décimé le camp de la paix israélien. Au risque d’en surprendre certains, il est difficile de convaincre les Israéliens d’accepter un compromis territorial alors qu’ils sont entourés de groupes armés qui réclament leur destruction.
Cela justifie-t-il pour autant l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie ? Absolument pas. C’est justement la raison pour laquelle la gauche sioniste milite non pas pour la fin du sionisme (c’est-à-dire le démantèlement de l’État d’Israël), mais bien la création d’un État palestinien. En effet, ne nous trompons pas. Le but de la campagne de « Boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS) de l’État d’Israël n’est pas la création d’un État palestinien, mais bien la liquidation de l’État d’Israël à travers le « droit au retour » illimité des réfugiés palestiniens. Cela aurait pour effet de réduire les Juifs au rang de minorité au sein même de l’État hébreu. Cette revendication est absolument illégale, car les résolutions onusiennes, qui reconnaissent certes la légitimité des revendications des réfugiés palestiniens, reconnaissent également à Israël le droit d’exister en tant qu’État juif. Il faut donc trouver un juste équilibre entre ces droits qui s’opposent, ce qui implique la nécessité de trouver un compromis sur la question des réfugiés — ce que BDS rejette.
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