Privilégier les mots accentués

Une façon d’affirmer la présence du français et de le distinguer de l’anglais envahissant

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Tribune libre

     Notre « Celine » nationale sait sûrement que la grande soprano Renée Fleming [1], qui a mené une brillante carrière internationale, a toujours tenu à conserver l'accent aigu greffé au prénom que lui ont donné ses parents. Et elle est États-Unienne.


     L’une des manières d’affirmer la présence du français dans le monde et de le distinguer de l’anglais envahissant est de privilégier l’utilisation des mots accentués. Par exemple, la dénomination “Détroit”, une ville importante aux États-Unis, est donnée avec l’accent dans Le Petit Larousse illustré [2] et dans Wikipédia [3]. Selon l’encyclopédie libre, « son nom provient d'ailleurs du mot français “détroit”, en référence au passage aquatique naturel entre les lacs Sainte-Claire [4] et Érié [5] » [6].


     Depuis toujours, au Québec, nous prononçons “Détroit” à la française et non à l’anglaise (heureusement, parce que ça ressemble à “destroy”). Je suppose qu’il en va de même en France (dans les milieux branchés, je ne saurais dire). Employer “Détroit” et le prononcer à la française, c’est aussi rendre hommage aux “Nouveaux-Français” qui ont fondé cette ville en 1701 [7]. (Il en va de même de Bâton-Rouge et La Nouvelle-Orléans – respectivement Baton Rouge et New Orleans en anglais –, en Louisiane.) [8]


     Mais cela n’empêche pas plusieurs dictionnaires de privilégier “Détroit” sans l’accent. Ainsi, Larousse, qui devrait accorder ses violons, donne dans son encyclopédie en ligne : « Detroit. Ville des États-Unis (Michigan), sur la rivière de Detroit unissant les lacs Érié et Saint-Clair. » [9] Nous avons donc un “Érié” francisé, mais deux “Detroit” et un “Saint-Clair” (qui a perdu deux “e” dans l’opération) anglicisés. Bravo ! (Je fais remarquer en passant que Le Devoir refuse toujours d’accentuer “Detroit” dans ses pages [10], alors que c’est un journal nationaliste.)


     Donnons un autre exemple : “Taïwan”, l’île chinoise rebelle. Des dictionnaires l’écrivent avec tréma, d’autres sans. Ainsi, Le Petit Larousse illustré [11] l’écrit avec tréma, mais, bizarrement, pas l’encyclopédie Larousse en ligne [12], qui l’écrit comme les anglo-saxons [13]. Il est heureux que nous préférions “Pékin” à “Beijing”. À mon humble avis, si la trace d’un toponyme francisé et accentué est trouvée dans un ouvrage de référence, son emploi devrait être généralisé dans la francophonie, à moins qu’il ne soit vieilli (comme Léopol – Lviv [14] – en Ukraine).


     Il devrait en aller de même pour les acronymes et sigles. L’auteur d’une lettre publiée dans Le Devoir [15] se dit chercheur en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). La rédaction du journal a pris la décision de biffer l’accent aigu sur le “E” de l’acronyme, même si nous prononçons “CÉRIUM” et que l’organisme l’écrit lui-même ainsi sur son site Web [16].


     Dans Le Petit Larousse illustré [17], nous lisons “ENA” (École d’administration publique) [18] et INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) [19]. La raison ? L’Académie française refuse d’accentuer les acronymes et sigles [20]. Idem pour le dictionnaire de l’Office québécois de la langue française (OQLF) [21] et celui de l’Université de Sherbrooke [22]. C’est ainsi que nous mettons en rade l’une des richesses du français et singeons bêtement l’anglais. Dans le dico de OQLF on nous montre à prononcer syllabiquement “ALENA” [23] ; pourtant, si l’accent avait été conservé, cela n’aurait pas été nécessaire.


     Marie-Éva de Villers écrit dans La grammaire en tableaux : « Les acronymes conservent les accents. ÉNAP (École nationale d’administration publique). » [24] Voilà ! J’ajouterais personnellement : surtout lorsqu’ils concourent à bien les prononcer. Si nous avions pris l’habitude d’écrire correctement le sigle “OCDE” (Organisation de coopération et de développement économiques [25]), nous prononcerions correctement ses lettres : O[Cé][Dé]É, ce qui en aurait fait un mot pas mal plus euphonique.


     Pour leurs succès en affaires, les « anglobalisateurs » rêvent d’un monde uniforme, sans aspérités, pour tout dire anglo-saxon, et toute action y concourant est bienvenue. Les francophones qui leur donnent franco ce qu’ils veulent sur un plateau d’argent n’aident pas notre langue et notre cause. Accentuer, c’est s’affirmer et résister.


Sylvio Le Blanc







[2] Édition de 2018, p. 1441.












[11] Édition de 2018, p. 1916.









[17] Édition de 2018.




[18] Édition de 2018, page 1464.




[19] Édition de 2018, page 1591.








[24] Édition de 1992, page 7.






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