La Ville de Montréal, avec l’appui tacite et pécuniaire de la radio-tv d’État fédérale et du monopole de l’énergie du Québec, Hydro-Québec, a donc organisé à grands frais une sorte d’évènement sportif nommé Formule E dans le centre-ville de Montréal. Ce fut une action d’une violence terrible pour les humains qui habitent tout autour du circuit et pour les autres citadins qui ont la mauvaise idée d’aimer la beauté des formes urbaines. Ce fut une invitation a partir vivre dans les champs.
Ne revenons pas sur les inconvénients, les désagréments, les servitudes qu’une telle action impose aux citadins – et pas seulement aux riverains – on les compte par dizaines; les moindres n’étant pas l’impossibilité où les citadins se sont trouvés de vivre leur vie normale pendant « tout l’été ». Le piéton, au Québec, nous le savons, vit ses moments d’été - les meilleurs - du 15 juillet au 15 août. Au milieu d’août les soirées sont fraîches! Le reste c’est l’attente de l’hiver. Les organisations privées – et subventionnées – le savent, elles qui occupent bien des parcs centraux publics où l’on vend souvent de la bière pour entendre du rock. Et ce n’est pas juste pour rire...
En somme l’été du centre-ville a été exproprié pour les amateurs de « chars », à essence ou à l’électricité. Et les édiles nous promettent de nous en donner « encore plus » l’année prochaine! Le centre de Montréal sera donc une sorte de terrain de jeux et que ceux qui n’aiment pas ça s’achètent un pavillon de rêve à Blainville!
Les circuits Formule 1 et Formule E nous sont proposés par le comité exécutif de la métropole du Québec sous le couvert du Progrès inévitable, de l’Avenir radieux et de l’Exemplarité mondiale. Il s’agit de projeter dans le monde une image yé yé de notre conurbation « multiculturelle » en payant un déluge de publicité TV avec les millions extraits des bourses des contribuables.
Mais si ce que Montréal arrive à faire, par ce moyen de la publicité, outre de répondre aux besoins de la testostérone mâle, et de faire plaisir aux amis d’Ottawa, n’était pas, plutôt, une célébration du passé ? En effet, l’automobile, comme elle se présente maintenant, ne parait pas avoir un grand avenir. C’est elle qui est en train de désorganiser des pays entiers, à commencer par les États-Unis.
L’autoroute qui conduit de San Francisco à la capitale de la Californie, Sacramento (six voies de chaque côté), par exemple, déborde de tellement d’autos que cela en devient une tragique caricature. A Philadelphie, les dirigeants m’ont avoué, il y a maintenant trois décennies, que le seul empêchement au bon aménagement urbain, c’était… l’automobile.
L’avenir, le progrès, dans la réalité des choses, est-ce que ce ne serait pas, plutôt, la construction de trains rapides entre les grandes villes, ce que l’Amérique refuse d’envisager ? Pas des petits trains destinés à faire fuir les urbains vers les bourgeois du West-Island et autres banlieues! Nous parlons de trains rapides qui relient le cœur des grandes villes entre elles pour aller de Montréal à Boston, par exemple, ou de Toronto à Chicago…
Le Progrès, surtout, c’est le rapaillage des urbains autour de centre-ville bien conçus, où les citadins des classes moyennes ont un accès facile à leurs lieux de travail. C’est en tout cas ce que l’ONU nous a dit il y a des lunes, elle qui a organisé, à Vancouver, un congrès mondial sur l’Habitat.
Mais pour mettre la ville sur les rails du progrès il faut, bien entendu, un engagement de l’État. En affaires municipales la souveraineté se trouve à Québec, la capitale de province. Ceci jusqu’à ce que la Constitution soit révisée pour créer des Cités-États. Or c’est l’objectif que le régime municipal de Montréal poursuit ouvertement; il veut diviser la nation, elle qui peine à exister.
Le maire de ma ville, celle du fameux balcon, nous a dit, cette semaine, qu’il a mis trois ans à préparer l’organisation de l’extraordinaire course « électrique » dans la ville centrale. Les citoyens n’en ont rien su, évidemment; pas de publicité, pas de référendum, comme si l’autocratie était un idéal.
Mais comment imaginer que l’État, le seul responsable, à Québec, n ’ait pas eu vent des projets du grand maire ? Et comment se fait-il qu’il se soit tu, cet État ? Ne s’agissait-il pas de transformer la vocation du centre de la ville de Montréal ? Et cela n’était-il pas de sa responsabilité ? Est-ce que l’État, à Québec, n’a pas refusé de jouer son rôle de planificateur de toutes nos villes; au moins pour éviter le pire, comme ce qui vient de se produire cet été ?
Non la grande question que pose le circuit électrique de cet été, ce n’est pas la perte de quelques terrasses posées sur le pavé pour plaire au tourisme d’été, ou de certains commerces. C’est celle de l’urbanisme. Comment mieux loger les classes moyennes en ville, à bon prix, et dans la beauté, dans l’équilibre des formes ! Voilà la question. Ne pas y répondre c’est prendre le chemin de la décadence.
C’est bien ce que M. Richard Bergeron, anciennement chef du groupe municipal Projet Montréal et actuel membre du comité exécutif de la ville, dont le titre officiel est « Responsable de la stratégie du centre-ville », rien que ça, laissait entendre dans son ouvrage du mois de juillet 1999. L’ouvrage, intitulé « Le livre noir de l’automobile », était un réquisitoire contre les mauvais usages de la voiture privée et il souhaitait ainsi, entre les lignes en tout cas, que l’impact de l’auto soit réduit au moins en ville.
Ce n’est évidemment pas ce que l’exécutif de la Ville de Montréal propose par les temps qui courent. C’est lui qui a proposé, il y a des lunes, de recouvrir l’autoroute Ville-Marie entre le Palais des congrès et le nouvel hôpital, celui qui est payé par le Québec, d’un toit devant redonner à la ville sa valeur piétonne. Et c’est M. Bergeron qui devait s’en occuper. Depuis, rien… il paraît que certaines poutres ne sont pas assez « fortes »; mais on n’en sait pas plus. C’est désolant.
En d’autres termes, on ne rendra pas les Québécois plus libres, plus heureux, en organisant la ville pour le plaisir d’hypothétiques touristes, en construisant pour eux des musées et en distrayant les playboys. Le bonheur, symptôme du vrai Progrès, c’est l’art de vivre proche des lieux où on travaille dans des habitats bien dessinés par de bons architectes; c’est l’élimination de la dépendance sur l’auto, soit la précondition à une vie saine qui protège qui les terres agricoles...
En tout cas les familles d’ici ou d’ailleurs ne sont pas faites pour aller vivre au loin, coupés de leurs services, sans communication avec la diversité d’une civilisation. La civilisation, cela se crée en ville. Et tout ce qui va dans l’autre sens, vers la dispersion, le bruit, la laideur, c’est le passé. L’avenir, c’est une nouvelle formule, la Formule P pour Piéton.
Jean-Pierre Bonhomme
Ex-chroniqueur permanent en Environnement (1974-1984) à La Presse – le premier au Québec !
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
20 août 2017Pas d'accord avec vous M.Corbeil.
J'habite Montréal et il n'est pas question pour moi d'habiter une banlieue drabe au bord d'une autoroute et d'être ainsi dépendant d'un char pour tout faire.
Il y a suffisamment de parcs ainsi que de moyens de se distraire ici (culture, universités, installations sportives etc) sans avoir à fuir la ville tout le temps.
Ceux qui viennent y travailler pour retourner se coucher l'autre côté du pont devraient respecter un peu plus les choix des Montréalais et aussi se calmer le ponpon dans l'trafic. C'est votre choix d'y prendre part.
Marcel Haché Répondre
19 août 2017@ J.P.Bonhomme.
« …c’est l’art de vivre proche des lieux où on travaille dans des habitats bien dessinés par de bons architectes ; c’est l’élimination de la dépendance sur l’auto, soit la précondition à une vie saine qui protège qui les terres agricoles... » J.P.Bonhomme
Qui protège quoi dites-vous ? Les terres agricoles ?
Et si la loi de la protection des terres agricoles n’était pas devenue précisément tout le contraire de ce que vous semblez croire, ce qu’elle prévoyait à ses débuts, soit la protection de l’agriculture et d’un certain mode de vie ? Eh oui, si cette loi n’était plus que l’ombre d’elle-même, bel et bien une cause plutôt qu’une conséquence d’une certaine sclérose politique… sclérose derrière laquelle se cachent maintenant très adroitement les intérêts les plus mercantiles et même les plus mafieux parmi Nous ?
Quelle agriculture d’ailleurs ? Celle du blé d’Inde ? Tous ces champs de toute la vallée du St-Laurent qu’on arrose et qu’on inonde de pesticides, parfois avec des avions ? Tout un progrès !
Cependant, M. Bonhomme, eh oui, que des banlieusards de plus en plus éloignés du centre-ville de Montréal, sont obligés d’aller y travailler alors même que ce sont les mêmes « zo-zotorités » de Montréal qui s’ingénient à y compliquer le stationnement quand ce n’est pas la circulation elle-même… Mais à qui profite-t-il donc le « centre-ville » de Montréal, si ce n’est pas d’abord aux locateurs de bâtisses et d’espaces à bureaux, aux affairistes et aux b.s. de la bonne bière sur Crescent, ainsi qu’aux festifs qui chantent maintenant en anglais comme si Nous étions tous des libéraux ?
Et puis le « mode de vie »… Celui de la Diversité…?
Si, par ailleurs, pour récolter les champs, il faut maintenant faire venir les cueilleurs d’aussi loin que le Mexique¹, est-ce que le mode de vie dit « champêtre » n’est plus réservé, dans la réalité la plus implacable, qu’à une minorité de possédants, cette minorité protégée blindée par la loi, et qui retourne à son profit depuis longtemps la fameuse loi de la protection des terres agricoles ? On jase.
M. Bonhomme, la révolution internet a dévalué radicalement et contribue encore puissamment à la dévaluation même du centre-ville de Montréal ainsi que de tous les centres-villes. Charcuter radicalement la loi « du Québec » sur la protection des terres agricoles serait au contraire le tout premier pas, mais tout un… dans la direction d’un véritable progrès.
Hélas, si Nous sommes parfois dans la haine de nous-mêmes, Nous sommes à plein temps dans la haine du Changement.
¹ Par qui et au profit de qui…Qui paie les fonctionnaires pour organiser la venue de ces travailleurs ? Mais qui sont les premiers bénéficiaires de ce cheap labour ? Pas vous ni moi, non plus que tous ceux qui perdent leur temps sur les ponts, matins et soirs, pour aller et revenir du centre-ville de Montréal.
Yves Corbeil Répondre
18 août 2017Vous avez tout faux M.Bonhomme, le progrès on le voit et le vit chaque jour avec http://www.radiocirculation.net/
La grande ville c'est pour le travail d'une très forte majorité de citoyens. Elle est habité par les immigrés pour la proximité des services au début et puis ceux qui se sortent de la misère la quitte pour la banlieue ou se retrouve de plus en plus de citadins puis l'autre citoyen qui habite la ville c'est le branché qui vit en condo.
Celui-là on le voit à pieds, à vélo, en taxi ou avec sa passe de métro puis le weekend lui aussi se retrouve dans le trafic avec son VUS et ses deux vélos à $6000 sur le toit fuyant la ville pour le grand air des Laurentides ou des cantons de l'Est. Il y a aussi le branché écolo dans ces mêmes condos qui lui va se tremper le popotin dans le Parc du Mont-Tremblant ou celui du Mont Orford avec sa voiture Communauto grise lettrée verte à 80 km/h dans les jambes de tous les autres.
Dire qu'il y en a encore qui rêvent d'indépendance pour le Québec. L'indépendance, nous la vivons au quotidien au Québec depuis les années 70-80.
Le progrès monsieur c'est la formule $, tout le reste n'est que distraction pour ceux qui en ont pas $.
Allez-vous installé bien caler dans un fauteuil avec un café à la Porte du Nord sur le bord de la 15 à Prévost ou à la sortie de Bromont sur la 10 le weekend, ça devrait vous convaincre du progrès de not société.
Cette semaine la formule ''in'' progressiste, c'est la promenade vers North Hatley pour essayer de z'yeutez les Clinton, c'est grands promoteurs du progrès sociétale et défenseurs de la paix dans le monde.
C'est le rêve quoi (...) Je me demande c'est quoi qui mettrait dans son arche Noé aujourd'hui.