En cédant La Presse à un organisme à but non lucratif (OBNL) tout en promettant un don de 50 M$, Power Corporation se libère d’un fardeau financier et ouvre grande la porte à l’injection de fonds publics.
« La somme de 50 M$ a été réfléchie. Ce n’est pas un chiffre qui a été lancé dans les airs. C’est un chiffre qui nous permet d’exécuter notre plan stratégique d’une façon ordonnée. C’est un montant qui est suffisant pour assurer la pérennité de La Presse », a déclaré hier le président du journal, Pierre-Elliott Levasseur.
Ces dernières années, Power Corporation a dû injecter des dizaines de millions de dollars dans sa filiale, d’abord dans le développement de l’application pour tablettes La Presse+, puis pour éponger les pertes d’exploitation.
« Il y a beaucoup de folklore sur les pertes de La Presse », a lancé l’éditeur du journal, Guy Crevier.
Or, Power a toujours refusé de divulguer les résultats financiers de La Presse. Depuis 2013, les « autres filiales » du conglomérat, qui comprennent La Presse, ont enregistré des pertes totales de 400 M$, dont 89 M$ l’an dernier.
3 M$ en dons ?
La contribution de 50 M$ de Power Corporation ne permettra pas à elle seule d’assurer la survie de La Presse. Le futur OBNL comptera également sur une contribution d’Ottawa, sur le crédit d’impôt promis par Québec aux médias et sur des dons privés.
« Le gouvernement fédéral a annoncé dans son dernier budget qu’il était prêt à soutenir les médias écrits, mais qu’il n’était pas prêt à soutenir les médias écrits détenus par des familles riches ou par de grandes entreprises », a souligné M. Levasseur.
Pour ce qui est des dons, La Presse espère aller chercher 3 M$ par année en se basant sur l’expérience du quotidien britannique The Guardian.
« Ça va être quelque chose de relativement novateur au Québec et au Canada, a convenu Pierre-Elliott Levasseur. Mais en comparant la taille et l’importance du Guardian au Royaume-Uni et de La Presse au Québec, je pense qu’aux alentours de 3 M$, ça ne serait pas un chiffre irréaliste. »
Actifs et passifs
Power Corporation soulagera La Presse de toute dette avant de la céder à un OBNL, a indiqué hier l’éditeur Guy Crevier. Le géant financier prendra également à sa charge les obligations passées des régimes de retraite des salariés, dont la valeur n’a pas été divulguée.
Il y a quelques années, Power a repris possession des immeubles où La Presse est installée, de sorte que le journal est locataire des locaux. Cet arrangement se poursuivra, a dit le président Pierre-Elliott Levasseur. L’immeuble historique du 7, rue Saint-Jacques subit actuellement des travaux de rénovation et sera bientôt occupé par des locataires externes.
Fiscalité
Les OBNL « sont habituellement exonérés de l’impôt sur le revenu », indique l’Agence du revenu du Canada. Est-ce que La Presse pourrait obtenir le statut d’organisme de bienfaisance, ce qui lui permettrait de remettre des reçus à fins d’impôts ? « Ça m’étonnerait qu’un média puisse être reconnu comme une œuvre de bienfaisance, mais il faudrait voir ce que l’Agence du revenu déciderait », affirme Luc Grenon, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke. À l’heure actuelle, aucun média canadien n’a encore obtenu ce statut convoité.
Transparence financière
Power Corporation a toujours refusé de dévoiler les états financiers de La Presse. L’ancien « Robin des banques », Yves Michaud, était allé devant les tribunaux pour forcer le conglomérat à le faire, mais en vain.
Rien ne garantit que La Presse ouvre davantage ses livres en tant qu’OBNL. « C’est une décision qui incombera au conseil d’administration de la structure », a soutenu l’éditeur Guy Crevier hier.
Seule certitude : La Presse devra dévoiler ses chiffres si elle obtient le statut d’organisme de bienfaisance. Il s’agit d’une obligation imposée par l’Agence du revenu du Canada.
CE QU’ILS ONT DIT
« La conversion en OBNL laisse entendre qu’ils perdent tant d’argent avecLa Presse que personne ne voudrait acheter le quotidien. »
– Graeme Roustan, actionnaire de Power Corporation et PDG de Roustan Media
« C’était un virage qu’il fallait faire, mais La Presse+ a coûté très cher, comme le démontre l’abandon par le Toronto Star de l’application. »
– Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance
« Ça reste encore un peu nébuleux. J’ose espérer que nous aurons plus de détails, puisqu’il s’agit de fonds publics », en évoquant les remboursements d’impôts que toucheront les donateurs à La Presse.
– Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, société éditrice du Journal de Montréal