Il y a quelque 60 ans, l’économiste de l’Université Laval Maurice Lamontagne écrivait que la situation du Québec dans la fédération canadienne était hybride et équivoque, et que cela avait des conséquences négatives pour tout le monde. Lamontagne croyait aussi qu’une telle situation ne saurait durer indéfiniment. Il avait à la fois raison et tort.
Il avait raison de parler d’une situation hybride et équivoque, caractérisant la vie politique et intellectuelle d’une société trop prise dans ses débats internes et participant insuffisamment à la vie institutionnelle et aux débats à l’échelle de tout le pays. Mais il avait tort, dans la mesure où cette situation pouvait en quelque sorte durer puisque dans une bonne mesure, elle correspond encore à la situation du Québec dans le Canada en 2014. En paraphrasant le titre de mon dernier livre, je veux ici approfondir cette idée que le Québec et les Québécois vivent une situation d’exil intérieur dans le Canada. Et je veux aussi appeler mes concitoyennes et mes concitoyens à un dépassement de cette situation.
Ce concept d’exil intérieur peut être replacé dans la longue durée de l’histoire intellectuelle du Québec au XIXe siècle, avec les figures de Pierre Bédard, Étienne Parent, Louis-Hippolyte La Fontaine et George-Étienne Cartier. En cette année du bicentenaire de la naissance de Cartier, laquelle correspond au 150e anniversaire de la conférence de Québec d’octobre 1864 qui jeta les bases de l’union fédérale canadienne de 1867, je souhaite expliquer dans quelle mesure le travail de Cartier et celui d’autres leaders de l’époque, comme Galt et d’Arcy Mcgee, peut servir d’inspiration pour celles et ceux qui voudraient, au XXIe siècle, faire en sorte que le Québec dépasse sa situation d’exil intérieur.
Deux projets nationaux
Le Québec doit faire des efforts pour participer davantage à la vie politique du Canada, il doit se réengager. Réciproquement, dans la capitale fédérale et ailleurs au pays, des efforts devront aussi être faits pour faciliter cela. Car le Québec est beaucoup plus qu’une dimension du passé laurentien du Canada ; la société nationale distincte du Québec est un joyau pour le Canada d’aujourd’hui et de demain. Le Québec est au coeur de cette dualité qui contribue substantiellement à l’originalité du Canada en Amérique et dans le monde : nature bilingue du pays, présence de systèmes juridiques d’inspiration française et britannique, deux sociétés globales intégrant l’immigration en anglais et en français, complexe tissu associatif de deux sociétés civiles, deux réseaux communicationnels et technologiques sophistiqués, deux communautés scientifiques à la fois autonomes et interdépendantes. Par-delà la méfiance et l’indifférence des dernières années, le projet national québécois et le projet national canadien peuvent vivre ensemble au sein d’un même pays.
Dans la foulée du référendum écossais du 18 septembre 2014, le chef travailliste britannique, Ed Miliband, en promettant de tenir avec ses collègues les promesses faites à l’Écosse, a affirmé que quand près de la moitié des citoyens d’une nation partenaire de l’union votent pour quitter celle-ci, cela signifie qu’il y a des problèmes sérieux dans le fonctionnement des institutions du pays. Les propos de Miliband ont bien sûr des rapports avec la situation du Québec dans le Canada. Il faudra bien, un jour, que le Canada sorte de sa paralysie constitutionnelle. J’estime toutefois que même s’ils sont pour un bon nombre d’entre eux insatisfaits du système politique canadien, les Québécois devraient y participer davantage.
Le Canada n’intéresse pas
Comme beaucoup d’autres personnes, à l’été 2014, je me suis promené dans plusieurs régions du Québec : Mauricie, Estrie, Montréal, Québec, Charlevoix, Beauce-Appalaches. J’y ai rencontré des gens heureux, fiers et libres. Ils sont ouverts sur le monde, mais s’intéressent peu au Canada. Mais aussi confortable qu’il soit, leur exil dans le Canada n’en demeure pas moins malsain. Je pense que pour donner un coup d’épaule à un éventuel déblocage institutionnel, les jeunes du Québec devraient participer davantage à la vie politique du Canada à tous les niveaux. Au début du mois de septembre, je me suis promené sur tous les campus de Montréal. À Concordia, à l’Université de Montréal, à McGill et à l’UQAM, j’ai été frappé par l’extraordinaire dynamisme de la vie universitaire montréalaise. La jeunesse universitaire de Montréal est polyglotte, compétente, ambitieuse, technologiquement sophistiquée. Ces étudiantes et étudiants vivent d’espoir et veulent s’engager de façon responsable dans leur société et dans le monde. Je suis convaincu que l’intérêt supérieur du Québec passe par une plus grande participation de cette jeunesse, et de la génération précédente, à la vie politique du Canada.
Il faut s’intéresser à ce qui se passe partout en ce pays, s’engager dans les associations, investir les partis qui se préparent pour les élections fédérales de 2015. Croire à la force du Québec, c’est croire que l’engagement responsable de ses citoyens va donner des résultats.
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