Quand j'observe ce qui se passe actuellement autour de moi, avec les fermetures sauvages d'usines un peu partout, en région comme à Montréal, et les scandales à répétition, je me rappelle un épisode plutôt cocasse qui s'est produit pendant mon exil en France alors que je sollicitais le statut de réfugié politique.
À la suite d'un premier refus, j'en avais appelé de la décision auprès du Conseil d'État, en présentant un mémoire fort bien étoffé, basé sur le plaidoyer de l'ambassadeur cubain auprès des Nations Unies, Ricardo Alarcon, à propos du cas colonial de Porto Rico, qui présentait une situation similaire à celle du Québec. À ce titre, nous, militants du Front de libération du Québec, désirions bénéficier du statut de combattant pour l'indépendance de notre pays et demandions l'asile politique en France. D'ailleurs, quelques années auparavant, un premier militant du FLQ, Richard Bizier, avait obtenu un tel statut. Après quelques mois d'attente, on m'avait convoqué pour examiner de plus près ma demande. J'avais, comme on dit, des papillons dans l'estomac.
Face à cet aréopage formé d'hommes de lois que je supposais bardés de diplômes en droit international, je me sentais comme un ti-cul Lachance bien mal préparé. Moi d'ordinaire si baveux... En face de moi, autour de la table ovale, ils devaient être sept ou huit et je ne saurais dire si leur regard insistant et perçant signifiait qu'ils avaient hâte d'en découdre avec moi ou si plutôt il traduisait leur immense perplexité devant ce jeune homme mal fringué venu non pas du Québec mais de Cuba — cela se notait à mon teint encore bronzé — qui les avait fait se déplacer en ce matin parisien pluvieux. La pluie, au pays de l'exil, n'est jamais de bon augure et je me mis à craindre le pire. J'aurais voulu avoir à mes côtés Gilles, Félix, Pierre, Gaston, Michel, Victor-Lévy, Michel, Pauline, et j'en passe, pour qu'ils m'aident tous à trouver les mots justes qui convaincraient ces spécialistes du bien-fondé de ma demande.
Après avoir affirmé qu'ils avaient lu avec grand intérêt le mémoire que j'avais présenté sur le statut colonial du Québec et sur les raisons pour lesquelles je demandais à la France de m'accorder le statut de réfugié politique, on se mit à me poser quelques questions pour en savoir davantage sur moi.
L'un d'eux me demanda alors quel était mon métier au Québec. Je répondis du tac au tac: «Porteur d'eau, monsieur!» Tous se penchèrent d'un même mouvement et écrivirent dans leur cahier: porteur d'eau. Un autre me demanda: «Oui, mais vous deviez bien avoir un autre métier?» Visiblement, ils ne comprenaient pas ma métaphore et ils se disaient qu'un vrai porteur d'eau ne pouvait pas écrire un tel plaidoyer. J'étais un faux porteur d'eau, d'où cette deuxième question. Je répondis donc, un peu baveux: «Scieur de bois, monsieur.»
De nouveau ils se penchèrent d'un même élan et écrivirent, non sans un certain étonnement sur leur visage: scieur de bois. Manifestement, cette expression — porteur d'eau et scieur de bois — sonnait faux aux oreilles de mes décideurs de statut. L'un d'eux se fâcha: «Comment se fait-il, monsieur Lanctôt, que vous ayez déjà affirmé avoir été professeur de français au Québec, puis que vous dites maintenant avoir été porteur d'eau et scieur de bois?» «Mais vous ne comprenez pas, répliquai-je, qu'il s'agit d'une métaphore? Peu importe ma situation personnelle, je veux dire que j'appartiens à un peuple de porteurs d'eau et de scieurs de bois, à un peuple qui ne contrôle pas son destin. C'est une expression consacrée. Ne l'avez-vous jamais entendue?»
Je ne vous raconte pas la suite, que vous pouvez lire dans mon livre Les plages de l'exil (Stanké). Mais précisons que cela se passait en 1974, deux ans avant l'arrivée du Parti Québécois au pouvoir à Québec. Et que 38 ans plus tard, j'ai l'impression que peu de choses ont changé quant au contrôle de notre destin et des principaux leviers de notre économie. Michael Sabia et Jean Charest peuvent bien aller se faire voir au domaine Sagard des Desmarais, cela ne fait que confirmer, par devers et par devant, comme dirait Victor-Lévy Beaulieu, que nous ne contrôlons toujours pas notre destin.
Porteurs d'eau
Michael Sabia et Jean Charest peuvent bien aller se faire voir au domaine Sagard des Desmarais, cela ne fait que confirmer, par devers et par devant, comme dirait Victor-Lévy Beaulieu, que nous ne contrôlons toujours pas notre destin.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé