Mai 68 n’a pas eu lieu au Québec. Ici, en lieu et place, les occupations des tout nouveaux cégeps s’enclenchent en octobre 1968.
L’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ), fort de ses quelque 65 000 membres appuie le mouvement qui réclame déjà la gratuité scolaire. Plus de 7000 personnes participent à une manifestation à Montréal le 21 octobre.
Pour répliquer à ce « phénomène nouveau de la contestation étudiante », le ministère de l’Éducation met en place dès l’été 68 un comité composé de quatre fonctionnaires. Jean-Paul Desbiens, célèbre frère Untel en est. Tout comme Bernard Landry, président du comité de fondation de l’UGEQ en 1963.
Le comité accouche de treize cahiers sous le titre « bilan et prospective : le mouvement étudiant au Québec ». Dans son mémoire déposé à l’UQAM en janvier 2016 (Aux origines du syndicalisme étudiant de combat), l’historien Jaouad Laaroussi écrit qu’« une ligne de force ressort des déclarations publiques des membres de ce groupe : répondre à la contestation par la participation ». Il cite cette phrase programmatique de Jean-Paul Desbiens : « Les jeunes ont tendance à vouloir changer les règles du jeu dès que leur application ne les conduit pas à gagner. Il faut refuser cette tactique et enfermer les jeunes dans les règles où l’on décide de s’enfermer soi-même. »
Le mot d’ordre semble toujours tenir pour comprendre ce qui vient de se produire avec l’entrée sur la scène électorale de Gabriel Nadeau-Dubois. Le porte-parole le plus en vue et le plus à gauche (certains diront radical) du trio de tête des leaders étudiants du printemps érable (2012) se portera candidat à l’investiture pour Québec solidaire dans l’élection partielle de Gouin, à Montréal.
Il a confirmé son choix jeudi matin. Le contestataire participera donc au grand jeu politique, en suivant (ou en s’enfermant dans…) les règles établies.
Où est-ce bien le cas ? Bernard Landry ne digère pas certains propos jugés radicaux sur la trahison des élites entendus dans le discours de son jeune émule.
« Quand j’étais président des étudiants de l’université de Montréal, la devise de mon mouvement, c’était : Au service de la nation, dit au Devoir l’ancien premier ministre. Nous étions des révolutionnaires tranquilles, déjà engagés dans le combat national québécois. Et là, arrive Gabriel Nadeau-Dubois qui nous dit que la classe politique des 30 dernières années a trahi le Québec. C’est un message insultant pour René Lévesque, Jacques Parizeau et les autres. Comment peut-il tenir des propos aussi infâmes en commençant sa carrière politique ? Je crois qu’il devrait s’excuser. »
Ceux qui font les révolutions
Se ranger ou s’obstiner ? Accepter les règles ou changer de jeu ? Révolutionner ou réformer ?
Le dilemme fondamental de l’action politique taraude les ex-leaders étudiants depuis cinq décennies. Le tiraillement post-2012 inspire le film Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau.
Le sous-titre du mémoire de M. Laaroussi synthétise l’écueil autrement en citant une formule choc des années soixanthuitardes à la québécoise : « Participer c’est se faire fourrer ! ». En entrevue, il explique que le mouvement étudiant québécois, unique en Amérique du nord par sa force et son organisation structurée, a constamment oscillé entre la concertation, la participation et la contestation, jusqu’aux options radicales.
Alexandre Leduc
Gilles Duceppe est passé de l’un à l’autre : d’abord en militant dans les groupes d’extrême gauche de stricte obédience marxistes, puis en se rangeant du côté du Bloc québécois, joueur de l’échiquier fédéral et de l’ordre constitutionnel canadien. Le chef Duceppe a même proposé à Gabriel Nadeau-Dubois de se présenter pour sa formation en 2015. En vain.
Pour lui, le passage par le militantisme étudiant demeure une des voies intéressantes et formatrices d’accès à la politique active. « Mais ce n’est qu’une des filières, dit-il. Bernard Landry, Louise Harel ou Jean Doré sont passés par là. Mais tous les leaders étudiants ne finissent pas députés. »
Le PQ demeure toutefois le point de chute le plus fréquent. Comme Bernard Landry, l’ex-chef André Boisclair a été formé à cette école du militantisme. Tout comme Nicolas Girard et François Rebello eux aussi rattachés au parti souverainiste (puis à la CAQ pour le député Rebello), mais quelques années après leurs années étudiantes. Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin ont fait le saut vers le PQ rapidement après la crise de 2012, le second devenant le plus jeune député de l’Histoire de l’Assemblée nationale.
L’exemple de Charron
En fait, avec ou sans succès électoral, les transfuges demeurent assez rares.
« Pour qu’un leader étudiant devienne une personnalité publique puis une figure politique, il faut une crise », résume Alexandre Leduc, auteur d’un mémoire en 2010 sur les racines syndicales du mouvement étudiant québécois.
Lui et Jaouad Laaroussi cite le précédent de Claude Charron, leader étudiant des années de la chienlit québécoise vite devenu député du PQ en 1970, puis ministre, puis communicateur. « C’est peut-être l’exemple passé qui se rapproche le plus de celui de Gabriel Nadeau-Dubois, dit M. Leduc qui travaille maintenant au service de la recherche de la FTQ. Lui-même s’est présenté à deux reprises pour devenir député de QS. « Charron a symbolisé l’arrivée des jeunes contestataires au PQ comme Nadeau-Dubois symbolise le saut de la génération de 2012 à QS. »
Alexandre Leduc a organisé une rencontre au moment du 40e anniversaire des contestations de 1968. Des leaders de chaque génération ont échangé sur leur vision du militantisme et de ses suites.
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