Les consultations publiques sur le projet de loi 5 instaurant un réseau universel de maternelles 4 ans ont tout juste commencé cette semaine que déjà plusieurs mises en garde ont été lancées, même par ceux qui sont plutôt favorables à l’idée.
Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), qui avait produit en 2012 un avis étoffé sur l’éducation des enfants d’âge préscolaire, avis qui préconisait la gratuité des services de garde éducatifs pour les enfants de quatre ans, que ce soit les centres de la petite enfance (CPE) ou la maternelle, et le développement de nouvelles places, n’a pas voulu trancher entre les deux types de services. Dans son mémoire, le CSE insiste sur la qualité des services, notamment sur le fait d’avoir des locaux adaptés et du personnel bien formé, tout en citant une étude de la chercheuse Christa Japel, qui constatait la « très basse » qualité de « l’environnement éducatif » des maternelles 4 ans déjà ouvertes et des lacunes quant aux activités proposées aux enfants. En revanche, la présidente du CSE, Maryse Lassonde, a souligné que, dans certains milieux, la maternelle 4 ans donne probablement un meilleur accès aux ressources professionnelles en orthophonie et en orthopédagogie parce qu’elles se retrouvent déjà dans l’école.
C’est d’ailleurs le principal argument avancé par le gouvernement et son ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, qui répète que 27 % des enfants qui fréquentent la maternelle 5 ans sont vulnérables ou présentent des besoins particuliers, et que la maternelle 4 ans permettra d’intervenir auprès d’eux plus tôt.
Caution scientifique du gouvernement, Égide Royer, de l’Université Laval, soutient que l’amélioration de la réussite des jeunes en difficulté passe nécessairement par la maternelle 4 ans, qui permettra aux enfants à risque d’obtenir des services d’adaptation scolaire « qui correspondent aux pratiques exemplaires ». À son avis, la présence d’une enseignante dotée d’une formation universitaire est essentielle, notamment pour assurer une pédagogie adaptée en littératie.
Dans ce débat opposant la maternelle 4 ans aux autres services de garde, notamment les CPE, les experts ne s’entendent pas. En commission parlementaire, le chercheur Jacques Moreau, de l’Université de Montréal, estime que le transfert des enfants de 4 ans d’un CPE, qui accueille 80 bambins, à la maternelle d’une école, qui compte des centaines d’élèves, est une « menace » pour le développement des tout-petits. La chercheuse Sylvana Côté, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, a qualifié les CPE, à l’échelle internationale, de « super recette du Québec », un réseau affecté toutefois par diverses compressions et par le manque de places.
Parmi les arguments avancés par M. Royer figure le fait qu’un enfant qui présente des difficultés au service de garde est dirigé vers le réseau de la santé et des services sociaux, où les délais pour obtenir des services sont beaucoup plus longs que ceux qui affectent les services dispensés par les commissions scolaires. Si tel est le cas, et il n’y a aucune raison de croire le contraire, il faut corriger la situation — c’est une question d’équité —, maternelle 4 ans ou pas.
La commission parlementaire a permis de mettre en lumière les difficultés d’implantation de la maternelle 4 ans : rareté d’enseignants, manque de locaux adéquats, service de garde scolaire mal adapté et doté d’un personnel mal formé, offre de services spécialisés déjà rationnés par les commissions scolaires. La Fédération des transporteurs par autobus (FTPA) a d’ailleurs jeté un pavé dans la mare, mercredi, en soulignant les dangers que représentent les autobus scolaires pour les enfants de 4 ans. Il faudra donc penser à des véhicules plus petits et, possiblement, à la présence à bord d’un accompagnateur en plus du chauffeur.
Bien qu’universelle, la maternelle 4 ans n’est pas pour tout le monde. Elle convient mal aux parents qui sont sur le marché du travail. Gratuite en principe, elle est aussi onéreuse qu’un CPE en raison des frais de garde scolaire et ne fournit ni collations ni repas, sans parler du casse-tête de l’été, où l’école, fermée, n’est d’aucun secours.
Surtout, le ministre Roberge et son mentor Égide Royer ont une vision idéalisée de la maternelle 4 ans, qui comprendrait des installations adaptées, du personnel éducatif bien formé et stable, et des ressources professionnelles à profusion.
C’est dommage qu’autant de bonnes intentions, d’énergie et d’argent ne soient pas consacrés à l’ensemble des enfants d’âge préscolaire qui ont besoin — et pas seulement à 4 ans — de services spécialisés et d’un cadre éducatif qui leur convient, ce que représente — et le gouvernement n’a pas fait la démonstration du contraire — le réseau des CPE.