Entretien avec Laurent Obertone, auteur à succès de Guérilla, le temps des barbares chez Ring. Avant la publication du troisième et dernier volet de sa saga apocalyptique, l’auteur révèle qu’il travaille sur un livre plus politique.
Le 26 septembre dernier, Laurent Obertone sortait la suite de Guérilla, roman dystopique fatalement prenant qui offrait au lecteur un aperçu de l’effondrement de la France en trois jours. Une guerre civile déclenchée seulement par une énième descente de policiers dans une cité est-elle possible ? L’auteur arrivait à nous convaincre que la guérilla est là, tapie au creux de l’actualité, attendant patiemment une rixe de trop pour s’embraser.
Dans son tome 2, la France agonise, les survivants oscillent entre monstres et proies, alors que le pays en ruines se divise en une multitude de petits pouvoirs autonomes. Comment un pays à genou se relève-t-il ? Une renaissance de l’Etat est-elle possible ? Interview d’un auteur lucide, sorte de Cassandre moderne, précis et renseigné, mais loin d’être cru de tous.
Causeur. Dans la suite de Guerilla : le temps des barbares, vous présentez une France détruite où l’Etat disloqué laisse ses citoyens à la dérive. Vous évoquez à plusieurs reprises dans votre roman la notion de « très-bien-vivre-ensemble ». Serait-elle selon vous la cause majeure d’un effondrement ?
Laurent Obertone. Cette notion de « vivre ensemble » est une sorte de formule d’exorciste, qui apparaît pour conjurer l’effondrement du capital social. Face à une réalité de plus en plus pressante, cette croyance est devenue la valeur refuge de Big Brother, l’État et ses satellites médiatiques, universitaires, culturels, etc. En refusant d’admettre l’échec du multiculturalisme, Big Brother s’enferme dans son utopie, et semble préférer la mort de notre civilisation à celle de ses principes.
Vous assurez que votre travail se base sur les informations que vous avez acquises grâce à vos contacts aux services des renseignements français. L’actualité de ces dernières semaines montre que la colère citoyenne s’amplifie. Est-ce que nous pourrions éviter selon vous un destin aussi funeste que Guerilla pour la France ?
Ce destin tient à la toute-puissance de Big Brother, qui est une sorte de coup d’État démocratique permanent. Si les citoyens ne parviennent à se faire entendre, à reprendre en main leur destin, en réduisant ce monstre à leur service – sa raison d’être originelle –, le pire ne nous sera pas épargné. Or, pour l’instant, la colère citoyenne, qui est tout sauf pensée et structurée, semble surtout exiger encore plus de Big Brother. Hélas, la solution ne viendra pas d’un accroissement du problème.
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Destructions, pillages, viols, tueries, il ne faut guère longtemps aux Français pour qu’ils ne se déshumanisent complètement, pour la plupart. Avez-vous choisi de cantonner l’intrigue dans un laps de temps très court pour maintenir la tension ou croyez-vous qu’il serait réellement possible qu’un pays comme la France puisse tomber en seulement trois jours ?
Avec cette temporalité réduite, j’ai voulu insister sur le fait que malgré sa solidité apparente, la structure étatique est très complexe et fragile, et que sa défaillance face au réel pourrait bien causer sa perte, à très court terme. Mais si cette perte est brutale, elle le sera tout autant pour des millions de Français, soudain privés de leur maître, totalement désarmés par lui, et confrontés à leur vertigineux état de dépendance.
« Safespace », « Maison des opprimé.es » « Ministère des luttes interphobes », vous semblez tirer à bout portant sur une bienpensance hyper-inclusive par le biais de plusieurs personnages comme Raoul.le ou « la fille aux cheveux vert ». Pourtant, ces personnages moralisateurs assénant de nombreuses théories s’avèrent les moins cruels et les plus passifs. Que pensez-vous de ces militants engagés que l’on surnomme parfois aussi Social Justice Warrior ?
Je pense que ce sont avant tout des opportunistes. Par leurs indignations bruyantes et ô combien conformes à la morale dominante, ils profitent du pouvoir minimal que leur offre ce substitut de fanatisme. Ça paye, on parle d’eux, ils se donnent à peu de frais une identité, quelques émotions, une raison d’être, parfois un semblant de notoriété. Ils s’en sentent supérieurs, confortés par leur groupe social et moral, investis d’une mission sacrée. Mais si l’air du temps change, ils changeront. Peut-être encore plus vite que les autres… Il faut assez peu de scrupules pour tirer ainsi profit de « l’aide » de l’Autre, sans voir qu’elle est avant tout une manière politiquement correcte d’exister et de dominer. L’aide n’est qu’un moyen, l’Autre un instrument. Et tant que ça paye, tant que cette usurpation demeure invisible, les guerriers de la justice sociale n’ont aucune raison d’en changer.
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Vous présentez votre travail comme dystopique. Si l’on se base sur une autre dystopie Ravage de René Barjavel, qui peut rappeler par de nombreux aspects Guerilla, pourquoi ne pourrions-nous pas espérer qu’un effondrement de la société telle qu’on la connait ne permettrait pas au contraire aux humains de faire ressortir le meilleur d’eux-mêmes ? Telle la devise Ordo ab chaos : l’ordre naît du chaos.
On peut tout espérer, mais en ce qui nous concerne ce serait assez peu raisonnable. Nous n’avons jamais connu que le confort et l’abondance, et nous ne savons pas ce que nous serons dans une telle situation de survie. À cet égard, l’espoir ressemble fort à un pari de désespéré…
Plutôt qu’attendre et subir, je dirais qu’il faut agir, sans plus nous trouver d’excuses. Nous ne faisons pas le maximum pour contrer Big Brother, loin de là. C’est pour ça que la situation nous échappe, et que nous perdons chaque jour un peu plus. Pourquoi ? Que pourrait-on faire ? Je réfléchis à des réponses concrètes, et j’envisage de les publier dans mon prochain livre, qui paraîtra en octobre 2020, toujours aux éditions Ring. Et puis j’écrirai la suite et la fin de ma trilogie Guerilla… si l’actualité ne s’en charge pas avant moi.