Et si on faisait la paix ? Le temps des fêtes, c'est le temps des résolutions du nouvel an. Mais c'est aussi le temps des réconciliations. La Presse vous propose trois regards bien différents sur un même thème : faire la paix.
La réconciliation ? Celle dont je veux vous parler, que je sens, que je souhaite, du moins, c'est la réconciliation des Québécois avec leur québécitude.
La québéci-quoi ? La québécitude, l'ensemble des caractères propres à la culture des Québécois. La réconciliation, donc, des Québécois avec leurs atouts et leurs défauts, avec leur passé mouvementé et leur avenir.
Combien de fois ai-je entendu des propos méprisants envers notre culture, à droite comme à gauche ? Des propos qui viennent souvent de nous-mêmes, le genre de dénigrement que les Ontariens ou les Canadiens n'ont pas envers eux-mêmes. « On sait bien, nous, les Québécois... »
Non, nous ne sommes pas des médiocres, nés pour un petit pain, des décrocheurs, des victimes, des racistes, des paresseux, des profiteurs, des incohérents, des analphabètes. Nous sommes des Québécois, et les résultats de nos décisions collectives des dernières décennies sont certes imparfaits, mais fort enviables aux yeux du monde.
Notre autodénigrement n'est pas près de s'estomper, mais je sens par les courriels que je reçois que les choses changent. Je sens moins de mépris dans le ton, et les jeunes avec qui je discute sont plus sûrs d'eux, décomplexés.
Le Québec vient maintenant au deuxième rang canadien pour la solidité de ses finances publiques. Les agences de notation qualifient notre économie de « très solide » et notre filet social est le plus étendu en Amérique, si bien que les inégalités sont ici bien moindres qu'ailleurs. N'est-ce pas enviable ?
La richesse de notre société ne se voit pas qu'à l'argent, mais à la vivacité de notre production culturelle et de nos débats. Elle est manifeste par la grande qualité de nos leaders culturels, politiques et économiques. Il n'y a pas ici de Donald Trump, de Doug Ford, de Nicolás Maduro. Et de plus en plus de jeunes, brillants, originaux, différents, prennent leur place, et seront tout à fait aptes à remplacer les boomers et la génération X parmi les décideurs.
Cette réconciliation que je souhaite, c'est cette acceptation de nos réussites et de nos échecs, à droite comme à gauche, mais aussi de nos défis.
Qu'à droite, les gens se réconcilient avec l'idée que le Québec n'est ni plus ni moins qu'un cinquième pays nordique à la scandinave, que le bien commun demeurera toujours au centre de nos actions. Qu'on y paiera toujours plus d'impôts, mais qu'en contrepartie, nous avons une société plus équitable, moins violente. Que les grandes manifestations feront toujours partie de nos vies.
Qu'à gauche, on admette que le Québec penche nettement plus à gauche qu'ailleurs, avec nos mesures sociales plus développées. Qu'on cesse de démoniser l'argent et les entrepreneurs, qui ont besoin d'air pour avancer, innover. Qu'on reconnaisse qu'on a encore du chemin à faire pour moderniser notre économie.
Que les Québécois bleus se réconcilient avec le fait que le Québec ne sera pas indépendant de sitôt, qu'ils constatent que le rêve qu'ils ont caressé n'a pas été vain, puisque les Québécois ont assurément à coeur le développement de leur patelin.
Que nous fassions le constat que le Québec a réussi à traverser plusieurs crises avec succès, qu'elles soient politiques, étudiantes, éthiques ou de finances publiques. Que les Québécois reprennent confiance en leurs institutions, leurs décideurs, malmenés par les scandales de corruption. Qu'ils constatent qu'un réel ménage a été fait à cet égard, avec nos enquêtes et nos commissions, bien qu'il restera toujours un restant de poussière.
Que nous assumions nos décisions, nos consensus. Non, les immigrants ne pervertiront pas notre culture, ils sont un facteur d'enrichissement pour peu qu'ils acceptent de s'ouvrir. Mais oui, les préoccupations de nombreux Québécois sur l'immigration sont légitimes et méritent d'être entendues.
Non, le port du voile ne détruira pas nos acquis sociaux, mais oui, l'imposition d'un minimum de laïcité dans nos institutions publiques est un compromis acceptable, souhaitable, sans qu'il faille, pour cela, montrer la porte aux récalcitrants.
Qu'on reconnaisse que les relations hommes-femmes au Québec ont fait des pas de géant considérant ce qui se passe ailleurs, des avancées qu'il faut poursuivre. Qu'on considère nos relations patrons-employés moins hiérarchiques comme une force.
Notre réconciliation ne signifie pas qu'on doive fermer les yeux sur nos dissensions internes, nos travers et nos incohérences, notamment en matière environnementale. Ou qu'il faille bannir les débats. Elle signifie qu'il faut accepter que ces discussions ne sont pas propres à notre québécitude, qu'elles sont normales, sinon enrichissantes et souhaitables. Mieux encore : que ce bouillonnement riche dans diverses sphères d'activités est même étonnant vu la petitesse de notre peuple.
Peut-être suis-je trop fleur bleue, idéaliste, mais cette réconciliation que je sens, que je souhaite surtout, est à l'image d'un peuple adolescent qui passe à l'âge adulte, qui met de côté ses complexes pour avancer, grandir. Qui remplace ses épithètes peu flatteuses par celles d'un peuple vivant, drôle, original, authentique, ambivalent, accueillant, ambitieux.
Qu'on se réconcilie avec notre québécitude pour débattre avec respect. Pour qu'on progresse avec confiance, sans complexe.