Cette semaine, le mouvement #MoiAussi traverse et chavire le monde. Il permet encore une fois de constater l’ampleur du problème des agressions sexuelles et de réfléchir aux solutions pour y faire face. J’ai peur par contre que le silence revienne bientôt se tisser une place jusqu’au prochain scandale. Ce sont les scandales qui permettent de nommer le problème, mais pas nécessairement de mettre en place les solutions, bien malheureusement.
Les vagues de dénonciations qui se multiplient depuis quelques mois ne sont pas des « chasses aux sorcières », mais bien des chasses aux violences à l’endroit des femmes.
Weinstein, Rozon, Salvail : ces hommes s’ajouteront à la très courte liste de ceux qui ont été identifiés comme des agresseurs et dont on aurait « brisé [la] carrière, ruiné [la] vie ». Ce qu’on ne mentionne évidemment jamais dans ces cas, c’est à quel point une agression sexuelle ruine la vie d’une victime, bien au-delà des options de carrière et de la réputation publique dont il est toujours question pour plaindre les agresseurs.
Près d’un an après ma dénonciation, année de réflexions et de tourbillons, je me replace finalement sur une ligne directrice claire et j’en retire deux grands points : la faute est sur le manque d’éducation sexuelle et le fardeau de la preuve. Et je nous invite à reconsidérer à la fois le système d’éducation québécois et le système de justice pénale canadien.
La justice
J’ai dénoncé publiquement, et je ne sais pas jusqu’à quel point c’est un choix que j’ai fait. J’ai dénoncé publiquement et je me dis, avec du recul, que c’est une solution de remplacement au système de justice.
Les propos qui reviennent constamment hanter les victimes d’agressions sexuelles sont les suivants : « La présomption d’innocence s’applique à tous, on ne saura pas avant qu’un juge dise “coupable” » ; « Il n’y a toujours pas d’accusations, la victime est donc une menteuse jusqu’à preuve du contraire, et l’accusé, innocent. » Si les Québécois et les Québécoises se donnent à coeur joie pour jouer à l’avocat du diable sur les réseaux sociaux, il est impératif qu’on leur rappelle qu’il est extrêmement difficile d’accuser quelqu’un au criminel. D’autant plus que l’accusé peut garder le silence. Ce n’est pas la parole de la victime contre celle de l’agresseur : c’est sa parole contre le système au complet.
Une étude du Globe and Mail parue à l’hiver 2017 indique d’énormes variations au Canada dans le pourcentage de dénonciations considérées comme non fondées, allant jusqu’à 51 % à Saint John et baissant jusqu’à 2 % à Winnipeg. Comment expliquer ces variations ?
Il est évidemment ridicule de penser que les femmes mentent plus au Nouveau-Brunswick et en Alberta qu’au Manitoba et à Terre-Neuve-et-Labrador. Des études doivent être entreprises pour connaître les facteurs qui mènent la police à rejeter un moins grand nombre de dénonciations, comme la proportion de femmes dans les forces policières et les politiques publiques adoptées dans ces différentes provinces.
Plus généralement, il faut reconnaître que la justice pénale est un système qui fonctionne sur papier, mais qui échoue dans les faits, qui nous laisse trop souvent tomber. Une campagne de grande envergure sur la réforme du système judiciaire permettrait de remettre en cause plusieurs pratiques qui limitent la capacité des femmes à mener leur dossier à terme.
Pour accuser une personne d’agression sexuelle, bien souvent, on nous demande des témoins oculaires : « Quelqu’un t’a-t-il vu entrer ou sortir de la chambre ? » La présomption d’innocence, c’est le mur qui sépare les survivantes de l’espoir d’une quelconque justice : et si l’on décidait qu’une victime dit la vérité jusqu’à preuve du contraire, plutôt que de déculpabiliser l’agresseur et de lui accorder le bénéfice du doute ?
Si chaque inconduite sexuelle, harcèlement ou agression menait à une dénonciation publique, nos agresseurs seraient-ils moins nombreux ? Et si c’était ça, la solution de remplacement au système de justice, en attendant la réforme ? Laver son linge sale en public, comme vous dites.
L’éducation
La manière dont nous élevons nos filles a fait de grands progrès dans les dernières décennies, mais la socialisation masculine ne s’est pas adaptée aux exigences d’égalité et de respect de l’intégrité corporelle des femmes. Il faut mettre en place des programmes d’éducation sexuelle qui contribuent à normaliser le « non », pour apprendre aux jeunes à s’écouter et à aller à leur rythme dans leur vie sexuelle.
La pression d’avoir une première relation sexuelle, dans les premières semaines, le plus vite possible, est au coeur des représentations de la sexualité chez les adolescents et les adolescentes. Il faut inculquer à nos enfants que le but dans nos relations amoureuses ou sexuelles n’est pas de « performer », mais plutôt d’apprendre à écouter son ou sa partenaire.
Une initiative à longueur d’année pour une éducation sexuelle axée sur le consentement, qui commencerait par les écoles, doit constituer une priorité. J’ai entendu le terme « consentement » sur le tard, et j’aurais aimé qu’on me dise « ce n’est pas grave, tu as le droit de dire non » plus tôt dans ma vie. Les écoles doivent intervenir avant que la pornographie ne le fasse.
Il faut assurer une continuité entre les vagues de dénonciation, pour s’assurer que ces vagues ne sont pas qu’une complicité de passage.
Il faut rappeler au public que l’éducation joue un rôle central dans la formation des attitudes et des comportements. Il faut rappeler au public que le système de justice criminelle est rempli de failles.
Il faut rappeler au monde entier que le corps d’une femme n’appartient qu’à elle et que le consentement n’est pas une option, mais un devoir. Le mouvement #MoiAussi nous a rappelé ces exigences, qui doivent maintenant trouver leur prolongement dans une campagne plus large.
C’était le 19 octobre. Un an plus tard, la bataille ne fait que commencer.