Miroir, dis-moi que je suis la plus belle...

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« Arcand, c’est notre miroir, notre mauvaise conscience, celui qui montre les verrues de l’âme, nos échecs, notre vide existentiel. »


Sophie Durocher a varlopé comme il le méritait le médiocre gala du cinéma québécois.


Au-delà des blagues pas drôles, des décors « cheap » et des choix ultra-discutables faits par les votants, elle s’insurgeait aussi contre le traitement réservé à notre plus grand cinéaste, Denys Arcand.


La chute de l’empire américain n’est certes pas sa plus grande réussite, mais le film, l’homme et sa carrière méritaient mieux.


Les vents dominants, conclut-elle, ne sont plus favorables aux hommes blancs de 77 ans.


Un participant rappelait aussi que le cinéma est un milieu de cliques, et qu’il faut être dans la bonne clique au bon moment.


Vide


Ces deux explications me semblent justes, mais j’en risque deux autres complémentaires.


Le petit milieu du cinéma local n’aime pas Arcand parce qu’il sait qu’Arcand se fout de lui. Ce géant n’a rien à foutre des nains qui le jalousent.


Mais plus important, une bonne partie du milieu et du public québécois n’aime pas Arcand parce qu’il n’aime pas le portrait qu’Arcand trace de lui, de nous.


Dans La chute de l’empire américain, le jeune docteur en philosophie qui « chauffe un truck » pour gagner sa vie symbolise la place que le Québec accorde à la vraie culture.


Ce n’est pas un hasard si L’âge des ténèbres, mon film d’Arcand favori, fut un des plus mal reçus de toute sa carrière.


C’est justement parce qu’il dessinait un portrait au lance-flammes, mélancolique et désabusé du Québec.


Qu’est-ce qu’on y voyait ?


Un appareil d’État glauque et déshumanisé...


Une société obsédée par un moralisme antiraciste de pacotille...


Des parents qui renoncent à parler à leurs enfants parce que ces derniers ont toujours des écouteurs aux oreilles et ont décrété que si ce n’est pas nouveau, ce n’est pas bon...


Des soupers faits de surgelés parce que la famille n’a plus le temps...


Une mère obsédée par sa glorieuse carrière d’agente d’immeubles, ses chiffres de vente, son boss de Toronto...


De ridicules pseudo-châteaux à l’européenne, en fausse pierre, dégoulinants de « quétainerie », tous en banlieue, tous identiques, essayant pathétiquement d’imiter le vernis des vraies vieilles civilisations...


Des gens blasés, hébétés, zombis, médicamentés, qui échappent à leur quotidien dans des fins de semaine médiévales costumées...


Comment ne pas y voir un grossissement satirique d’une indéniable réalité ?


Chorale


Le Québec d’aujourd’hui n’en a que pour les humoristes, les concours de chant, la téléréalité, les émissions de cuisine, les écrans, les écrans, les écrans, la fuite en avant... et ne prend plus le temps de peler une pomme devant la mer.


On a décrété l’obligation sociale d’être festif, heureux, « po-si-tif », et de ne surtout plus se poser des questions graves et douloureuses, comme celles de l’indépendance ou de ce que c’est vivre une vie qui vaut la peine.


Arcand, c’est notre miroir, notre mauvaise conscience, celui qui montre les verrues de l’âme, nos échecs, notre vide existentiel.


Arcand, c’est celui qui refuse de chanter en chœur avec la chorale hypocrite des bons sentiments en carton-pâte.


On comprend que ça dérange beaucoup de monde...