La liberté d'expression, Dieudonné, les attentats de Charlie Hebdo, mais aussi le monde unipolaire en passe de devenir multipolaire, autant de questions auxquelles l'essayiste belge Michel Collon a accepté de répondre.
RT France : En France, quels sont les sujets qui font partie d'un consensus politique et médiatique et quels sont les sujets tabous ?
Michel Collon : On n'a pas le droit de dire que les Etats-Unis ont utilisé le terrorisme pour renverser toute une série de gouvernements qui ne leur plaisaient pas : Afghanistan, Yougoslavie, Libye, Syrie, Ukraine... On n'a pas le droit de dire qu'Israël est fondé sur le nettoyage ethnique de 1948 et que son régime est maintenant fondé sur un apartheid de fait. Tout cela ne peut pas être dit sinon on se fait traiter d'antisémite, de négationniste, de complotiste. En fait les médias français refusent le débat. On parle de liberté d'expression mais elle est limitée à ceux qui acceptent le système. Eux ont le droit de discuter sur le «comment» des choses mais ils ne discutent jamais sur le «pourquoi» : pourquoi autant de guerres menées par les Occidentaux sur la planète ? Pourquoi autant de faim dans le monde alors que les multinationales sont de plus en plus riches ?
RT France : Que risque celui qui n'entre pas dans ce consensus ?
Michel Collon : L'exclusion, le boycott, le plaquage d'étiquette : complotiste, amis des dictateurs, etc.. mais en général c'est la loi du silence, c'est l'omerta totale.
RT France : Que pensez-vous du fait que certains spectacles de Dieudonné sont interdits préventivement par crainte de troubles à l'ordre public ?
Michel Collon : Quoi qu'on pense de Dieudonné, et j'estime pour ma part qu'il a suivi une évolution regrettable en s'alliant à des gens d'extrême-droite, il faut quand même appliquer la liberté d'expression. Quand le gouvernement français tente d'interdire préventivement des spectacles, il viole la constitution. Vous ne pouvez pas accorder la liberté d'expression aux opinions qui vous plaisent et l'interdire à celles qui vous déplaisent. Si un délit est commis lors d'un spectacle, il y a des tribunaux qui pourront en juger. Mais interdire de façon préventive est un autre nom pour la censure. Ce n'est pas à l'Etat à nous dire quelle est la vérité, qu'elle soit historique ou politique.
RT France : Après les attentats contre Charlie Hebdo et l'hyper-casher, un débat en France avait eu lieu sur la liberté d'expression. Qu'en avez-vous pensé ?
Michel Collon: Les termes de ce débat ont été mal posés. On a eu la fiction d'une union nationale autour de grandes valeurs qu'il aurait fallu défendre sans se poser de questions. Or la manifestation du 11 janvier a été convoquée par le gouvernement et a été ternie par la présence de dictateurs. On a pu également voir aux côtés de François Hollande, Benjamin Nétanyahou. Que celui-ci puisse manifester à Paris pour la liberté d'expression alors que quelques mois plus tôt 17 journalistes palestiniens avaient été tués par l'armée israélienne, cela montre bien que cette manifestation était dans l'hypocrisie et la récupération.
Ensuite, il y a eu de la part de François Hollande toute une opération de marketing politique. Quand il se rend au siège de Charlie Hebdo après l'attentat, il est accompagné non pas de son ministre de l'Intérieur ou de son responsable de la sécurité mais de son chargé de la communication. La seule question qui l'intéressait était de savoir quelle image allait sortir de cette visite. Cela lui a plutôt bien réussi puisque il était alors au plus bas dans les sondages et a récupéré toute une partie de sa popularité, surffant ainsi sur l'indignation légitime de la population française.
Enfin, les participants à la manifestation ont montré qu'il y avait un clivage profond en France. Sociologiquement, les manifestants étaient largement blancs, plutôt âgés, appartenant à la classe supérieure. Ni la classe ouvrière ni les jeunes d'origine immigrée des quartiers populaires n'étaient là. Il y a eu la France «Je suis Charlie» et la France «je ne suis pas Charlie».
RT France : Quelle est votre analyse de ces attentats ?
Michel Collon : Tous les manifestants du 11 janvier étaient là pour condamner ces attentats abominables. Le problème est qu'on a assimilé ces actes à la population musulmane française. Il n'y a eu aucune interrogation sur le fait que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly faisaient partie de ces jeunes qu'on appelle «euro-djhadistes» et qui ont été envoyés en Syrie et dans d'autres pays dans une opération organisée par la CIA, financée par l'Arabie saoudite et le Qatar et soutenue par la Turquie. On a organisé et armé des milliers de frères Kouachi, toute une armée de mercenaires, pour faire en Syrie et en Irak exactement ce qu'ils ont fait à Paris. Laurent Fabius avait d'ailleurs déclaré à Marrakech en décembre 2012 : «C'est difficile de désavouer al Nosra en Syrie, car ils font du bon boulot». Al Nosra est la branche d'Al Qaïda en Syrie. Il faut vraiment sortir de la fausse unanimité du 11 janvier et ouvrir un véritable débat, poser les vraies questions, dépasser les étiquettes.
RT France : Ces attentats auraient donc été le retour de bâton des interventions occidentales au Moyen-Orient ?
Michel Collon : J'ai appelé cela le «retour du boomerang». On ne peut pas déclencher une vague de terrorisme étatique au Moyen-Orient sans qu'il y ait un retour. Les experts, les gens de la communauté musulmane disent qu'il y a énormément d'argent des pétro-dollars, de l'Arabie saoudite surtout, autour des mosquées, des lieux de vie des jeunes en France et en Belgique, mais aussi dans d'autres pays européens. Cet argent sert à accrocher des jeunes un peu perdus. On les manipule en leur disant qu'ils sont persécutés pour la seule raison qu'ils sont musulmans et on les endoctrine au nom d'un prétendu devoir de partir au combat en Syrie. Ils sont endoctrinés dans une version de l'islam qui est réactionnaire, fanatique et qui est la version de l'Arabie saoudite. Mais étonnemment, c'est cette version de l'islam qui est encouragée par les gouvernements des Etats-Unis et de l'Europe qui se prétendent démocratiques. On a provoqué cet euro-djihadisme dont la majorité des victimes sont les populations des pays musulmans et non les pays occidentaux.
RT France : Pourquoi les autorités françaises laissent-elles faire si cette influence de l'Arabie saoudite est si prégnante dans les banlieues françaises ?
Michel Collon: En raison d'une alliance entre l'Arabie saoudite, les Etats-Unis et l'Europe. Cela avait commencé avec l'Empire britannique qui avait placé au pouvoir la famille des Saoud, alors la tribu la plus réactionnaire et la plus isolée. Redevable envers l'Empire, elle n'a montré aucune indépendance. Les Etats-Unis ont pris le relais et ont noué une alliance lors de la rencontre secrète entre Franklin Roosevelt et le Roi Ibn Saoud (NDLR: Le pacte du Quincy a été scellé le 14 février 1945). Les Etats-Unis garantissaient à la monarchie saoudienne leur protection en échange de l'accès au pétrole.
En Europe occidentale, il y a un grand mécontentement de cette jeunesse issue de l'immigration en raison des discriminations et de l'islamophobie. Tout ce climat se traduit par des actes islamophobes et des violences à l'encontre des femmes voilées. Ces jeunes sont traités comme des sous-citoyens. Toutes ces frustations cumulées permettent que des filières organisées les recrutent grâce à l'argent de l'Arabie saoudite. Ils servent de mercenaires à cette guerre en Syrie ou en Irak à des Etats-Unis qui ne souhaitent pas déployer des troupes au sol. En cela Barack Obama est beaucoup plus malin que George Bush et ne s'est pas lancé dans des aventures hasardeuses. Il utilise maintenant ces jeunes pour semer le chaos et déstabiliser des pays qui lui résistent.
RT France : Que pensez-vous des réactions au livre d'Emmanuel Todd qui a très mal été accueilli par les médias et les politiques ?
Michel Collon : Emmanuel Todd a été victime d'un véritable terrorisme politique et médiatique car il a posé les bonnes questions. Je ne suis pas d'accord avec lui sur tout car je pense qu'il laisse de côté les facteurs internationaux et les liens entre les Etats-Unis et le terrorisme dit islamiste. Il a quand même été courageux et a brisé cette fausse union nationale. Il a montré cette islamophobie et ce climat hystérique qui nous ont empêchés de poser les bonnes questions. Quand on sait que beaucoup de jeunes rejoignent les rangs des djihadistes, pourquoi ne se demande-t-on pas pourquoi une telle fascination pour un mouvement aussi inhumain ? Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly n'étaient pas des étrangers mais étaient le produit de la société française. Emmanuel Todd a bien pointé que l'élite française avait faussé le débat. Si on pose bien ce débat, on est obligé de voir le soutien apporté par les Etats-Unis et leurs alliés européens au terrorisme en Syrie, en Libye, en Bosnie, au Kosovo mais aussi en Afghanistan.
Tout a commencé là d'ailleurs. Al-Qaïda a été créé par le conseiller du président Carter, Zbigniew Brzeziński pour renverser le gouvernement afghan et attirer l'URSS dans une guerre semblable à celle du Vietnam. Hillary Clinton a confirmé par la suite cela. Pourquoi les Occidentaux utilisent-ils le terrorisme comme une manière indirecte de faire la guerre ? Ce débat est exclu car les médias seraient aussi décrédibilisés, eux qui nous vendent chaque guerre comme on nous vend un dentifrice ou une voiture. Actuellement ils nous vendent pratiquement une guerre par an.
RT France : Vous parlez dans vos écrits de «mouvement de recolonistaion des Etats unis vers le monde». Qu'entendez-vous par là ?
Michel Collon : Depuis 1989, avec la guerre contre l'Irak puis contre la Yougoslavie, on est entré dans cette phase de reconquête de tout ce qui avait été perdu avec la décolonisation du monde après 1945. Les Etas-Unis sont en déclin économique et politique mais veulent garder leur suprématie sur l'accès aux ressources naturelles. Plus encore, ils tentent de limiter ce déclin en conquérant d'autres ressources. Ils essaient également d'empêcher l'émergence de puissances rivales comme la Chine ou la Russie, voire l'Inde. Toute cette guerre pour le pétrole, le gaz au Moyen-Orient fait partie de cette nouvelle guerre globale non déclarée pour savoir si les Etats-Unis vont rester la super puissance qui domine le monde ou s'ils vont devoir accepter l'émergence d'un monde multipolaire avec une coexistence des systèmes.
RT France : L'annonce faite par l'Otan de sa volonté de stocker des armes lourdes en Europe fait-elle partie de cette entreprise de recolonisation ?
Michel Collon : En 1989, quand Mikhaïl Gorbatchev a accepté la fin du Pacte de Varsovie, James Baker, alors Secrétaire d'Etat américain, lui avait garanti que l'Otan ne s'étendrait pas vers l'Est. Cette parole a été rapidement enterrée. Les Etats-Unis se sont lancés dans une extension de l'Otan vers les pays de l'Est, ce qui a abouti à l'encerclement de la Russie. Cela s'est traduit pas l'installation de bases militaires et par un bouclier anti-missile qui est en fait une arme offensive pour empêcher la Russie de riposter à une éventuelle attaque. Cet encerclement s'est concrétisé par un coup d'Etat et la prise de contrôle de l'Ukraine en utilisant des bandes fascistes. Il est évident que la Russie est un obstacle à la domination du monde car ce pays est une puissance militaire qui a les moyens de résister. Surtout la Russie mène une politique d'alliance avec la Chine. L'axe Moscou-Pékin se concrétise avec l'Organisation de Coopération de Shangaï et les tentatives de mettre sur pied un marché commun et une politique sécuritaire commune. Tout cela vise à construire un front alternatif, ce qui ne plait pas aux Etats-Unis.
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