On associe systématiquement le mot « lac » et le mot « plage ». Il est à espérer que ce soit de moins en moins vrai. De nombreux riverains, pour la première fois de leur existence, ont vu cette année leur plage coiffée d’une interdiction de tous travaux sur les rives. Plus de tonte de gazons, plus de remplissages de sable, plus d’écrasement à coup de pelle pour faire plus propre; des municipalités obligent les propriétaires de chalets à redonner à la forêt ses droits.
Il y a deux ans encore, de tels règlements eussent été décriés par la population. Un bon maire se serait fait mettre sous le nez une feuille de pétition. On aurait pesté contre le reboisement, vu comme une atteinte aux privilèges du propriétaire. On aurait à tout le moins demandé des accommodements pour que les arbres soient distribués par ordre hiérarchique sur les propriétés. On aurait clamé que la forêt n’est pas exempte de danger.
Il a fallu la contamination de nos lacs par l’algue bleue pour éroder une notion jusqu’alors inébranlable. Avant, négliger sa pelouse était le symbole même de l’irresponsabilité, un symptôme de l’indifférence civique. Et voilà qu’on apprend qu’en tondant, on laisse nos lacs à découvert, proie facile de l’insolation solaire. On aurait certes pu s’en douter mais chez l’humain, les coutumes mentales sont comme des filtres qui ne laissent passer que ce qui est confortable à comprendre.
Les plages et les pelouses sont comme des pentes, des voies d’écoulement alors que la forêt est comme un seuil de protection. La forêt retient, filtre, décante et transforme en humus, en sucs nourriciers. Sans elle, n’importe quel lac reçoit directement les alluvions, stagne sous leur emprise, vieillit précocement. Un rapport inquiétant du gouvernement montre que soixante pour cent de nos rives sont dépouillées de leur couverture naturelle.
Il y a cette manie burlesque des vacanciers de rechercher la campagne pour y installer leurs stratégies d’éloignement de la nature. On remplace les rochers semés de fardoche par du mortier et des murets. Un propriétaire semble ainsi conduit à signifier que son terrain est bien le sien en disposant ses contrefaçons de la nature puis en encerclant le tout de remises et d’entrepôts.
Sans l’algue bleue et la catastrophe appréhendée, il y a fort à parier que les bons citoyens se seraient mis à marchander par principe. On aurait vu quelque chose de brutal et d’injuste dans cette obligation de laisser pousser les arbres. On aurait allégué qu’on n’a pas tous à s’engager à être pareils car la nature écrase sans trop d’imagination avec ses frênes, ses bouleaux.
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Les règlements municipaux commencent à peine à poindre que des questions globales de gestion du territoire se soulèvent. Alors que les riverains sont passibles d’une contravention de quelques centaines de dollars s’ils tondent leur pelouse, un peu plus loin, sur un lac plus sauvage, encore à l’abri de l’algue bleue, des droits de coupes forestières sont accordées. À St-Donat, une autorisation touche directement le littoral du lac Sylvère.
La nouvelle est fortement ressentie. Comme exemple d’un programme environnemental où la main gauche ignore ce que fait la main droite, difficile de faire pire. Après avoir dit que les berges dénudées et ensablées aggravaient la dégénérescence des lacs, ces émissions de droits de coupes sur des flancs de montagne bien en bordures des plans d’eau, enflent l’inquiétude de la population.
Des experts de l’industrie forestière et des fonctionnaires ont beau soutenir que ses lacs ne sont pas encore contaminés, assurer qu’après la coupe, la compagnie laissera la terre à ses origines, sans y construire rambardes et passerelles comme les feraient des riverains férus d’imitations de jardins japonais, ce n’est pas une grande consolation. D’un côté on est menacé de contravention et de l’autre le gouvernement ne paraît pas animé d’un véritable sens de la responsabilité écologique.
Pour se changer les idées, le riverain qui s’ennuie de sa tondeuse à gazon va se promener dans son ponton motorisé. Le gigantisme gagne aussi les hors-bords. Désormais il y a ceux qui ont de la place pour quinze personnes, un four barbecue à trois paliers chauffants et même une liaison Internet : Tout ce qu’il faut pour laisser tourner le moteur longuement et remuer les algues bleues dans le sillage. Prenez garde. Ces plaisanciers sont souvent les premiers à dénoncer la pollution.
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Soudainement en guerre contre les murets et les plages, contre les verts gazonnés et fertilisés au bord des lacs contaminés, on ferme les yeux sur le reste. Si ce n’est pas en voie de contamination, pas de quoi être en avance sur les progrès de la veille, pas de quoi anticiper sur l’anticipation. Un maire a d’ailleurs beaucoup à faire, les effectifs dévolus à l’inspection et au respect des règlements nouvellement édictés étant fort réduits.
Nul ne sait qui vraiment vérifiera pour voir si des arbrisseaux repoussent. Les voisins seront certes à l’affût du bruit de la tondeuse de l’autre voisin sans qu’on puisse empêcher simultanément une défricheuse de balayer un mont. Le frêne repoussera sur le sable, à moins de faire fi des contraventions, mais vingt kilomètres plus loin, des forêts entières se verront transformées en gélatine pulpeuse. En outre, sur les lacs contaminés, les propriétaires ont droit de conserver l’espace déboisé dans le périmètre immédiat.
Rien de plus normal, serait-on porté à croire. L’ennui c’est que les maisons sont devenues énormes avec les années, des manoirs cossus de la taille d’hôtels, pourvus d’avenues dallées et de portails d’entrée en fer forgé. Il est de bon aloi aujourd’hui d’étaler sa richesse par la majesté de sa demeure. Quand celle-ci a la circonférence d’un paquebot, le périmètre immédiat touche tout le terrain. D’ailleurs, certaines grosses fortunes ont déjà pris le parti de payer les contraventions pour les quelques portions du domaine qui n’entrait pas dans le périmètre immédiat.
Il est souhaitable qu’on en arrive à des normes de construction sur les littoraux. Devenus au cours de la dernière décennie l’espace d’élection des parvenus, les manoirs n’ont plus rien à voir avec ce qu’on appelait des chalets. Les chalets étaient des maisonnettes, pas des bâtiments à quatre étages, gros comme des usines sous lequel perche un toit cathédral, vingt pignons, trente lucarnes.
Il reste à voir si une politique environnementale à la mesure de notre époque va voir le jour. Quelques municipalités essaient de faire de leur mieux en attendant le ministère. Et on ne sait plus si l’avis de reboisement des berges ne servira pas à recouvrir hypocritement nos sottises.
André Savard
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