MBC et René Lévesque : acculturation ou déni?

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Tribune libre

Dans un papier récent, MBC s’en prend à une « haine antiquébécoise » qui s’étalerait dans les réseaux médiatiques et sociaux. À le lire, on comprend bien vite que c’est plutôt sa conception du Québec, lui son champion, qui est mise à mal par des commentaires disgracieux…


L’une des allégations qui l’irrite le plus serait que, de par ses positions identitaires conservatrices, il ne se trouverait plus en filiation avec ces concepteurs et ces idéologues de la québécitude qu’il respecte tant, notamment les « René Lévesque, Camille Laurin, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard ».


Pour faire taire ses contradicteurs, MBC les accuse d’inculture en affirmant que : « René Lévesque était mille fois plus «identitaire» que les souverainistes d'aujourd'hui ». Et pour le démontrer, il nous ramène comme chaque fois le manifeste d’Option-Québec publié en 1968 ou un extrait d’un discours électoral de 1970.


MBC ne semble pas saisir la malhonnêteté de telles références. Ce n’est pas le Lévesque des débuts du PQ, celui qui se devait de capter l’électorat nationaliste canadien-français pour constituer sa base, qui doit être considéré, c’est avant tout le Lévesque au pouvoir.


Or, qu’elle pouvait être la conception de la nation chez Lévesque en 1980? Voilà la traduction de ce qu’il confiait aux « Quebecers » en mars de cette année-là :


Qui, à nos yeux, a supposément le droit de s’appeler Québécois ? […] « Québécois » est un nom qui, pour nous, unit tous ceux qui sont nés au Québec ou y vivent et il relie leurs diversités linguistiques, ethniques, culturelles, religieuses, géographiques et autres. C’est la marque d’appartenance à un peuple et à une terre et l’usage du mot Quebecer ou « Québécois », deux mots équivalents, n’est d’aucune façon la propriété exclusive d’un seul groupe, encore moins d’un seul parti (tiré de Xavier Gélinas 2008).


À la lecture de ce texte, paru quelques semaines avant le référendum, peut-on vraiment dire, comme MBC, que « le système médiatique a fabriqué depuis quelques années un René Lévesque aseptisé, quasi-trudeauiste, pour mieux accuser ses successeurs de dérive conservatrice. L'ignorance pave souvent le chemin de la bêtise »? Eh bien non. Lévesque avait grandement évolué depuis 1968, tout comme la québécitude, et la bêtise, dans ce cas bien précis, serait de le nier.


La « québécitude » de Lévesque en 1968 n’est donc pas celle de la loi 101 qui n’est déjà plus celle de 1980. Cette québécitude se précisera plus tard par la loi 99 de Bouchard, puis par la loi 21 de Legault. La québécitude évolue sans cesse vers un plus grand pluralisme identitaire qui se rapproche forcément du multiculturalisme canadien et qui favorise, dans un contexte nord-américain, un bilinguisme étendu.


Même la dernière nouveauté, cette « culture de convergence » promue depuis quelques années par le milieu nationaliste auquel participe MBC, concept promis à un bel avenir, repose sur un enrichissement évolutif d’une culture commune dans le respect d’une diversité célébrée…


En définitive, -et bien d’autres l’ont déjà constaté- le Québec de Lévesque est une variation réduite du Canada de Trudeau, mais où la langue d’État prépondérante peut être le français, le temps du moins que les Canadiens-Français y demeureront majoritaires. Or, quiconque fréquente Montréal sait qu’une fois cette majorité perdue, l’anglais reprend l’avantage. On ne peut dire le contraire, comme Trudeau, Lévesque cherchait bel et bien à faire évoluer les Canadiens-Français, à les transformer en autre chose.


Alors, qu’est-ce qui expliquerait le décalage historique de MBC au sujet de Lévesque et au sujet de la québécitude? Je me refuse à croire qu’il nous tromperait sciemment. Alors quoi? Une acculturation si profonde qu’il ne peut plus saisir ce qui constitue une identité nationale, cette conscience séculaire qui fondait la nation canadienne-française (lui qui se félicite en effet de servir une incertaine « majorité historique »)? Ou mieux, un déni de réalité, un outil de défense psychologique qui préserverait l’idéalisation de la québécitude que son entourage et ses maîtres à penser lui auraient transmise, une idéalisation sur laquelle reposerait son estime de lui-même, sa personnalité publique et sa carrière?


En soi MBC n’est pas important, c’est un autre de nos surdoués dont on aura gâché le talent en le consignant au rôle de motivateur de boomers, à l’intellectuel distingué (mais pas trop quand même) qu’on rétribue pour maintenir un équilibre, pour entretenir des accroires essentiels à l’ordre établi (et ils sont nombreux comme lui, car c’est là une des tâches de Quebecor Media : donner voix aux multiples mouvances souverainistes/nationalistes afin de maintenir l’illusion de débats politiques, et surtout, de masquer le déclin rapide des Canadiens-Français). En revanche, la mise en lumière de ses contradictions peut nous aider à sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons depuis le dernier référendum.


Car déni de réalité ou acculturation, il est loin d’être le seul à en souffrir. Collectivement, nous sommes contraints de nous nourrir d’une québécitude qui n’a plus aucune préoccupation pour l’avenir des Canadiens-Français, aucun égard envers la nation française que nous formions et que nous sommes encore. Nous subissons de manière constante un « double discours » qui nie notre caractère national propre, tout en prétendant servir notre affirmation au sein d’un « peuple québécois » plus grand que nous. Précisément ce qu’on retrouve chez nos chroniqueurs et nos politiciens qui modulent sans cesse la signification du mot « québécois » pour mieux la faire coller à leurs intérêts du moment, et cela, sans se soucier de la confusion identitaire que cela induit et de la régression nationale qui en découle depuis 50 ans.


Ouvrir les yeux sur la perversité « orwellienne » de la québécitude, est la seule chose qui pourrait nous amener à nous reconstruire, à recouvrer notre conscience nationale.


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