Marcel Gauchet: «La protestation populiste exprime une demande de démocratie»

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« Toujours est-il que les populistes sont là pour nous rappeler que la démocratie, c’est aussi la souveraineté du peuple. »


TRIBUNE - Le philosophe Marcel Gauchet voit dans «Recomposition, le nouveau monde populiste» (éditions du Cerf) l’ouvrage d’Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro* , un «reportage d’idées» qui permet de cerner de façon précise une question politique cruciale des années à venir.


Par Marcel Gauchet





«Au lieu de s’enfermer dans les statistiques électorales, Devecchio va à la rencontre des acteurs, s’enquiert de leur point de vue, multiplie les éclairages», indique Marcel Gauchet. Illustration Fabien Clairefond


La tâche politique la plus importante du moment, chacun en conviendra, est de prendre la mesure de la protestation dite «populiste» qui secoue un peu partout le consensus libéral. On ne peut rêver meilleure introduction, à cet égard, que le livre d’Alexandre Devecchio. Il appartient au genre trop peu pratiqué du reportage d’idées, l’instrument le plus approprié, pourtant, lorsqu’il s’agit de cerner un phénomène émergent, hétéroclite, aux contours et aux ressorts mal définis.


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Au lieu de s’enfermer dans les statistiques électorales, Devecchio va à la rencontre des acteurs, s’enquiert de leur point de vue, multiplie les éclairages. Il promène ainsi son lecteur de l’Amérique de Trump à la Hongrie de Victor Orban, en passant par l’Italie de Beppe Grillo et de Salvini, sans oublier la France des «gilets jaunes». Cela donne un livre vivant, remarquablement informé, qui rend sensible à la fois la diversité de cette nébuleuse populiste et la convergence des aspirations qui la nourrissent. S’il existe quelque chose comme une internationale populiste, elle a autant de visages que de situations nationales singulières. Mais il y a bien, cependant, une inspiration commune qui fédère en profondeur ces mouvements éruptifs. Devecchio le souligne avec force, c’est la thèse majeure qui se dégage de son enquête, et je la crois juste: la protestation populiste exprime fondamentalement une demande de démocratie et non un rejet de la démocratie, comme le plaident à l’envi ses innombrables détracteurs.


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Devecchio commence ainsi par balayer le cliché en forme d’épouvantail du «retour des années 30». Ce cliché ne témoigne que de l’ignorance historique de ses utilisateurs quant à ce que pouvaient être les organisations totalitaires et leurs idéologies. N’en déplaise à Edwy Plenel, nos musulmans d’aujourd’hui ne sont pas les juifs de l’Allemagne hitlérienne! Les populismes sont de leur temps, pour le meilleur et pour le pire. Ils sont les enfants de la société des individus, des médias et des réseaux sociaux. C’est ce qui fait de leur démarche protestataire plus un style politique qu’une identité constituée, dit Devecchio, reprenant l’analyse de Pierre-André Taguieff.


«Démocratie illibérale»


Autre confusion à dissiper: l’amalgame avec les autoritarismes et autres démocratures qui fleurissent en divers points du globe. S’il est exact qu’il existe un certain appel à l’autorité dans les populismes, c’est une autorité d’un tout autre ordre que celle des néodictateurs. C’est l’autorité des choix démocratiques, précisément, contournée, voire tendanciellement écartée de nos régimes, tantôt au nom de contraintes présentées comme incontournables, tantôt au nom de normes soustraites à la décision majoritaire. Une tendance qui devrait préoccuper davantage les véritables amis de la démocratie. Toujours est-il que les populistes sont là pour nous rappeler que la démocratie, c’est aussi la souveraineté du peuple. Il faut lire de ce point de vue le chapitre qu’Alexandre Devecchio consacre à la «démocratie illibérale» selon Orban. On verra qu’elle mérite plus d’attention que les indignations automatiques dont se suffisent généralement nos commentateurs.


Le populisme ne nous ramène pas en arrière et ne nous emmène pas ailleurs, dans des directions qui seraient étrangères à la philosophie fondamentale de nos régimes


Bref, le populisme ne nous ramène pas en arrière et ne nous emmène pas ailleurs, dans des directions qui seraient étrangères à la philosophie fondamentale de nos régimes. Il est au contraire un phénomène interne aux démocraties occidentales. Il exprime une contradiction surgie dans leur évolution. Il est une réaction aux transformations qu’elles ont connues sous l’effet de la mondialisation, qu’il s’agisse du choc migratoire, de l’appauvrissement des classes moyennes ou de la marginalisation des territoires périphériques, toutes transformations qui se traduisent dans une dépossession des peuples et des nations de la maîtrise de leur destin.


C’est dire l’enjeu du diagnostic. Il n’oblige nullement à épouser une cause souvent entachée de confusion et d’excès, mais il impose de la prendre au sérieux. De même que la démocratie du XXe siècle s’est affermie en sachant répondre à une question sociale qui la défiait au nom d’une révolution illusoire, la démocratie du XXIe siècle devra répondre à la question politique soulevée par les populismes. Ils la rappellent à ses principes constitutifs. Son plus grand péril serait d’ignorer cette interpellation. Devecchio à raison d’y insister: c’est un «plaidoyer pour la démocratie» qu’il nous livre. Il est son meilleur avocat, contre l’aveuglement des procureurs et des professeurs de morale.


* «Recomposition. Le nouveau monde populiste», d’Alexandre Devecchio, Éditions du Cerf, 304 p., 19 €.


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Marcel Gauchet, né en 1946 à Poilley (Manche), est un historien et philosophe français. Il est actuellement directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, au Centre de recherches politiques Raymond-Aron et rédacteur en chef de la revue Le Débat.

[WIKI->http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Gauchet]