Lucien Bouchard m’obsède

Il a préféré la riches­se à la gloire

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Chez les indépendantistes, je fais partie d’une race bizarre : j’estime à la fois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Normalement, il faut choisir un des deux. Je n’ai jamais pu. Aujourd’hui, c’est du deuxième dont je vous parlerai. Parce qu’il est sorti de sa réserve la semaine dernière.
Lucien Bouchard, c’est d’abord un charisme incroyable. Non pas un charisme préfabriqué par des zozos en marketing. Mais un charisme tragique. Ombrageux. Celui d’un homme immensément cultivé qui ne voyait pas la politique comme un technocrate.
Celui d’un homme qui sentait son peuple sans se fier aveuglément aux sondages. Il savait où les Québécois se trouvaient. On le voyait encore il y a quelques jours. Il rappelait que l’ordre public n’est pas une fiction policière, mais la condition de la démocratie.
Le meilleur et le pire
Cet homme a été capable du meilleur. En 1990, quand Meech échouait, il incarnait la révolte profonde des Québécois. Il mettra son prestige au service de l’indépendance. Sans lui, le Québec n’aurait pas frôlé la souveraineté en 1995.
Il faut se souvenir de ses discours au référendum pour s’en convaincre. Alors que la campagne du OUI démarrait mal, Lucien Bouchard, avec une rhétorique classique, puissante et imagée, a su toucher la corde sensible de l’identité nationale.
Cet homme a aussi été capable du pire. On l’a vu avec l’impardonnable affaire Michaud. À ce moment, Lucien Bouchard a laissé planer le soupçon de l’antisémitisme sur Yves Michaud pour faire une purge dans son propre parti. On se demande encore comment il a pu tomber aussi bas.
Pourtant, il était évident qu’après sa démission de 2001, l’histoire entre Lucien Bouchard et le Québec n’était pas terminée. Lucien Bouchard aurait pu, aurait dû être notre grand homme. Celui qui revient en politique une dernière fois pour redresser la nation, pour la rassembler.
On lui imaginait deux rôles. Celui qui revient pour faire l’indépendance. Les Québécois l’auraient suivi. Celui qui revient pour mener la grande réforme du modèle québécois à laquelle il croit. Aussi pour restaurer certaines valeurs de fond, comme l’effort, le mérite, le travail, l’enracinement.
Le conservatisme de Lucien Bouchard aurait pu faire du bien au Québec.
Bouchard aurait pu promettre le redressement dans la sueur et les larmes. Traverser avec nous les années difficiles qui rendent possible la renaissance. Nous l’aurions cru.
Il a préféré un autre rôle. Il a préféré la riches­se à la gloire. La prospérité au destin. La politique l’intéresse encore. Il demeure toutefois dans l’espace public non plus comme un grand homme en réserve de la république, mais comme un père Fouettard donnant des leçons au peuple immature.
Destin avorté
Réfléchir à Lucien Bouchard, c’est réflé­chir au destin avorté de certains grands hommes. Celui d’un homme qui avait le sens de la nation, mais qui rêvait de se faire aimer par les adversaires décla­rés de l’indépendance. À travers lui, c’est l’impuissance québécoise qui se mani­feste.
Lucien Bouchard m’obsède. J’ai la nostalgie de ce qu’il a été. Un grand tribun de l’indépendance. J’ai le sentiment de ce qu’il aurait pu être : un Churchill québécois. Mais j’ai le regret de ce qu’il est devenu. Un commentateur prospère et grognon de nos déboires collectifs.


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