Jean-Thomas Lesueur, délégué général, et Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More.
Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité ont décidément un problème avec la liberté, notamment la liberté d’expression. Ils n’en finissent plus de chercher, sans fard ni vergogne, à contrôler l’information sous toutes ses formes dans notre pays.
Le 15 janvier dernier, c’était le président de la République lui-même qui, lors de ses vœux à la presse, déclarait de manière stupéfiante: «Nous sommes confrontés à la lutte contre les fausses informations, les détournements sur les réseaux sociaux. L’éducation reste le fondement de cette lutte. Il nous faut donc pouvoir répondre à ce défi contemporain, définir collectivement le statut de tel ou tel document»… Puis il y a eu, en pleine crise du Covid-19, l’initiative gouvernementale visant à imposer une plateforme de «ré-information» ou de «validation» des informations jugées fiables publiées dans les médias ou sur les réseaux sociaux au sujet de la crise sanitaire. Baptisée «Désinfox coronavirus», la plateforme a été heureusement retirée le 5 mai suite au recours déposé en urgence par le Syndicat national des journalistes (SNJ) devant le Conseil d’État.
Aujourd’hui, c’est la proposition de loi Avia visant à «lutter contre les contenus haineux sur Internet», qui fait son grand retour à l’Assemblée nationale, en plein état d’urgence sanitaire, pour être discutée en séance publique (mais dans les conditions restrictives adoptées par la chambre dans le cadre de la crise sanitaire) ce mercredi 13 mai. Cette proposition de loi - très décriée, pour ne pas dire contestée, par de nombreuses organisations telles que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Conseil national du numérique et même la Commission européenne - va donc encore une fois faire l’objet d’une tentative de passage en force par le gouvernement qui avait engagé une procédure accélérée sur le texte en mai 2019.
Cette proposition de loi est, dans son fondement même, particulièrement liberticide.
Il est hélas plus que probable qu’il sera adopté, du simple fait de la majorité dont dispose le gouvernement et de la faible mobilisation parlementaire, notamment à droite (hors de quelques exceptions notables). Il est à craindre également qu’il sera mis en application dans un délai extrêmement court, si l’on en croit le secrétaire d’État au numérique Cédric O, qui a affirmé lors de son audition devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée le 5 mai dernier: «Il s’agit maintenant de faire en sorte de prendre les décrets d’application au plus vite pour que cette loi s’applique»…
Cette célérité gouvernementale, en pleine phase de déconfinement, période délicate s’il en est et qui devrait mobiliser toute l’attention de l’exécutif, interroge et inquiète. Serait-ce qu’il anticipe le moment où des comptes lui seront demandés pour sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire, en misant sur des outils orientant favorablement le «débat public»? On ne sait et on n’ose le penser…
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En tout état de cause, et quelles que soient les circonstances, cette proposition de loi est, dans son fondement même, particulièrement liberticide. En effet, la notion de «contenus haineux» n’est tout simplement pas recevable puisqu’elle ne peut faire l’objet d’aucune définition juridique. C’est la porte ouverte au plus pur arbitraire. Comme l’a écrit l’essayiste et avocat François Sureau, «en se fondant sur la notion de haine, qui est un sentiment, relevant du for intérieur, la loi introduit désormais la répression pénale à l’intérieur de la conscience».
La qualification d’un « contenu haineux » ne sera pas la même selon les croyances et les convictions de chacun.
La notion de «contenu haineux» est donc, non seulement juridiquement incertaine (car non définie et indéfinissable), mais totalement dépendante de l’intention de son auteur au moment où il la diffuse ainsi que des a priori et des convictions du lecteur ou de l’autorité administrative qui en demandera la censure. La loi Avia provoque ainsi un basculement juridique vers la pénalisation de l’intention morale de l’auteur, tel que dénoncé dans le film de science-fiction Minority Report…
Car il est bien évident que la qualification d’un «contenu haineux» ne sera pas la même selon les croyances et les convictions de chacun. Par exemple, mais ce n’est qu’un exemple parfaitement conjectural: l’affirmation selon laquelle le Président de la République et le gouvernement ont menti en toute connaissance de cause quant à l’absence de masques et à leur efficience dans la lutte contre l’épidémie devra-t-elle être considérée comme un «contenu haineux»?
Certain affirmeront que c’est un simple constat, étayé par des faits mis en lumière par plusieurs enquêtes journalistiques. D’autres défendront l’action du gouvernement avec des arguments et des contrefaits. D’autres encore se contenteront d’y voir une «incitation à la haine». Si ces derniers l’emportent, la liberté d’expression quittera définitivement le registre des libertés fondamentales dans notre pays.