Les Québécois issus des minorités visibles sont quasi absents des conseils d’administration des plus importantes sociétés d’État du Québec, a constaté Le Journal.
Même si elles forment près de 13 % de la population québécoise et le tiers de celle de la métropole, aucune personne issue des minorités visibles ne siège à un conseil d’administration de Loto-Québec, d’Hydro-Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Seul Investissement Québec en compte une.
À la Société des alcools du Québec (SAQ), on dit ne pas les « comptabiliser », tout en indiquant que deux des douze administrateurs « se sont déclarés comme provenant d’une communauté culturelle ».
Pas d’explications
Loto-Québec et Hydro-Québec ont indiqué au Journal qu’elles seraient « heureuses d’accueillir » des Québécois issus de la diversité, mais elles ont rapidement décliné notre demande d’entrevue avec leur président de conseil.
À la Caisse de dépôt, il n’a pas été non plus possible de parler à la présidence. Le porte-parole Maxime Chagnon a défendu l’institution en précisant qu’« il y a eu [des minorités] par le passé et il y en aura dans le futur ».
La ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade, a reconnu qu’il y avait encore beaucoup de travail à faire. « Il faut que nos sociétés d’État, de manière générale, soient le reflet de la société », a-t-elle insisté.
« C’est déplorable en 2018. Aucun effort n’a été fait pour avoir ces candidats à des postes de conseil d’administration des sociétés d’État », regrette pour sa part Winston Chan, premier président du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec issu des minorités visibles.
« Quand vous appelez à des sociétés et qu’ils disent carrément qu’ils ne savent pas, ça démontre à quel point ce n’est pas important. Si ce l’était, ils établiraient des objectifs », soutient de son côté la présidente fondatrice de Gouvernance au féminin, Caroline Codsi.
Pas de loi
Mais pour la vice-première ministre, la solution ne passe pas nécessairement par des changements législatifs.
« Je ne sais pas si on est rendu à passer une loi », a laissé tomber Mme Anglade au cours d’un entretien.
Selon elle, les projets menés par des organismes de promotion de la diversité en entrepreneuriat comme Entreprendre ici sont très importants parce qu’ils répondent aux besoins exprimés par la communauté.
Cela dit, malgré la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État en 2006 et une politique adoptée par le Conseil des ministres en 2011, les résultats se font toujours attendre.
« Dans la Loi actuelle, on ne parle pas de “minorités visibles”, on parle de refléter la réalité sociale. La Loi n’est pas très claire », analyse le directeur général de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), Michel Nadeau.
Pour l’administratrice d’Investissement Québec Madeleine Féquière, elle-même issue des minorités visibles, il faut en faire plus. « La Loi ne dit pas que l’on doit avoir des minorités visibles, c’est peut-être là où le bât blesse », partage-t-elle.
PHOTO COURTOISIE
Madeleine Féquière
Administratrice d’investissements
Pas de mauvaise foi
« Je ne pense pas que c’est de la mauvaise foi, mais il faut vraiment faire une sensibilisation très pointue pour que les gens finissent par comprendre que les conseils doivent vraiment représenter la société québécoise », plaide Madeleine Féquière.
Minorités visibles siégeant aux CA
- Loto-Québec : 0 sur 9
- Investissement Québec : 1 sur 14
- SAQ : non disponible
- Hydro-Québec 0 sur 16
- Caisse de dépôt et placement du Québec : 0 sur 13
Sources : société d’État concernée
Note : « Les membres des minorités visibles sont des personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race ou de couleur blanche », selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
LES FEMMES MAJORITAIRES DANS 4 DES 5 CONSEILS
Douze ans après la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État adoptée par l’ex-premier ministre Jean Charest, les femmes sont aujourd’hui majoritaires sur quatre des cinq conseils d’administration étudiés par Le Journal. « C’est avant-gardiste. Le Québec est reconnu comme une société où la femme occupe une place de choix, même si on a encore des défis. Il ne faut surtout pas penser que tout est parfait », observe la numéro 2 du gouvernement Couillard, Dominique Anglade.
Même son de cloche pour la présidente fondatrice de Gouvernance au féminin, Caroline Codsi. « Quand on légifère, on trouve des femmes. Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses », lance-t-elle en précisant qu’il s’agit de « sa phrase fétiche ».
Mme Codsi rappelle qu’après l’adoption de la Loi, les sociétés d’État sont passées de 27,5 % à 52,4 % en l’espace de cinq ans.
Du progrès
« Je pense que les sociétés d’État ont beaucoup progressé sur la place des femmes », estime également le directeur général de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), Michel Nadeau.
Aujourd’hui, près de 67 % des membres du conseil d’administration de Loto-Québec sont des femmes. Chez Investissement Québec, c’est 64 %. À la Société des alcools du Québec, 58 % et chez Hydro-Québec, 56 %. Seule la Caisse de dépôt et placement du Québec traîne la patte avec 38 %.
« S’il n’y avait pas eu la Loi, je ne pense pas qu’on aurait la parité sur les conseils d’administration des sociétés d’État », est persuadée l’administratrice d’Investissement Québec Madeleine Féquière.
Après avoir lutté des années pour que les femmes prennent leur place aux conseils d’administration, elle a cofondé l’organisme Excellence Québec pour que les jeunes des minorités visibles puissent eux aussi percer cet autre plafond de verre.
Femmes aux CA
- Loto-Québec : 6 sur 9
- Investissement Québec : 9 sur 14
- SAQ : 7 sur 12
- Hydro-Québec : 9 sur 16
- Caisse de dépôt et placement du Québec : 5 sur 13
Sources : société d’État concernée
MINORITÉS VISIBLES EN QUELQUES CHIFFRES
Québec (province) : 1 sur 10
Canada : 2 sur 10
Montréal : 3 sur 10
Québec (ville) : Moins de 1 sur 10
Source : Statistique Canada, Recensement de 2016