Les miettes tombées de la table

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Le ridicule de la situation n’échappe à personne. On a tous vu le film diffusé par Anonymous qui montre tout le gratin du 1 % des nantis de notre pays évoluant, avec aise, dans un décor d’un luxe inouï, digne d’une production hollywoodienne, sans l’ombre d’un doute sur son bon droit de faire ce qu’elle veut de son argent. La famille royale reçoit. Tout ce beau monde jurerait, sans hésitation et la main sur le coeur, que ce qu’il dépense dans la région permet au bon peuple d’en profiter d’une certaine façon et qu’il fait sa « juste part » avec des impôts à payer, même s’ils ne paieront tous que 200 $ de plus pour l’assurance-maladie du Québec, ce qui est la même somme que pour tous les autres citoyens québécois, même les plus pauvres. Parce que c’est la justice et que plus tout le monde est égal, mieux c’est pour tout le monde.
La fête peut continuer puisqu’on ne manquera jamais de rien et que la vie est plutôt facile. Tout le monde travaille pour tout le monde. On se rend volontiers service. On s’entraide. On ouvre des portes pour ceux qui en ont besoin, on recommande pour des postes payants, on fait des alliances, on livre la marchandise, mais on s’attend toujours à un retour d’ascenseur. Je te gratte le dos, tu grattes le mien… La table du vrai pouvoir déborde… Les miettes sont très recherchées. On est prêt à se mettre à genoux pour les ramasser.
À l’autre table, celle des étudiants, qui sert de cantine aux représentants des associations étudiantes en grève depuis près de 110 jours, c’est dans la dignité qu’on se fait dire qu’il n’y a plus rien à manger depuis longtemps, que les carottes sont cuites et que les casseroles vont devoir se trouver une autre justification, car elles ne serviront plus à donner à manger à qui que ce soit.
Si elle réussit bien à rouler les étudiants dans la farine pour la deuxième fois, elle sera sans doute invitée, elle aussi, à la prochaine grande fête des riches pour « service rendu ».
Les leaders étudiants, qui sont arrivés animés d’une belle confiance, dépérissent de jour en jour. Martine a avoué qu’ils avaient frappé un mur. Gabriel tient le coup même s’il a dû se dire cent fois qu’il vaudrait mieux quitter la table que de se faire offrir du pain noir à chaque repas. Léo n’est plus que l’ombre de lui-même. Il avait l’espoir de régler la question des droits de scolarité comme un dernier cadeau à faire à ses membres avant de quitter son poste de représentant de la FECQ. Il est peu probable que ça se fasse.
De la table de négociation, il ne tombe que des miettes vieilles de plusieurs mois, des nouilles trop cuites et réchauffées si souvent qu’on en arrive à ne plus pouvoir les regarder. Même la sauce 78, récemment mise sur le marché, n’a pas réussi à les rendre plus attrayantes. Les jeux sont faits. Rien ne va plus.
Il faudrait un miracle pour que les étudiants puissent en sortir gagnants.
Un jour, le maire Labeaume de Québec est entré dans le bureau du Jean Charest. Il en est ressorti un peu plus tard avec un engagement de quelques centaines de millions pour la construction d’un aréna à Québec. Charest avait sûrement trouvé tous ces millions dans sa petite cassette personnelle puisque le gouvernement n’a pas d’argent. C’est un refrain bien connu.
Depuis, ont défilé les sommes faramineuses qu’allait nous coûter le développement du Plan Nord, où monsieur Charest a proposé d’envoyer les étudiants chercher du travail, vous vous souvenez ? Je crois même que c’est ce jour-là que les demandes étudiantes sont devenues les demandes du peuple du Québec.
C’est ainsi que nous sommes devenus le 99 % d’une population qui ne veut plus être au service du 1 % qui ne nous laisse que les miettes. Nous voulons notre « juste part » du gâteau arrosé d’une bonne couche de respect pour ce 99 % qui a construit ce pays et qui s’est fait dire pendant tout ce temps qu’il était né pour un petit pain.
Nous tenons à la solidarité sociale qui nous unit. Nous tenons à nous redonner une démocratie véritable et pas juste une pâle imitation qu’on nous vante comme si c’était la merveille des merveilles. Nous tenons à l’éducation de nos enfants parce que nous tenons à briller parmi les peuples instruits du monde.
Pour ces objectifs, nous sommes prêts à nous mobiliser, nous sommes prêts à nous serrer un peu plus la ceinture s’il le faut, mais à condition qu’on cesse le gaspillage de l’argent que nous mettons en commun, nous sommes prêts à respecter les lois qui nous respectent, et nous sommes prêts à voter chaque fois qu’il le faudra. Comme maintenant, par exemple.


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