Il est devenu commun en France de s'autoproclamer républicain. Aujourd'hui ce noble mot est vidé de sa substance. Rappelons que notre République vit le jour dans la Révolution et l'abolition de la royauté à la fin du XVIIIe siècle. Elle vit naître la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avec pour principes ceux de "liberté, égalité, fraternité", qui émergeront un siècle après, à la fin du XIXe siècle.
Etre républicain, c'est légitimer notre Histoire révolutionnaire et l'abolition des privilèges. De ce point de vue, la grande grève étudiante qui se poursuit depuis plusieurs mois au Québec peut être interprétée à travers le prisme républicain. Il y est certes question d'une certaine abolition des privilèges, mais aussi d'une vision universaliste de la société en questionnant l'accès à l'enseignement supérieur. Qui aurait pu imaginer que les très conciliants Québécois auraient initié le Printemps Érable ? Quand le gouvernement libéral de Jean Charest a présenté sa réforme visant à augmenter de près de 85 % les frais de scolarité, il n'a fait que forcer la main de la jeunesse en lui présentant un projet qui ne figurait pas dans le programme du parti, sans même lui avoir permis d'en débattre. Par-delà les considérations comptables du gouvernement, c'est contre un registre sémantique que la jeunesse s'est opposée. Celui-ci n'a cessé d'associer l'université au seul monde entrepreneurial, usant d'un langage commercial affirmant que les étudiants devaient voir en leur diplôme le "meilleur placement" d'avenir et arguant de la nécessité de "s'acheter une éducation".
Encore faut-il en avoir les moyens. Lors d'une manifestation féministe, plusieurs étudiantes ont exprimé leur indignation au pied du ministère de la condition féminine, dénonçant des situations déjà extrêmement difficiles nécessitant de concilier études de haut niveau, travail salarié en horaires décalés et maternité. Quant à l'immense majorité des étudiants dans leur diversité, c'est contre une université de classe qu'ils s'érigent, où seuls ceux qui auront les moyens d'accéder à l'enseignement supérieur seront accueillis. Gangrénant le système universitaire de leur philosophie politique, les papes dogmatiques du néolibéralisme font de l'étudiant-citoyen un médiocre consommateur.
Aujourd'hui, à travers la revendication d'une université accessible, voire gratuite, les étudiants opposent leur vision d'un grand service public de l'instruction. L'université confédère en son sein la transmission de différents domaines du savoir. Par la passation des connaissances, elle s'affirme comme une institution d'émancipation vis-à-vis de toute tutelle extérieure. Le gouvernement Charest, par sa politique, impose une vision particulière du monde, et de ce fait choisit de transformer l'université en un lieu de formatage des consciences. Le discours politique étudiant, certes multiple mais en accord sur l'essentiel, n'a jamais été entendu par le pouvoir en place.
Après avoir refusé de favoriser un dialogue social constructif, il a privilégié une approche purement répressive du mouvement de grève, pratiquant la violence et les arrestations en masse, faisant adopter la Loi 78, qui restera comme une tâche indélébile sur cette administration, privant les Québécois du droit démocratique élémentaire de manifester, censurant toute forme de liberté d'expression et de réunions, aussi pacifiques soient-elles, et menaçant les étudiants d'amendes pouvant aller jusqu'à 250 000 dollars. Cela témoigne de beaucoup d'ignorance de la part d'élus qui ne perçoivent leur jeunesse que comme une masse confuse et dangereuse, tant qu'elle n'acquiesce pas aveuglément aux décisions qui la concernent.
Lieu d'émancipation vis-à-vis de ce que le pouvoir aime nommer les "réalités", les étudiants refuseront désormais toute forme de compromission. Ils accuseront et récuseront toute "réforme" visant à modeler l'université, à dénaturer sa mission fondamentale et à réduire son accessibilité en raison des contraintes économiques du moment. Les prochaines élections peuvent invalider l'action du gouvernement. La coalition souverainiste qui rassemblerait notamment le Parti Québécois et Québec Solidaire est l'une des alternatives à la crise politique.
Face à une dégradation démocratique, une crise politique et morale aussi grave, le Québec doit prendre la mesure des orientations entre lesquelles il va pouvoir se prononcer. Les Québécois valideront-ils une politique en faveur des intérêts particuliers, contrecarrant l'indépendance de la justice et des médias, faisant régresser toujours davantage les services publics, prônant béatement le multiculturalisme, et défendant corps et âme les théories économiques de Milton Friedman ? Ou bien épauleront-ils un projet unificateur, progressiste, social, universaliste et laïc, en faveur du bien commun et de l'intérêt général ? Nul doute que les étudiants prendront leur juste part dans ce scrutin décisif.
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Alban Ketelbuters, doctorant en lettres à l'Université du Québec à Montréal (UQAM)
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