Les habits neufs de la droite

Crise mondiale — crise financière


Les banques et firmes multinationales oeuvrant dans le système financier (marchés à terme, spéculation sur les variations des taux de change, financement des États par achat et courtage des bons du Trésor, produits financiers de plus en plus sophistiqués, c’est-à-dire tordus) ont institué un nouvel ordre mondial échappant à tout pouvoir citoyen, même au pouvoir politique à qui il pourrait ou devrait être imputable puisqu’il bénéficie d’une légitimité issue des urnes.
Georges Corm dénonce et surtout explique Le nouveau gouvernement du monde (idéologies, structures, contrepouvoirs) qui n’est redevable à personne et prétend à son entière autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics comme si c’était une évidence n’ayant pas à être démontrée ou justifiée.
Les instances politiques, étatiques ou supranationales (systèmes des Nations- Unies, G-6, G-7, G-8 et maintenant G-20), ont abdiqué toute volonté d’exercer un leadership économique laissant la place (le pouvoir) à des institutions comme les banques centrales (au niveau des États), la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.
On pose comme une évidence que les banques centrales doivent être indépendantes des gouvernements, sans vouloir admettre que cette liberté sans entrave les met au service des intérêts privés (banques et système financier).
Georges Corm dénonce l’adhésion des élites intellectuelles et politiques aux dogmes néolibéraux. Cette adhésion, parfois venue de la gauche (Alain Minc, Jacques Attali), rejette les différents courants idéologiques ayant influencé la pensée politique et économique depuis le milieu du XIXe siècle.
Issus du siècle des Lumières (les Encyclopédistes) ou, même plus loin dans le temps, du rationalisme cartésien, ces courants idéologiques voulaient abolir la pauvreté (tant économique que culturelle), l’exploitation de l’homme par l’homme, le colonialisme en assurant une répartition équitable des richesses; répartition équitable qui ne peut être réussie que par une volonté politique plutôt que grâce à la «main invisible du marché» chère à Adam Smith.
De Jean- Jacques Rousseau à John Keynes (en passant par Marx), c’est toute la théorie critique qui est jetée aux poubelles.
Heureusement, il existe encore des esprits critiques refusant de capituler face aux nouveaux dogmes. Ainsi, l’école de Frankfort (lieu d’un renouvellement du marxisme) ou le Monde diplomatique auquel Corm contribue régulièrement.
Le texte de Corm se veut plus ou moins le pendant économique de l’analyse philosophique de Jürgen Habermas qui, dans Après l’État-nation, avançait que l’Union européenne devrait avoir la volonté politique de corriger les effets du marché, d’imposer des réglementations pour créer des effets de redistribution, le contraire de la pratique actuelle des eurocrates de Bruxelles (siège de l’Union européenne) et de la Banque centrale européenne.
Georges Corm montre qu’il faut appliquer au niveau mondial la thèse de Habermas.
Le triomphe du néolibéralisme est d’abord théorique par la négation d’une alternative, surtout depuis la disparition du Bloc de l’Est; puis est devenu très concret avec la multiplication des hommes d’affaires à l’honnêteté douteuse devenus chefs d’État ou de politiciens devenus milliardaires (Berlusconi, Poutine, Fujimori au Pérou, Suharto en Indonésie).
L’État, presque partout, devient une pompe à finances au service des, déjà, plus riches tout en se soumettant sans résistance aux volontés d’institutions comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale.
Presque partout, cette abdication des États a produit les mêmes effets : spirale d’endettement public, diminution des services publics, pillage des matières premières, émigration des plus qualifiés (un nouvel exode des cerveaux) alors que certains pays ont tenté une autre voie (tout en restant dans un cadre capitaliste).
Ainsi, la Corée du Sud, Singapour et le Brésil ont exercé un certain dirigisme économique pour développer une économie qui en ferait autre chose qu’une économie exportatrice de main d’oeuvre comme le Mexique ou les Philippines.
Le néolibéralisme a triomphé sur un autre plan. Partout, les écoles de gestion, les départements de sciences économiques des universités, les think tanks donnent des programmes semblables pour former des cadres qui sauront bien faire fonctionner le système.
Georges Corm construit son raisonnement en puisant à des sources diversifiées. Il utilise les recherches de Galbraith sur l’euphorie financière ou les effets de l’ère de l’opulence, les critiques des institutions d’Ivan Illich, les travaux du Club de Rome sur la limitation de la croissance, la nécessité du «small is beautiful» de Schumacher et même des valeurs religieuses.
Alors que les néoconservateurs (surtout américains) n’hésitent pas à utiliser des valeurs ou des cautions religieuses pour justifier les inégalités ou l’injustice, Corm pense que la résistance aux valeurs néolibérales peut s’appuyer sur des valeurs religieuses (chrétiennes et musulmanes surtout).
Ce chrétien libanais, maronite, a été influencé par Nasser (indépendance et unité arabe), il parraine le Tribunal Russell sur la Palestine et appuie divers courants politiques musulmans (non pas islamistes).
Cette confluence des doctrines sociales inspirées par des courants religieux l’amène à penser que les questions économiques peuvent être pensées à partir des fondements de l’éthique.
Niant l’enrichissement sans cause, l’accumulation de richesses comme but de l’existence pour favoriser plutôt la notion de bien public et la nécessité que le progrès économique soit mis au service de la société, les religions pourraient agir comme un frein à l’accumulation privée. Ici, il semble au diapason de la théologie de la libération d’un certain clergé d’Amérique latine.
Ce courant progressiste des institutions religieuses peut être contré par l’utilisation des religions pour affirmer un fondamentalisme identitaire (de Hérouxville à Téhéran) plutôt que la construction d’un cadre, conciliant éthique et rationalité pour le vivre-ensemble.
La mondialisation a amené un affaiblissement des pouvoirs des États en créant des réorganisations spatiales, des regroupements régionaux au nom du libre échange ayant pour conséquence que l’État nation n’est plus vu comme la forme idéale d’organisation des sociétés.
Même si, comme l’a déjà remarqué John Saul (Mort de la globalisation), de nouveaux États ne cessent d’apparaître en ex-URSS, en ex-Yougoslavie ou même en Afrique où le Darfour se sépare du Soudan (alors que l’Organisation de l’unité africaine a toujours prôné dans sa charte, l’intangibilité des frontières, mêmes absurdes, issues de la colonisation), ses nouveaux États sont créés pour satisfaire un besoin identitaire tout en s’intégrant, en Europe, dans un espace économique supranational.
Georges Corm en appelle à un besoin de changer le besoin identitaire en besoin démocratique comme dans un ouvrage précédent (La question religieuse au XXIe siècle), il en appelait à un «pacte laïc international» sur le mot d’ordre «Républicains de tous les pays, unissez-vous!»
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Georges Corm, Le nouveau gouvernement du monde, éditions La Découverte.


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