Ce 4 avril, les six candidats qui avaient été écartés du débat précédent ont eu l'occasion de s'exprimer aux côtés des cinq «grands». Plus ou moins maîtrisées, leurs prestations ont en tout cas tranché par leurs singularités.
Le grand débat organisé par CNews et BFMTV a réuni pour la première fois les onze candidats à l'élection présidentielle sur un même plateau. C'était, pour les «petits candidats» qui avaient été écartés du débat de TF1 le 20 mars, la première occasion de se faire connaître du grand public.
A diverses reprises, Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle et Philippe Poutou ont profité des 17 minutes imparties à chaque candidat pour prendre à partie leurs adversaires plus médiatiques ou pour faire entendre leur voix et connaître leur programme.
La diatribe de François Asselineau contre les emprunts bancaires des partis politiques
Le candidat de l’Union populaire républicaine, qui déplorait régulièrement de n’être jamais invité sur les plateaux de télévision avant l’officialisation de sa candidature, participait pour la première fois à un débat entre candidats à la présidence. Ses interventions, s’appuyant souvent sur des références précises aux articles des traités européens, ont contrasté par leur caractère juridique.
Outre le « Frexit » dont il a fait son maître-mot, François Asselineau s’est démarqué par une attaque généralisée contre l’ensemble ou presque de ses adversaires. Interrogé sur les conflits d’intérêt et l’indépendance des élus, le candidat de l’UPR a pointé du doigt ce qu’il estime être une «influence» des milieux bancaires sur les programmes des autres candidats, qui ont été contraints d’emprunter pour financer leur campagne.
«Les Républicains ont 67 millions d'euros de dettes auprès des banques, le Front national a neuf millions d'euros de dettes auprès des banques, monsieur Dupont-Aignan 1,1 million d'euros de dettes, le PS a 13 millions d'euros de dettes auprès des banques, et monsieur Mélenchon a contracté un prêt de huit millions d'euros auprès des banques», a-t-il asséné, face à des candidats médusés.
Le style informel et les invectives de Philippe Poutou
Se présentant d’emblée comme «le seul [avec Nathalie Arthaud] qui ait exercé un vrai métier», le candidat du Nouveau parti anticapitaliste a assumé son statut d'ouvrier, étant salarié de l'usine Ford de Blanquefort. Dans un style décontracté, se présentant sans costume ni cravate, Philippe Poutou s'est distingué par un langage très relâché, parfois même grossier. Il a par ailleurs marqué la différence avec ses adversaires en refusant de prendre part à la photographie collective avant le débat.
Au moment de parler de l'exemplarité en politique, le candidat du Nouveau parti anticapitaliste s'en est pris à François Fillon. «Depuis janvier, c'est le régal, Fillon, qui est en face de moi, plus on fouille, plus on sent la corruption, la triche. En plus, c'est des bonshommes qui nous expliquent qu'il faut la rigueur, et ils piquent dans les caisses», a-t-il lancé. Le candidat des Républicains était visiblement indigné.
Le candidat du NPA s'est ensuite tourné vers Marine Le Pen : «Le FN, qui se dit antisystème, se fait pas chier avec les lois du système pour ne pas se rendre aux convocations de la police. [...] Laissez-moi vous dire que l'antisystème, c'est de la foutaise ! Nous, quand on est convoqués par la police, on y va, on n'a pas d'immunité ouvrière». Sa déclaration a provoqué des applaudissements sur le plateau, fait assez rare durant un débat cadré comme celui-ci.
Les coups de gueule expressifs de Nathalie Arthaud
Haute en couleur, la première prise de parole de Nathalie Arthaud a eu pour but de présenter sa candidature, qu’elle est la seule à revendiquer comme « communiste». «Nous sommes indispensables à la bonne marche de la société, alors nos intérêts sont mille fois plus légitimes que ceux de la minorité capitaliste», a-t-elle expliqué en haussant le ton.
La candidate de Lutte ouvrière, n’hésitant jamais à donner de la voix face à ses adversaires, était également l’une des seules femmes sur le plateau, avec Marine Le Pen. C’est d’ailleurs à celle-ci qu’elle a réservé ses attaques les plus virulentes au sujet de l’Union européenne. «Vous débattez sur l'euro parce que vous ne voulez pas vous engager à augmenter les salaires», lui a-t-elle notamment lancé.
«Quand on entend Monsieur Fillon s'en prendre aux privilèges des cheminots quand lui-même s'accorde, on va dire pour être gentil, des largesses, ça choque», a-t-elle également martelé à l’attention du candidat des Républicains, qui est demeuré impassible. Plus organisée dans son discours que Philippe Poutou, dont elle partage toutefois un certain nombre d'idées, leurs mouvements respectifs étant tous deux d'inspiration trotskyste, la candidate LO a pu paraître davantage convaincante que celui-ci, notamment grâce à une gestuelle plus volontaire.
Les références culturelles et historiques de Jacques Cheminade
Jacques Cheminade, déjà candidat à la présidentielle en 1995 et 2012, s’est sans doute distingué comme étant le candidat le plus atypique, tant dans le style que dans la forme. Convoquant à de multiples reprises la mémoire du général de Gaulle et l'esprit des «jours heureux de la Libération», il a également multiplié les références culturelles et historiques.
Le candidat de Solidarité et Progrès a mentionné les noms d'Ernesto Laclau, philosophe argentin d'inspiration marxiste et de David Graeber, anarchiste et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street lancé en 2011, comme sources d'inspiration pour sa propre conception des rapports économiques mondiaux.
Jacques Cheminade, qui a déclaré avoir passé l'après-midi à «lire de la poésie» pour préparer le débat, a également cité quelques mots du poète martiniquais Aimé Césaire évoquant l'espoir. Interrogé sur la question religieuse, il a poussé l'exercice encore plus loin, citant de mémoire un court extrait d'un discours sur la laïcité prononcé par Jean Jaurès en janvier 1910 à la Chambre des députés, appelant à «la fin des réprouvés».
Nicolas Dupont-Aignan tiraillé, a réussi à mettre Emmanuel Macron en difficulté
La situation de Nicolas Dupont-Aignan s'est révélée paradoxale à bien des égards. Plus médiatique que les autres «petits candidats», il avait été relégué de fait au rang des «petits» en n'étant pas invité par TF1 le 20 mars dernier. S'opposant tantôt à Marine Le Pen, tantôt à François Fillon, tantôt à Benoît Hamon, il a tenté de se poser comme une véritable alternative à la gauche et la droite, qu'il a estimées responsables de «vingt ans d'échec de toutes les politiques passées».
C'est finalement entre Emmanuel Macron et le candidat de Debout La France qu'a eu lieu la passe d'arme la plus musclée, au sujet des conflits d'intérêts présumés entre ses anciennes activités professionnelles à la banque Rotschild et ses fonctions de ministre de l'Economie. «Vous n'avez jamais été choqué que la banque Rothschild ait transféré à l'étranger des actifs d'entreprises françaises ? Je pense à Alstom, Alcatel, Lafarge, Technip, pendant que vous étiez ministre ?», a lancé Nicolas Dupont-Aignan au candidat d'En Marche !, qui s'en est agacé.
Rejetant le «soupçon généralisé», Emmanuel Macron a contesté tout possible conflit d'intérêts de sa part. Difficile pourtant pour lui de faire oublier qu'il a pris part au dossier Alstom, entreprise par ailleurs conseillée par la banque Rotschild, lorsqu'il était ministre. En effet, comme l'indique un communiqué du ministère de l'Economie signé de sa main et daté du 5 novembre 2014, il a bel et bien donné l'autorisation d'investissement de General Electric avec Alstom. Sans prouver un quelconque conflit d'intérêts, voilà qui étaie les suspicions avancées par Nicolas Dupont-Aignan.
Jean Lassalle, entre franchise et confusion
Se distinguant de ses adversaires au moins autant par sa taille impressionnante que par son accent de la vallée d'Aspe, le berger pyrénéen a multiplié les longues déclarations marquées par la même intonation qui avait rendu ses interventions à l'Assemblée nationale célèbres. N'attaquant jamais frontalement ses adversaires, Jean Lassalle a également été épargné par ceux-ci.
L'unique pique adressée à Jean Lassalle l'a été par les deux journalistes, Ruth Elkrief et Laurence Ferrari, qui lui ont demandé d'expliquer sa rencontre avec le président syrien Bachar el-Assad. «Il faut aller voir là-bas ce qui se passe, je l'ai fait en URSS, en Yougoslavie et même dans l'Espagne de Franco», a-t-il calmement rétorqué.
Toutefois, les propositions du candidat ont eu tendance à perdre en clarté à mesure que le débat avançait. Revenant parfois sur des sujets déjà abordés précédemment, comme par exemple le rôle de l'Etat, il a parfois même pu dégager une impression de confusion. Néanmoins, il s'est également prononcé sur des sujets sur lesquels on ne l'avait presque jamais entendu, comme le Frexit, auquel il s'est dit opposé, avançant que le «pays [était] déjà assez fracturé».
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