Le chef du Parti québécois, André Boisclair, refuse de s'engager à mettre en branle le processus de préparation de la souveraineté que le programme du parti prévoyait enclencher avant la prochaine campagne électorale, la formulation d'un projet de pays, des études d'impacts, un projet de constitution, des documents sur la transition et tout le tralala. Les " grands objectifs ", dit-il, " l'emporteront sur l'analyse fine des textes ".
Peut-on s'en étonner ou s'en indigner? Pas vraiment. C'était écrit dans le ciel. Tout le monde savait qu'André Boisclair ne pouvait pas affronter l'électorat en respectant à la lettre le programme délirant que les membres du PQ avaient patiemment concocté.
En fait, André Boisclair est exactement dans la même situation que ses prédécesseurs Lucien Bouchard et Bernard Landry, aux prises avec une même réalité incontournable. L'appui à la souveraineté n'est pas suffisant. Les chiffres ne sont pas là, on ne sent ni momentum, ni tendance lourde en faveur de la souveraineté. Le nouveau chef péquiste est certainement conscient qu'il serait suicidaire de faire porter une campagne électorale sur la souveraineté et encore plus de déclencher un référendum sur la question.
Lucien Bouchard et Bernard Landry, pour concilier leur idéal à cette implacable réalité, ont eu recours à la formule des conditions gagnantes, qui leur a permis de repousser sine die un référendum qui aurait été perdant. André Boisclair était un peu plus coincé en raison de l'enthousiasme qu'il a mis à encenser le programme du parti dont il abandonne maintenant des pans importants.
Mais tout ce qu'on se demandait, c'est quand il commencerait à prendre ses distances. Le processus est maintenant amorcé. Et tôt ou tard, il devra trouver lui aussi une formule qui lui permettra de se dégager de l'obligation de tenir un référendum le plus tôt possible dans un mandat. La démarche est en soi parfaitement rationnelle. Ce qui est anormal, ce sont des contorsions que les militants du Parti québécois imposent à leur chef pour en arriver là.
Parce que le PQ, dans son dogmatisme, n'accepte pas de mettre en veilleuse ou de reformuler le projet de souveraineté qui est sa raison d'être, ou d'accepter la réalité du contexte politique, André Boisclair, comme ses prédécesseurs, est forcé de se lancer dans une espèce de ballet pour à la fois envoyer le message aux électeurs qu'il ne tiendra pas le référendum dont ils ne veulent rien savoir, tout en disant aux militants qu'il ne déroge pas au programme qui prévoit un référendum rapide. C'est, quand on y pense un peu, une situation parfaitement surréaliste.
La chose est sans doute possible parce que les Québécois acceptent ce double langage. Peut-être parce qu'ils y sont trop habitués pour s'indigner. Peut-être aussi parce que cela les arrange, et que cette combinaison de militantisme verbal et d'inaction reflète leurs contradictions.
Mais il y a un prix à payer, et c'est un climat politique malsain, parce que toute la stratégie électorale du Parti québécois repose foncièrement sur ce qui n'est rien d'autre qu'un mensonge.
Cela ne peut qu'encourager le cynisme des citoyens face à la politique. C'est aussi une source importante de paralysie, parce que les tenants de la souveraineté ne sont pas assez forts pour l'emporter mais assez forts pour imposer un blocage à la suite des choses.
Tout cela tient en bonne partie à la nature même du Parti québécois, une institution malade, qui rejette la plupart de ses chefs. Un parti assez déconnecté pour avoir produit, au terme d'une " saison des idées ", un programme si ridicule qu'on est déjà en train d'abandonner. Un parti si rigide pour qu'aucun de ses membres influents n'ait osé s'objecter à ce programme. Il y a, dans tout cela, quelque chose de pathologique.
C'est cette dictature des militants les plus exaltés qui a empêché les tenants du projet souverainiste de faire cheminer leur idée. Quand un projet, aussi noble soit-il, ne suscite pas l'adhésion des citoyens, que l'on constate que les Québécois, pourtant autonomistes, cherchent autre chose que la sécession, la logique voudrait que le projet s'ajuste à la réalité et à la volonté populaire.
C'est ce que René Lévesque, Pierre Marc Jonhson et Lucien Bouchard avaient compris. C'est exactement la démarche de Tony Blair dont le " New Labour " n'avait pas craint de repenser les fondements mêmes de l'idéologie travailliste britannique.
Tant que le PQ ne se sera pas ajusté à la réalité des faits, nous assisterons à des contorsions comme celles auxquelles André Boisclair est contraint. Et les Québécois, otages, en paieront collectivement le prix.
adubuc@lapresse.ca
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1 commentaire
Luc Bertrand Répondre
16 octobre 2006Ça fait longtemps que j'ai dû arrêter de compter le nombre de fois que j'ai dit que les membres du Parti Québécois ont fait une erreur monumentale en laissant André Boisclair remporter la course à la direction l'an dernier presque sans coup férir. Le pire, c'est que le parti "s'est fendu le cul" (pardonnez-moi l'écart de langage) pour démocratiser davantage le processus de sélection et tenir informés les membres. Ceux-ci ont notamment reçu une brochure expliquant les intentions de chacun(e) des neuf candidat(e)s. Malheureusement, lors de mon pointage pour l'un des candidats, j'ai constaté que très peu de membres se sont donnés la peine de lire le matériel (10-15 minutes auraient suffi!) ou suivaient la course. Beaucoup m'ont dit avoir basé leur décision sur l'opinion d'un proche ou à la lecture des journaux. À part les privilégiés comme moi qui ont pu écouter chacun des sept débats sur l'internet (j'avais dû rapidement cesser de les regarder à la télévision, car LCN avait préféré donner le micro à des analystes politiques plutôt que de permettre aux auditeurs de se faire eux-mêmes leur opinion en écoutant les messages d'introduction et de clôture). Combien parmi les 140 000 membres qui ont voté les 13-15 novembre 2005 se souviennent des programmes de Pierre Dubuc, de Gilbert Paquette, de Jean-Claude St-André?
Je peux évidemment me tromper, mais je vais quand même vous donner ma petite idée. Ce n'est pas bien bien compliqué: lorsqu'un parti passe de plus de 300 000 membres (1981) à 60 000 (juin 2005) et qu'une course à la direction aussi ouverte qui a suivi une refonte exhaustive du programme pendant un an ("La Saison des Idées") ne réussit qu'à aller chercher que 80 000 nouveaux membres, c'est qu'il y a un sérieux problème. Ou bedon la grande majorité des convaincus ne croit plus en ce parti pour faire la souveraineté du Québec, ou bien ils ont changé d'opinion. Ne nous trompons pas: pour que l'idée d'indépendance recueuille toujours entre 40-55% d'appui dans les sondages, et ce malgré l'absence totale de promotion de la cause depuis plus de 10 ans, ceux qui ont "viré capot" ne doivent manifestement pas faire légion. C'est pourquoi j'opine pour la première hypothèse: les "abstentionnistes" constituent encore le principal adversaire du Parti Québécois et, malheureusement, André Boisclair, comme Bernard Landry et Lucien Bouchard avant lui, ne l'a toujours jamais admis, pas plus que la "stratégie perdante" d'avoir pensé faire des coupures à blanc dans les services essentiels de l'État québécois les "conditions gagnantes" pour un prochain référendum. Et, pourtant, les deux "principaux candidats" (André Boisclair et Pauline Marois) refusaient tous les deux de faire leur mea culpa pour avoir endossé ces décisions qui pourraient finalement, si on ne se réveille pas bientôt, s'être avérées aussi funestes pour la santé du mouvement souverainiste que les coupures de 20% dans les salaires des fonctionnaires québécois en 1982. Pour avoir vu le PQ reprendre de la vigueur sous la direction de Jacques Parizeau, qui s'est excusé, LUI, pour ce mauvais choix, le moins qu'on puisse penser aurait été de faire de même. Ou de démissionner comme MM. Parizeau, Paquette, Gérald Godin, Denis Lazure, Camille Laurin et bien d'autres ministres ont fait en 1984 plutôt que de trahir la confiance des membres.
Non, monsieur Dubuc, je n'ai jamais voté pour ça des chefs qui n'ont pas les couilles de faire ce pourquoi ils ont le devoir de faire pour un parti d'idées comme l'a déjà été le Parti Québécois. En quoi être limpide et direct serait plus suicidaire que de se laisser engluer dans une apathie ou une passivité qui est en train de compromettre toute chance mathématique ou conjoncturelle de réussir notre projet de prise en main populaire (car c'est l'aboutissement normal de toute société qui constitue un peuple)? Si le Parti Québécois n'est pas prêt à faire (et à réussir à se CONVAINCRE de la nécessité de) porter l'enjeu de la prochaine élection générale sur le statut du Québec dans la Constitution canadian de 1982 (signer celle-ci à peu près telle quelle ou FAIRE le pays du Québec), ça voudra dire qu'il confirme publiquement que la souveraineté n'est qu'un leurre (une carotte pour les souverainistes ou un bluff pour les fédéralistes mous) et que son chef et ses aspirants ministres placent leurs intérêts électoralistes au-dessus du bien commun de la nation québécoise.
Je crains que malheureusement déjà trop de personnes ont compris cela depuis longtemps.