Avec les années qui passent, j’ai fini par croire qu’un des traits les plus profonds de la personnalité des Québécois est la peur sourde, inavouable d’être rejetés. Personnellement et collectivement.
C’est ainsi que j’en suis arrivée à la conclusion que les Québécois sont des carencés affectifs. La peur de ne pas être aimés explique aussi leur insécurité comme peuple. Leur tendance à l’autoflagellation qu’a nourrie la morale catholique a rendu le peuple aisément culpabilisé.
Lorsque surgissent des drames comme celui que l’on commémore aujourd’hui, les Québécois retrouvent les mots enfouis dans leur mémoire : « mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa ». Le premier ministre Couillard avait, il y a un an, incarné en sa personne ce vieux réflexe. D’ailleurs, il continue de prétendre que les Québécois ont une tendance à l’intolérance, qui s’inscrirait dans leur nature, leur histoire et teinterait leur nationalisme.
Rectitude politique
Comme tous les carencés affectifs, les Québécois sont prêts aux compromis, même en risquant d’y perdre des plumes. Ils se sentent rapidement illégitimes, voire illégaux dans leurs croyances et leurs aspirations. La rectitude politique est alors pour eux une porte de sortie.
Ils s’accrochent à des mots qui disent la chose et son contraire. Comme le fédéralisme renouvelé, la souveraineté-association, les accommodements raisonnables. À la question référendaire, « oui ou non », ils auraient préféré voter « ou ». Et « l’indépendance » du Québec revendiquée par les fondateurs du RIN a été rebaptisée « souveraineté », mot moins clivant.
D’ailleurs, les indépendantistes purs et durs n’avaient cure de ceux qui les rejetaient. Ils ne voulaient pas avant tout être aimés, mais respectés. À une exception près, Jacques Parizeau, les politiciens souverainistes ont dû plier l’échine. Même René Lévesque, qui a perdu son pari du compromis qu’était la souveraineté-association.
Blessures collectives
Dans cette perspective, l’adhésion à l’indépendance a été la seule tentative moderne de décomplexer les Québécois et de les déculpabiliser. C’est pourquoi les échecs référendaires demeurent des blessures collectives jamais cicatrisées chez les générations qui ont partagé ce rêve.
Il est impossible de comprendre l’insécurité québécoise face à des réclamations de nature religieuse et culturelle de la part de certains groupes de musulmans sans connaître les blessures indélébiles de l’éducation catholique du passé sur nombre de Québécois. Même les jeunes qui n’ont aucune culture religieuse ont hérité de la haine des curés qu’ils n’ont pas connus. Cette haine est d’abord une haine de soi, ces curés étant issus du peuple.
Cette journée à la mémoire des victimes de la tuerie de Québec exige un climat empreint de réserve, de dignité et de tristesse contenue. Toute manifestation d’hostilité, tout commentaire enrobé d’enflure verbale, toute expression de ressentiment et toute généralisation insulteraient les morts, les blessés, les familles en deuil et l’immense majorité des Québécois qui à ce jour se sont comportés de façon exemplaire dans les circonstances.
Les blâmes, les propos ambigus, les accusations déguisées en analyse sociale auraient des répercussions que personne ne devrait souhaiter pour l’avenir. Les Québécois de bonne volonté sont des gens que l’on peut blesser.
Et tous les extrémistes sont des prédateurs de nos valeurs.