par Denis Lessard
Le vérificateur général a donné hier une gifle au ministre des Finances du Québec, Michel Audet, qui a déposé les comptes publics du gouvernement et une révision des prévisions budgétaires du printemps dernier.
Renaud Lachance refuse de cautionner les comptes publics tant les règles de comptabilité appliquées par Québec diffèrent de celles mises en place dans la plupart des autres provinces. Une première au Québec.
Québec a dégagé un surplus de 37 millions dans le dernier exercice, mais le vérificateur évalue de son côté le déficit à 153 millions et les dépenses non inscrites à plus de 900 millions. Le ministre Audet prévoit de plus un léger surplus de 21 millions pour 2006-2007.
« Clairement, le gouvernement devrait faire preuve de plus de rigueur dans ses états financiers », a soutenu hier le vérificateur en conférence de presse.
Du même coup, il a relevé une longue liste de dépenses balayées sous le tapis. Par exemple, une série d'artifices comptables lui permettent de repousser aux prochains exercices une facture totale de 908 millions. De plus, le ministre Audet a présenté deux fois comme recette, sur deux années différentes, les mêmes 112 millions venus de transferts fédéraux.
Autre récriminations: les déficits non comptabilisés des réseaux de la santé et de l'éducation, évalués à 1,3 milliard. Selon M. Lachance, le gouvernement «respecte la lettre de la Loi sur l'équilibre budgétaire, mais pas son esprit».
Cette loi adoptée en 1996 prévoit que le gouvernement ne peut faire de déficit. Si cela survient, il doit l'éponger dans l'année ou les années suivantes. Selon le vérificateur, si le gouvernement était transparent, s'il appliquait les «principes comptables généralement reconnus» le gouvernement devrait admettre un solde déficitaire accumulé de 5,26 milliards aux termes de la Loi sur l'équilibre budgétaire, a soutenu le vérificateur.
«Compte tenu de l'importance des répercussions que ces éléments sont susceptibles d'avoir sur les états financiers, il m'est impossible d'exprimer une opinion sur la fidélité de l'image donnée par ces états financiers», affirme M. Lachance dans son rapport. S'il signe le bilan 2005-2006 soumis par Michel Audet, c'est sur la seule base "des conventions comptables du gouvernement du Québec".
Pour cette année, Québec devrait reconnaître un trou de 153 millions, estime M. Lachance.
Les principes proposés par l'Institut canadien des comptables agréés sont appliqués par la quasi-totalité des gouvernements du pays, rappelle le vérificateur qui ne s'explique pas l'entêtement de Québec à ne pas adopter les mêmes normes.
«Extraordinaires»
M. Audet avoue trouver «extraordinaires» les observations du vérificateur après que Québec eut «apporté des modifications importantes» à sa tenue de livres pour corriger les lacunes soulevées par le vérificateur.
Hier, le ministre Audet a longuement expliqué pourquoi il ne voulait pas, par exemple, inclure dans son bilan les 1,2 milliard de dollars de déficit des établissements du réseau de santé, et un trou de 254 millions dans le budget des universités. M. Audet précise que les établissements des réseaux sont indépendants, dirigés par des conseils d'administration autonomes. Revoir cette position équivaut à relancer le débat sur l'existence des commissions scolaires, a lancé le ministre.
Réponse du vérificateur: les ministres de la Santé et de l'Éducation sont responsables des établissements des réseaux, Québec est par conséquent responsable de leurs budgets. Dans les autres provinces, les déficits des hôpitaux et des universités émargent aux budgets des gouvernements.
Qu'à cela ne tienne, le gouvernement Charest garde le cap sur le déficit zéro en 2006-2007. Le ralentissement de l'économie est en vue, mais n'a pas encore d'effet sur les recettes du gouvernement, a soutenu M. Audet.
Mais pour maintenir cet équilibre, le ministre Audet a dû confisquer des revenus extraordinaires, pour payer des factures récurrentes. Québec a empoché 869 millions de la vente de Transelec, filiale que détenait Hydro-Québec au Chili. De ce gain inattendu, il prend 500 millions pour le Fonds des générations - pour réduire la dette qui atteint 105 milliards. Les 370 millions restants servent à éponger une chute de recettes. Loto-Québec fera 169 millions de moins, surtout à cause de la réduction de 500 appareils de loterie vidéo. Les recettes issues du tabac baissent de 75 millions à cause de la contrebande et de la loi antitabac, bien que les Finances n'aient pas encore de chiffres précis sur l'impact de l'interdiction de fumer dans les bars et restaurants, mise en vigueur en mai.
Le ministre Audet doit, comme l'ensemble des prévisionnistes, revoir ses perspectives de croissance économique. On prédisait 2,4% au dernier budget, on sera plus près de 2% cette année, comme l'an prochain.
Le bureau du ministre Audet avait manoeuvré hier pour lui éviter d'avoir à commenter les observations du vérificateur. Ce dernier rapport devait être rendu public après la conférence de presse des Finances.
Mais à l'Assemblée nationale, le chef péquiste André Boisclair a brandi le communiqué du vérificateur pour charger M. Audet, soulignant que le vérificateur avait refusé de signer le bilan du gouvernement.
Selon le ministre Audet, les observations du vérificateur sont les mêmes, année après année.
Cette affirmation a fait bondir le critique adéquiste, Marc Picard. «Pour la 8e année consécutive, les gouvernements péquistes et libéraux ont trafiqué les chiffres», a lancé l'adéquiste.
«C'est la plus dure des sanctions, le vérificateur ne peut cautionner que ce qu'il voit», a déclaré le critique péquiste aux Finances, François Legault, lui-même ancien vérificateur dans le secteur privé.
Les prochains mois n'augurent rien de bon selon lui: le Québec a perdu 37 000 emplois dans le secteur manufacturier, et, même si 50 000 postes sont apparus dans les services, il s'agit d'emplois à temps partiel, moins bien rémunérés.
ÉTATS FINANCIERS
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