Le sommeil libéral

Chronique de Alexandre Cormier-Denis

Malgré toutes les bonnes raisons du monde de ne pas voter libéral, plus d’un quart de l'électorat - nous parlons de l'électorat francophone sensible à notre destin politique commun - ira voter pour le parti le plus corrompu de l’histoire récente du Québec.

Pourquoi?

Parce que lorsque le peuple québécois prend la pilule libérale pour quatre ans, il somnole, il s'assoupit et finit par s’endormir, ce qui l'empêche de se questionner sur l’état de sa langue, sur ses liens troubles avec la Confédération, sur la démocratie, sur la religion, sur son rapport au monde, bref, sur tout ce qui est politique. La pastille libérale l'empêche de constater avec douleur son état de peuple minoritaire, vaincu et sans État, ayant trop souvent perdu pour croire encore à la victoire. Le sommeil libéral est un remède collectif contre la prise de conscience de notre condition politique.

La grève étudiante a été un sursaut. Un léger réveil dans la décennie d'apathie libérale suivant la défaite référendaire et les années fatiguées de Lucien Bouchard. Les anarcho-nationalistes du mouvement étudiant ont su réveiller pour un temps les masses endormies par des années de thérapie Charest, mais la vieille tentation de retourner au sommeil a vite repris les Canadiens français. Face à la «chicane» que représentait la laïcité, et surtout face au poing levé d'un milliardaire dont le père engageait d'ex-felquistes, le peuple a pris peur que lui soit posé la question existentielle de son avenir politique.

Au lieu de faire front commun pour se sortir de l'apathie généralisée et du traitement Couillard que l'on veut lui infliger, le peuple tergiverse, hésite, se disperse et s'égare. Il regarde vers l’énergumène Legault en lui trouvant un certain charme, mais par manque de contenu, par manque d’étoffe et par sa bonhomie frôlant le ridicule, notre nationaliste assoupi est vite déclassé par le bon docteur légaliste, rationnel et rassurant. Un contribuable, ce n’est pas un projet politique.

De l'autre côté, la pastorale bien-pensante et bon-enfant de l'utopie solidaire ne réussit pas à convaincre beaucoup de monde au-delà de Rosemont et de Rachel. Les cœurs n’y feront rien, les affiches vertes ou bleues tout comme l'appel à voter pour le NPD non plus. Le confusionnisme solidaire ne plaît qu'aux convertis postmodernes de cette population qui consomme bio, fait de l'humanitaire au Nicaragua et connaît plus la géopolitique de l'Afrique que l'histoire du Québec. L'Amour non plus, n'est pas un projet politique.

Évidemment, la bourgeoise Marois nous irrite tous, sauf son directeur artistique qui ne comprend pas pourquoi nous ne lui vouons pas un culte de la personnalité indéfectible. Lisée nous insupporte avec sa suffisance habituelle. Le passage de Radio-Canada au PQ n'a pas nécessairement nuit à Drainville, mais «l'électoralisme de la Charte» indispose les bien-pensants et la simple laïcité effraie les plus somnolents. Tandis qu'Anticosti fait hurler les écolos de tout acabit, nous ne savons pas quoi faire de l'arrivée du patron de l'empire médiatique du Mal. «P-O-P-U-L-I-S-M-E» nous hurlent aux oreilles les journalistes de Radio-Cadenas et de la grosse Presse qui ne se sont jamais émus de la proximité du clan Desmarais avec la caste libéralo-fédéraliste, ni du refus radio-canadien de passer les pubs du OUI en 95', ni des éditoriaux serviles des Pratte et Marissal de ce monde. Malgré Martine Desjardins, Léo Bureau-Blouin, Maka Kotto, Djemila Benhabib, Daniel Breton et compagnie, la «mauvaise foi» du PQ nous inquiète, nous indispose et nous fait regretter, sans doute à tort, feu René Lévesque, champion toute catégorie de notre ambiguïté constitutionnelle...

Et c'est Philippe Couillard, sûr de la légalité de ses placements à l'île Jersey, sûr de la supériorité morale de la Charte canadienne des droits et libertés sur le déchaînement (sic) des passions identitaires, sûr de la rationalité du Marché pour régler tous nos problèmes économiques, sûr du vote de ces communautés anglo-allophones qui ne comprennent rien à ce qui se passe dans notre demi-État, sûr de l'appui des radio-jambons de la Capitale antinationale qui éructent une haine de soi tellement forte qu'elle réifie 250 ans de colonialisme sans s'en apercevoir, sûr que les tergiversations francophones l'aideront à mettre le peuple sur le soluté libéral; c'est donc sûr de lui que le bon docteur Couillard mènera le patient québécois vers cinq autres années, si ce n'est pas plus, de coma politique forcé.

Car ne nous trompons pas, la division du vote francophone, c'est effectivement voter pour le coma politique. Un coma politique, libéral et forcé, contre la volonté du peuple divisé et confus. Et le coma, c'est bien connu, est l'antichambre de la mort.

Nous sommes les lucides spectateurs du sommeil imposé de notre peuple incapable de faire front commun pour se secouer. Hésitant entre un réveil émancipateur mais brutal et un sommeil doux mais mortifère, nous tergiversons sur la forme, sur les détails; oui ou non au pétrole, oui ou non à l'appui au syndicalisme, oui ou non à plus de fonctionnaires, oui ou non au foulard dans les garderies, etc., etc., etc. Pendant ce temps, le bon docteur libéral avance d'un pas implacable pour nous mettre hors d'état de nuire, sans se poser de question. Avec 85% d'appui dans certains comtés de l'Ouest de la métropole. Avec 35% d'appui dans d'autres que la répartition du vote entre ex-adéquistes, gauche-caviar et des abstentionnistes «tous pourris» lui donnent sur un plateau d'argent.

Aurons-nous eu réellement 18 mois de «gouvernance souverainiste» pour neuf ans de thérapie fédérale? Après neuf années Charest, sommes-nous sur le point de nous endormir pour une autre décennie? La défaite de 1995 nous aura donc réellement amené l'apathie politique généralisée. Ainsi, il ne nous manque plus qu'un bon docteur pour nous administrer l’euthanasie finale.

Souhaitons-nous donc un bon sommeil. Espérons que nous serons encore là pour nous réveiller.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2014

    Une analyse de l'élection (ses résultats) n'est pas nécessaire, puisque le peuple s'est endormi. S.V.P. ne pas déranger.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2014

    Et la relève, chloroformée au mirage de la mondialisation et de la consommation de "bébelles" aussi inutiles que dispendieuses. Qui gâte leurs enfants à outrances. À 6-8 ans ces enfants reçoivent des cadeaux d'adultes Qui ce n'est pas de leur faute, ne comprennent pas que ça ne peut durer indéfiniment.
    Lors de rencontre familiale, ne vous risquer pas à toucher l'aspect politique de la situation. Vous vous faites rabrouer, par les femmes surtout, vous avertissant de ne pas "partir la chicane" Ils/elles n'y comprennent rien et ont encore moins des arguments autres que des bribes de sujets glanés sur des radio poubelles qu'ils écoutent à longueur de journée si ce n'est pas devant leur téléviseurs à visionner les Netflix d'un monde d'abrutis. Et bien d'autres observation de mon Québec que je ne décrirai pas ici.
    J'ai mal à mon Québec.

  • Sylvain Maréchal Répondre

    2 avril 2014

    Bon texte cinglant. Je crois qu'il existe en effet au Québec quelque chose de l'ordre de ce que vous décrivez... cette somnolence. Elle a déjà été identifiée : fatigue, ambivalence, etc. mais elle demeure surprenante. Une manière distinctive d'être qui mérite réflexion et que certains, cela dit, prennent pour une grande sagesse. Difficile de dire s'il s'agit d'un déficit de conscience politique ou nationale; probablement que ces deux aspects, à ce niveau, se confondent. Vous m'enlevez presque les mots de la bouche: j'attendais les résultats des élections pour écrire sur ce même sujet... sait-on jamais.

  • Fernand Durand Répondre

    2 avril 2014

    Peuple à genoux, chante le minuit chrétien, ah j'oubliais, vous n'êtes pas à genoux, vous êtes assis ou mieux encore vous êtes couché.
    Il vous reste quelques richesses, on s'excuse de vous avoir dérangé, retournez dormir tranquille.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 avril 2014

    le petit-Québec , n'est pas qu'une marque de fromage.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 avril 2014

    Bonjour
    Voila .. tout est dit et vous faites une analyse criante de vérité
    J'ai vraiment de la difficulter a croire que comme peuple nous puissions en être rendu a un niveau aussi peu reluisant