René Lévesque, nous dit André Larocque dans Le Parti de René Lévesque. Un retour aux sources, a été le plus grand premier ministre du Québec. Or, en formulant ce jugement, l'essayiste ne veut pas saluer le héraut de la souveraineté que fut Lévesque, mais plutôt l'homme d'État tout entier dévoué à la démocratisation de notre système politique. «Sa vraie priorité», écrit-il, était moins la souveraineté de l'État que la souveraineté populaire. On a retenu la loi 101 comme symbole de son engagement, alors qu'il aurait plutôt fallu retenir sa loi sur le financement populaire des partis politiques et son engagement en matière de réforme électorale et parlementaire.
L'essai d'André Larocque, qui fut membre du personnel politique du PQ et haut fonctionnaire avant de devenir professeur associé à l'École nationale d'administration publique et militant engagé en faveur de la réforme du mode de scrutin, contient deux parties distinctes. La première se veut un portrait hagiographique de l'oeuvre politique de Lévesque et la seconde est un recueil d'anecdotes qui évoquent les belles années du PQ.
Le Lévesque dépeint par Larocque est, en effet, une sorte de saint laïque. «Le passage de l'Église à l'État chez nous ne s'est pas fait dans la révolte religieuse mais dans l'adhésion politique et vous [R. L.] en avez été le principal élément d'entraînement.» Selon l'essayiste, Lévesque aimait profondément les Québécois, sans exclusion, et professait un anti-élitisme de principe. Dans une formule malheureuse, Larocque le qualifie de «populiste» (il affirme vouloir revaloriser ce mot), même si le terme «démocrate» aurait mieux convenu. «Face à la politique définie comme celle des culottes à Vautrain [sic], du scandale du gaz naturel ou encore comme le pouvoir des autres, vous en avez fait un lieu d'édification d'une société moderne avertie, vous avez pavé une route solide vers la réconciliation entre le pouvoir et les citoyens dans une société dénuée de pouvoir depuis des siècles.»
Aux yeux de Larocque, toute la grandeur de Lévesque est là, dans sa volonté de redonner les partis aux membres, dans son action politique visant à démocratiser la participation civique. Larocque insiste beaucoup sur le fait que, pour le premier chef du PQ, la souveraineté étatique n'était qu'un moyen de mieux rendre le pouvoir au peuple.
Après le départ de Lévesque, écrit-il, le PQ a trahi cet esprit en faisant de la souveraineté une fin en soi, vidée de son contenu démocratique. Larocque, en fait, ne pardonne pas au PQ de reporter la réforme du mode de scrutin et une véritable politique de décentralisation au lendemain de la souveraineté. Pourtant, dans une logique souverainiste, cette accusation de faire de la souveraineté une fin en soi ne tient pas. Pourquoi, en effet, vouloir la faire sinon parce que, sans elle, le reste nous semble irréalisable? Si tout est possible sans elle, qui n'apparaît plus alors que comme la cerise sur le sundae, à quoi bon s'y attacher? En ce sens, et contrairement à ce qu'affirme Larocque, Parizeau n'est pas un obsédé de la souveraineté vide. Elle constitue, pour lui aussi, un moyen, mais un moyen nécessaire pour l'atteinte pleine et entière, dans la mesure des possibles politiques, des autres fins. La logique de Larocque suggère plutôt qu'elle ne serait qu'un moyen accessoire, ce qui revient à lui faire perdre une grande partie de sa pertinence. Précisons, toutefois, que ce n'est pas là ce que conclut Larocque, qui pense, par exemple, en s'inspirant de l'esprit de Lévesque, que l'instauration du mode de scrutin proportionnel et une véritable politique de décentralisation créeraient une dynamique démocratique plus favorable à la souveraineté. Il y a là un vrai débat, essentiel, à mener.
Le PQ en anecdotes
Plus légère, la deuxième partie de cet ouvrage est un vrai régal pour les passionnés de la petite histoire de la politique québécoise. Larocque a vécu de l'intérieur la naissance du PQ et sa transformation en force politique de premier plan. Il raconte avec humour et passion, dans ces pages, les hauts et les bas de cette formidable aventure.
Il revient sur les épisodes litigieux qui ont mené aux choix du sigle, «calqué sur celui d'Hydro-Québec» et du nom du Parti québécois, que le chef détestait. Il rappelle que Lévesque craignait comme la peste l'impétuosité de Pierre Bourgault (le collègue Nadeau en aura long à dire cet automne à ce sujet dans son Bourgault) et qu'il souhaitait la survie du RIN afin de faire ressortir la modération du PQ. Amusé, il relate les événements qui ont amené le parti à adopter des statuts copiés sur ceux de la Ligue communiste de Yougoslavie.
Lévesque, nous confirme Larocque, a pleuré à chaudes larmes le jour de l'enlèvement de Pierre Laporte, un événement qui l'a rendu furieux. En 1971, quand Larocque a dû se présenter contre lui lors d'une course à la chefferie pour que Radio-Canada daigne couvrir le congrès du PQ, il a joué le jeu avec plaisir.
Les péquistes, à l'époque, travaillaient déjà fort, contribuaient à instaurer une manière moderne de faire de la politique en développant le volet recherche et documentation de leur travail parlementaire, mais ils savaient aussi s'amuser. En 1972, par exemple, Camille Laurin, à l'Assemblée nationale, livre un long discours... en latin! Le libéral Claude Castonguay lui réplique dans la même langue, suivi en cela par l'unioniste Jean-Noël Tremblay. Reprenant la parole, Laurin enchaîne... en grec ancien! Sa tirade n'aura pas de réplique.
Dans le même esprit, son collègue Claude Charron, toujours en 1972, se lève en Chambre pour souligner la mort du grand dramaturge Jean Racine. Jean-Noël Tremblay en rajoute, et le piège fonctionne. Le coloré Camille Samson, qui n'en manque pas une, déplore à son tour la mort de ce grand... Québécois dont tous se souviennent, de Val-d'Or à Gaspé! «Évidemment, conclut Larocque, ce fut fête au village et on en riait encore des années plus tard... » Comme on riait encore des performances magistrales de Claude Charron, maître dans l'art de parler des heures durant pour retarder l'adoption de projets de loi libéraux.
En fin de parcours, délaissant ce désopilant festival d'anecdotes, Larocque ne manque pas de critiquer le PQ d'aujourd'hui, oublieux de l'héritage du parti de René Lévesque. Il revient aux péquistes actuels de lui donner tort en retrouvant leur dynamisme.
louisco@sympatico.ca
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Le parti de René Lévesque - Un retour aux sources
André Larocque
Fides
Montréal, 2007, 256 pages
Essais québécois
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