Le débat sur la laïcité soulève l’éternelle question de la place de la religion dans la société. À ce sujet, l’oeuvre de [1] historien et philosophe, permet de situer le débat dans l’évolution historique de la religion.
Quelle est donc la place de la religion et quelles conséquences peut-on en tirer dans le débat sur la laïcité?
L’histoire de la religion
À l’origine, les sociétés primitives ont choisi de régler le problème des conflits et divisions politiques inhérents à la vie en société en se soumettant à un ordre religieux supérieur, immuable et inaccessible. «Devant l’ordre immuable, instauré une fois pour toutes, tous les membres de la communauté se situent sur le même plan, même le chef de la tribu.» De plus, «les hommes de la religion sont unis entre eux et unis à la nature et cela, par la séparation avec le fondement religieux.» La religion est alors un pacte social et politique qui s’impose aux membres du groupe plutôt qu’un acte de foi. Ce pacte assure la cohésion du groupe.
À partir de cette «religion première», Gauchet décrit l’histoire de la religion comme celle «d’une régression ou d’une dégradation de la religion en son principe fondamental, soit le maintien de la dépendance des humains à l’égard d’une altérité fondatrice.» Vers 3000 av. J.C., l’apparition de l’État marque le début de la «domination institutionnalisée». «Certains membres du groupe se mettent à exercer un pouvoir sur l’ensemble et parlent au nom des dieux.» Puis, entre 800 et 200 av. J.-C., c’est l’innovation des grandes philosophies et des grandes religions qui vient confirmer la séparation entre le sacré et le profane. «Et lorsque le pouvoir politique perd sa légitimité d’en-haut, c’est en bas qu’il la trouve. L’État moderne est né de ce renversement.» Le christianisme accentue cette séparation puisqu’il fait appel à une conversion intérieure plutôt qu’à une mobilisation politique.
Les grandes religions
Toutes les religions et grandes philosophies réaffirment l’importance du lien religieux dans l’ordre social. L’Antiquité donne l’exemple d’un humanisme qui maintient un équilibre entre la raison humaine et le lien religieux qui règle l’harmonie universelle. Cet humanisme a beaucoup influencé l’humanisme chrétien à l’origine de notre civilisation. Le judaïsme proclame un Dieu unique qui doit mener le peuple choisi à la victoire politique sur ses ennemis. Ici la religion sert l’intérêt politique de la nation juive mais constitue une menace pour ses voisins. L’Islam de son côté rétablit l’unité du politique et du spirituel comme dans la religion première. L’appel à la guerre sainte peut être considéré comme une menace . Le christianisme choisit plutôt de séparer le politique et le spirituel: l’Évangile ne propose pas un programme politique mais une règle de vie intérieure. Les pouvoirs politique et spirituel sont séparés mais collaborent et se renforcent mutuellement. Le christianisme a pris son essor vers 313 ap. J.C. dans l’empire romain sous Constantin.
La sortie de la religion ou le «désenchantement du monde»
L’Église acquiert le monopole de la médiation religieuse vers l’an mil. Vers 1500, s’amorce concrètement la sortie de la religion avec la Réforme protestante, la révolution scientifique et l’essor de l’État moderne. De 1650 à 1800, le «droit naturel moderne» ou «droit individuel» démocratique fondé sur la raison remplace le «droit divin» comme base du pouvoir politique. Depuis ce temps, les individus et groupes de pression désignés sous le nom de «société civile» s’affirment comme acteurs importants au détriment de l’État et de l'Église. Ce triomphe des droits et libertés se présente comme une victoire du modernisme sur l’obscurantisme et le despotisme de l’ordre ancien.
Cette évolution soulève des problèmes sous-estimés. Au nom de la raison, le monde moderne rejette la représentation mythique des forces qui nous échappent. En conséquence, il n’y a plus de loi commune au-dessus de la volonté humaine. Le fondement social d’ordre surnaturel, facteur d’unité entre les individus et avec la nature, est remplacé par le droit naturel fondé sur la raison. Ce sont les législateurs et les tribunaux qui définissent les droits et libertés en arbitrant les demandes des individus et groupes de pression présumés égaux devant la loi. Le recours à la seule raison limite considérablement la perspective des législateurs. La raison de l’un n’étant pas celle de l’autre, c’est souvent la raison du plus fort qui l’emporte.
Cette situation compromet la capacité de la société d’agir sur elle-même. La démocratie réduite à gérer des initiatives privées s’en trouve menacée. L’expérience de la démocratie est celle d’un conflit, mais sans résolution finale possible. Le rejet de l’autorité compromet aussi la transmission de la culture, l’éducation et la morale que l’individu peut refuser au nom de sa liberté. L’individu privé de repères et déraciné de son passé éprouve de la difficulté à se définir lui-même. L’ensemble de ces effets déstructurants favorisent le chaos et éventuellement la dictature des plus forts. Plusieurs comme Alain Soral [2] soutiennent que c’est le but recherché par l’oligarchie bourgeoise.
Qu’est-ce qu’on peut y faire?
La religion peut être un facteur d’unité comme de division. Les réseaux francs-maçons au service de l’oligarchie combattent toutes les religions majoritaires mais encouragent du même coup les factions marginales susceptibles de miner l’unité de la société. Ainsi on trouve des femmes voilées à côté de Femen et les deux combattent les valeurs de la majorité. On nous impose même la nourriture casher dans les épiceries aux frais de la majorité.
Les pays musulmans rejettent l’influence occidentale perçue avec raison comme une aggression impérialiste. En Russie, Vladimir Poutine encourage l’église orthodoxe russe et les religions en général. En France, Alain Soral propose une union de la gauche du travail avec la droite des valeurs [http://www.egaliteetreconciliation.fr ]. La religion apparaît alors comme un moyen de lutter contre le mondialisme et ses effets destructeurs sur la société. Il ne s’agit pas de remettre en question la séparation de l’Église et de l’État mais de remettre en valeur la culture majoritaire comme il se doit en démocratie. Il ne s’agit pas non plus de combattre les religions mais l’intolérance. La politique du gouvernement québécois dans la Charte des valeurs est donc modérée dans le contexte.
L’appel à l’unité pour éviter la division ou la chicane et accepter tous les abus des minorités est une autre niaiserie qu’on utilise régulièrement pour affaiblir la majorité. La démocratie joue son rôle quand elle permet de résoudre les différences sans pour autant qu’une des parties ne doive s’écraser complètement devant l’autre. Il n’y a donc pas de vertu particulière à s’aplatir devant toutes les demandes des minorités.
Enfin, l’Église s’est largement discréditée par les scandales, les politiques répressives, le dogmatisme arrogant et d’autres faits troublants comme la proximité avec l’oligarchie mondialiste. S‘il y avait pacte social, on peut dire qu’il a été rompu. Et rien n’empêche les fidèles d’interpréter eux-même l’Évangile: n’y lit-on pas que «la vérité vous rendra libres» (Jean 8,32). Selon Gauchet c’est le sens même du christianisme qu’il qualifie de religion de la sortie de la religion. Mais cette religion est porteuse d’une vérité symbolique: le message de l’Évangile demeure un idéal universel pourvu qu’on l’exige dans la vie publique. Il serait mal avisé de renier cette partie structurante de notre culture.
Mais comment peut-on se réconcilier avec cette part de notre héritage? Il faut pour ce faire sortir de la conception empirique de la science et adopter le point de vue des Anciens. Pour ces derniers, et notamment Platon, l’existence individuelle est la manifestation éphémère d’une réalité plus importante, l’essence ou espèce, qui a un caractère permanent. L’existence est donc une manifestation de l’être premier qui est de caractère divin. La foi n’est pas non plus le choix d’un individu tout-puissant mais plutôt la reconnaissance que nous participons à une réalité qui nous dépasse, la Vie, et ceci a un caractère sacré.
Conclusion
À l’origine et durant la majeure partie de l’histoire, la religion a été le moyen par lequel les sociétés ont répondu au problème des conflits politiques. La religion est l’expression voire la personnification de la loi qui unit les hommes entre eux et avec la nature. À partir de cette règle d’or qui assure l’harmonie universelle, l’histoire de la religion est celle d’une sortie graduelle de la religion. Pourtant les religions proposent toutes des règles pour assurer l’harmonie sociale selon leur culture d’origine.
À l’opposé, la société moderne consacre la sortie de la religion en proclamant le règne de la raison et des droits et libertés individuels. Il s’ensuit qu’il n’y a plus de loi commune acceptée de tous mais des lois définies par les tribunaux qui arbitrent les différents entre groupes et individus supposément égaux. Il se produit alors un déséquilibre qui favorise l’anarchie, et éventuellement la dictature des plus forts.
La laïcité de l’État vise à éviter se genre de situation où des groupes religieux militants imposent leur loi à la majorité. Il n’est pas nécessaire de trahir nos intérêts majoritaires ni de rejeter notre héritage chrétien mais plutôt de le réactualiser pour répondre à la question fondamentale: «Voulons-nous vivre en société en acceptant les règles que nous enseigne notre propre culture?»
[1] Patrice Bergeron, La sortie de religion, Brève introduction à la pensée de Marcel Gauchet, Athéna éditions, Outremont, 2009, 172 pp.
[2] Alain Soral, Comprendre l’empire, Éditions Blanche, Paris, 2011, 239 pp., p. 80
Le débat sur la laïcité
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2013Il semble que les sociétés peuvent exister sans religion. C’est la voie empruntée par nos sociétés occidentales. Encore faut-il qu’il y ait des valeurs communes pour unir le tissu social. Jusqu’à présent, les résultats ne sont pas très heureux.
Les sociétés traditionnelles sont enracinéees dans une culture qui est une donation de ceux qui nous ont précédé et à l‘origine d’un être surnaturel. Quelque soit le crédit que l’on accorde au récit mythique de la religion, c’est l’élément porteur de sens de la société:
«Sans doute cette unité mystique entre ce qui a été et doit être (et doit être ), ce qui est et ce qui sera, entre les vivants, les morts et les point encore nés constitue-t-elle ou a-t-elle constitué l’enjeu le plus profond du religieux.» (M.Gauchet cité par P. Bergeron)
Ce lien de nature religieuse existe dans toute les sociétés et les cultures. Les sociétés modernes en voulant promouvoir l’individu qui se construit par lui-même tendent vers le déracinement, la déshumanisation et la perte de culture.
Archives de Vigile Répondre
22 décembre 2013Avons-nous besoin de religion pour s'aimer les uns les autres afin de mieux vivre en harmonie? Pouvons-nous
parvenir à une plus grande maturité pour régler le problème
des conflits et divisions politiques inhérents à la vie
en société(...)? Pouvons-nous avoir l'ardent désir et
grande volonté pour se construire un monde à visage plus
humain et plus équilibré?
Archives de Vigile Répondre
22 décembre 2013Il serait utopique et indésirable de retourner à une religion d’État imposée à tous à cause de l’évolution historique décrite précédemment. Mais la religion conserve une autorité morale par les principes qu’elle défend qui continuent d’inspirer nos valeurs culturelles et politiques. (On ne peut en dire autant de l’Église comme institution corporatiste:
http://www.ledevoir.com/culture/livres/366851/cette-eglise-qui-s-efface.)
Ces valeurs qui sont celles de la majorité devraient jouer un rôle prépondérant dans l’orientation de la société. Il ne s’agit pas d’imposer une religion mais bien de respecter la volonté politique majoraire: c’est la démocratie.
Ceci est mieux que la faillite morale et intellectuelle de la philosophie bourgeoise et franc-maçonnique qui sert à justifier les crimes de l’Occident et dont la fausseté est dénoncée ici:
http://www.veteranstoday.com/2013/12/20/alain-finkielkraut-jews-and-immigration/
Donc la lacïté c’est bien pour réprimer certains abus. C’est le modèle français. Mais le modèle russe est meilleur. Il fait appel aux forces morales de toutes les religions et convictions pour construire un monde meilleur tout en préservant le caractère de la cullture majoritaire.
Archives de Vigile Répondre
22 décembre 2013La Nation Québecoise à été fondée par la Religion catholique de 1534 à 1960 et détruire notre Religion revient à détruire notre Nation qui est foncièrement catholique et universelle dans ses commandements ses lois et ses règles .
MICHEL GUAY
Gilles Verrier Répondre
22 décembre 2013Merci de votre article qui ratisse large et qui porte à réfléchir sur des sujets difficiles.
Je retiens ceci pour faire un bref commentaire :
«La laïcité de l’État vise à éviter se genre de situation où des groupes religieux militants imposent leur loi à la majorité.»
Il est clair selon moi que la laïcité ne suffira pas à mettre de l'ordre dans le religieux en lui réservant une large sphère pour elle, qui n'exclura finalement que sa présence manifeste dans l'État et ses institutions. Si l'on rejette le multiculturalisme, il faut le dire, la laïcité pure désarme en fait l'État en proclamant que tout le territoire national (sauf la réserve plus haut) est le lieu de concurrence entre tous les prosélytismes de cultes étrangers et le culte historique national. La laïcité pourrait donc signer notre arrêt de mort, par la victoire de la franc maçonnerie, vous le rappelez, qui porte en elle le projet de détruire le catholicisme.
Pour servir le Québec (et non pour que le Québec serve la laïcité)elle devra s'adapter au réel national pour ne pas devenir elle-même une nouvelle dictature «religieuse», dont la majorité historique, qu'elle soit catholique pratiquante ou de culture seulement, risque de faire les frais. Une laïcité connoté par l'histoire nationale de la majorité et qui s'inscrit dans cette continuité est la seule souhaitable. Dire connoté par l'histoire, introduit forcément un ordre hiérarchique dans le religieux car il ne peut y avoir qu'une seule religion qui connote l'État national. Et effectivement, il n'y en a qu'une.
Gilles Verrier