La défense de la place du français dans la société québécoise a toujours constitué le pain et le beurre du Parti québécois puisqu'elle est au coeur de son option politique: l'indépendance. Sur ce sujet, le parti a souvent navigué entre réalisme démocratique et errance nationaliste. Le réalisme survient quand le parti est confiant alors que l'errance se produit quand il veut susciter la crainte identitaire. Parti de gouvernement, le PQ a généralement adopté la voie du réalisme et de la modération. Parti référendaire, il a plutôt tenté de maintenir artificiellement une menace qui n'est pas réelle, celle de notre disparition en tant que société francophone. Mais dans l'ensemble, pas toujours, ses dirigeants ont fait preuve de modération et d'ouverture. Ce fut le cas de la loi 101, que René Lévesque a voulue inclusive contre les avis des plus radicaux comme Camille Laurin.
J'attendais avec une impatience curieuse la réaction de Pauline Marois au rapport de l'Office québécois de la langue française (OQLF). Aussi, me fiant au concept de citoyenneté québécoise qu'elle avait proposé, je m'attendais à une réaction alarmiste, à un appel aux barricades et au retour de mots comme «assimilation» et «disparition». D'autant plus que la bêtise de l'OQLF dans sa gestion de l'opinion publique, l'apparente volonté de sa présidente de ne livrer aucune nourriture à l'opposition, la réaction des médias, les supputations, tout cela nous annonçait une catastrophe appréhendée. Si tant d'études avaient été cachées aussi longtemps, c'est qu'elles annonçaient un drame, une tragédie. Le climat était lourd et la tentation de profiter de l'évident mécontentement des journalistes, qui s'est dans certains cas transformé en mauvaise foi, cette tentation a été grande pour Pauline Marois et Pierre Curzi. Ils ne sont pas tombés dans le piège démagogique. Bien sûr, ils ont insisté sur les menaces et les aspects négatifs, sur la minorisation du français comme langue maternelle et sur la nécessité de renforcer la loi 101, en particulier dans le domaine de la langue du travail, pour qu'elle s'applique aux entreprises qui comptent entre 25 et 50 employés. Mais ils n'ont pas sonné l'hallali. Ils ont aussi reconnu les progrès du français, qu'ils qualifient de minces, et appelé à la vigilance. Voilà une position responsable, mesurée et intelligente.
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Phénomène fascinant: Christine St-Pierre a si rapidement appris la langue de bois qu'elle dénonçait quand elle était journaliste qu'on devrait lui décerner un prix de langue de bois. Elle est aussi parfaite qu'un membre de l'ancien Politburo soviétique. Elle fait face à un énorme problème qui la dépasse complètement. Le problème de la langue dans son parti ne relève pas d'elle mais des organisateurs et des stratèges du parti. Si elle refuse péremptoirement de modifier la loi 101 alors que tout dit qu'il faut en étendre la portée, c'est que les stratèges libéraux comptent tous les votes anglophones et sont persuadés que toute affirmation «nationaliste» de leur part entraînerait des résultats électoraux négatifs. Ils se trompent lourdement. La majorité des anglophones et des allophones qui vivent ici acceptent que la société québécoise soit une société francophone et, dans l'ensemble, ils parlent mieux le français que nous ne parlons l'anglais. L'application du français comme langue de travail provoquerait certes des résistances individuelles, un combat d'arrière-garde des derniers English purs et durs, mais elle n'entraînerait aucune crise ni aucune fracture sociale. Mme la ministre nous a donc dit en substance que la copine de son premier ministre, France Boucher, faisait un travail remarquable et que la ministre serait vigilante.
Et puis il y a eu Mario, qui a trouvé dans le rapport une autre raison de surfer sur la peur de l'immigration. Il ne le dit pas dans ces mots, mais c'est ce qu'il laisse entendre: le français est menacé par les immigrants, par les étrangers, même si les chiffres disent que, d'année en année, les autres, ceux qui menacent notre cohésion primaire, s'intègrent de plus en plus. Il faut donc limiter l'immigration, former un rempart contre l'étranger pour nous sauver de nous-mêmes. Mario se sert du rapport de l'OQLF pour rassurer Hérouxville qui, malgré ses valeurs chrétiennes, ne fait plus de bébés qui parlent français.
Partis politiques et journalistes ont unanimement reproché à la présidente de l'OQLF de ne pas avoir tiré de conclusions de ce bilan. Les chercheurs, dont certains ne parviennent pas à s'affranchir dans leurs recherches de préjugés politiques, l'ont fait aussi. Si elle l'avait fait en se conformant aux faits, elle aurait probablement dit ceci: «Le bilan est mitigé. Dans certains domaines, on constate des reculs, dans d'autres, des progrès qui pourraient être plus grands.» On lui aurait alors reproché son bilan réaliste.
Je suis Montréalais depuis 64 ans. J'ai vécu sur la rue de Mentana, la rue Simpson, la rue Victoria, la rue Mansfield, la rue Pratt, la rue Bernard, la rue Wiseman, la 22e Avenue, la rue Waverley et la rue Gilford. Je ne suis ni sociologue ni démographe. Je ne regarde pas des catégories et des chiffres; je songe à ma vie quotidienne et dans quelle langue elle se déroule et se vit, et en 64 ans, je n'ai jamais vécu autant en français, aussi totalement en français. Faisons le bilan que Mme Boucher n'a pas voulu faire. Sur Park, qui est aujourd'hui l'avenue du Parc, il n'existait aucune affiche en français il y a 30 ans. Aujourd'hui, elles sont toutes en français. Cela dit tout. Mais je fais aussi un autre bilan. On ne peut rien contre l'attraction de l'anglais, devenu la lingua franca de la postmodernité. Nous avons une chance extraordinaire: vivre en français et devenir bilingues. Les immigrants seront encore plus chanceux. Ils seront trilingues et pourront se délecter de Céline en français, en anglais et en farsi.
Le rapport
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