La lutte moderne pour l'indépendance du Québec a pris racine dans une prise de conscience intellectuelle qui a évolué pour former un mouvement politique, puis un parti politique. Au nombre des intellectuels à la barre : Maurice Séguin, Michel Brunet, Hubert Aquin, plusieurs auteurs de la revue Parti pris, et les acteurs politiques du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), dont Marcel Chaput, André D'Allemagne, Pierre Bourgault. Une caractéristique commune de ce courant consistait à démaquiller les rapports de domination coloniale.
On peut penser qu'une première doctrine de l'indépendance s'est alors formée; une doctrine qui appelait inlassablement à sortir des structures imposées par la Confédération. Cette époque a été fortement marquée par maints efforts pour saisir le visage particulier du colonialisme canadien, avec pour corollaire la longue et difficile décolonisation des esprits. Et cela a bien marché pendant une petite décennie.
Pour Wikipedia :
De 1960 à 1968, les thèses défendues par Marcel Chaput et les autres membres du RIN gagnent du terrain dans la société civile au point de forcer tous les partis politiques à ajuster leurs discours à propos du statut politique du Québec.
C'est donc dire que le courant indépendantiste qui expliquait l'inégalité par une domination coloniale remodelée, mais jamais éteinte, a influencé grandement le Québec de l'époque. Ce discours était de toutes les conversations, national et non partisan - jusqu'en 1966 - ce qui lui donnait une influence trans-parti. Ce courant était devenu prépondérant dans la nouvelle mouvance nationaliste jusqu'à ce qu'il soit détrôné. Ce qui ne devait pas tarder.
Le sort réservé à la « première doctrine de l'indépendance »
Daniel Johnson (père) et René Lévesque étaient deux personnalités publiques bien connues appartenant à d'autres horizons politiques. Ils étaient respectivement de l'Union nationale et du Parti libéral. Pour reprendre Wiki, ils seront de ceux qui devront «ajuster leur discours à propos du statut politique du Québec». Ils se situeront sur la première doctrine de l'indépendance avec la publication tout à tour d'un essai sur la question : Égalité ou indépendance (1965) pour Daniel Johnson et Option Québec (janvier 1968) pour René Lévesque. Daniel Johnson mourra prématurément. C'est René Lévesque, vedette charismatique et transfuge libéral, qui tirera profit du courant de décolonisation montant. Il le ramènera vers lui - en l'étouffant - pour l'enfermer dans le giron d'un fédéralisme utopique, pour ne pas dire impossible. Tenté par les mirages d'une résolution facile de la question nationale, la majorité du RIN, conduite par Pierre Bourgault, militera pour la dissolution du parti; une décision qui aura pour effet le repli dans les marges d'une doctrine aux accents de libération. Le parti enverra ses 11 000 membres au PQ, des indépendantistes qui commenceront à souffrir de leur absence d'organisation. Bourgault qualifiera plus tard la fin du RIN comme la plus grave erreur politique de sa vie. Mais il était trop tard. La première doctrine de l'indépendance et de la décolonisation venait d'abdiquer.
Andrée Ferretti écrira avec lucidité :
« La plus grave conséquence, cependant, de la transformation du RIN en parti est qu’elle a mené à sa dissolution. Il était logique que sa direction, qui visait la prise du pouvoir comme moyen privilégié de réaliser rapidement l’indépendance, ait voulu s’arrimer au MSA [précurseur du PQ] : aussi peu clairement indépendantiste qu’ait été le projet de René Lévesque, la popularité de celui-ci avait un attrait irrésistible. Comme si pouvaient naître du jour au lendemain et spontanément les conditions nécessaires à la désaliénation, étape préalable à l’exercice de la liberté. » [1]
Le Parti québécois a donc été fondé par le double effet de la figure charismatique de René Lévesque et du détournement d'un éveil des esprits, plus fondamental, qui avait été travaillé par d'autres. Hélas peu en avaient conscience à l'époque, mais l'écart entre les doctrines du RIN et du PQ saute aux yeux quand on constate que jamais le PQ ne contribua par la suite, ne serait-ce que par des broutilles, à l'enrichissement de la première doctrine de l'indépendance. Bien au contraire, la formation de ce parti venait la renverser. Et, de ce point de vue, sans trop pousser, on pourrait croire que c'est là que se produisit le véritable vol de l'indépendance. Et si l'on s'y attarde, l'hypothèse donne de la cohérence à tout ce qui suivit.
L'interdit sur la dimension coloniale de notre condition
Désormais, avec Lévesque, toute explication de notre condition, qui passait par le colonialisme avec pour remède la décolonisation des mentalités et l'indépendance, sera prohibée. Et l'interdit sera inscrit dans l'ADN du Parti québécois. Sur le fond, la négation de l'existence même de tout rapport colonial au sein du Canada ─ thèse que défendait Pierre E. Trudeau et Gérard Pelletier ─ sera obligatoire au Parti québécois. Un effondrement idéologique. J'y reviendrai plus loin avec Maurice Arbour. De surcroit, René Lévesque agira comme un chef de police pour réprimer l'expression de la première doctrine de l'indépendance au sein de son nouveau parti national-provincial. Il mettra maintes fois sa tête en jeu contre ses compatriotes «purs et durs», les survivants de la première doctrine de l'indépendance, mais jamais contre le fédéralisme; ni en 1980 ni en 1981 ni en 1982, donc jamais. Le PQ restera intraitable. Il se défendra avec la dernière énergie de toute filiation politique avec le RIN, il récusera toute explication de l'infériorité grandissante du Québec - et du Canada français - par la privation de droits politiques, comme le prolongement d'une domination coloniale, pourtant décortiqué bien des années plus tôt.
Pitié pour le fédéralisme, pas de pitié pour les « purs et durs »
C'est donc dans le cadre d'une franche opposition à un mouvement de libération nationale que René Lévesque avait élaboré soigneusement sa thèse d'un renouvellement du fédéralisme. Il misait tout sur des ajustements structurels entre nations – qui par bonheur ou par hasard épousaient le contour des frontières provinciales – pour rendre fonctionnel un fédéralisme qui ne l'était pas, et qui l'avait jamais été. Jusque là le plan – bien que d'ambition limité – pouvait avoir un certain sens, il faut en convenir. [2] Mais c'est dans la façon de passer d'un Canada à dix à un Canada à deux que le projet se révélait une parfaite tarte à la crème, le genre d'utopies devant lesquelles le Canada français avait tourné le dos depuis les douloureuses années 1837-38. Or, avec Lévesque, on partait d'une thèse incomplète, un attrape nigauds qui s'objectait à considérer le prévisible refus du Canada de se redéfinir à la demande d'une de ses provinces, une province qui se révélait elle-même autant divisée que quémandeuse d'ajustements ! En même temps, pour se coincer davantage, Lévesque n'en resta pas là. Il jura qu'aucune autre solution que sa réforme fédéraliste – la souveraineté-association – ne pouvait être admise. En somme, il portait la bannière d'une thèse naïve, irresponsable, mal inspirée, négligente, sous l'influence des services secrets – et possiblement toutes ces réponses. Et de surcroit, une thèse qui rendait superflue toute préparation à une lutte politique résolue et de longue haleine. Tout devait être improvisé – ce qui fut fait – et aucune méfiance envers « nos partenaires canadiens » – y compris la GRC – ne pouvait se justifier dans le cadre d'un si beau rêve de réformer le Canada au profit de tous les Canadiens.
Car tous devaient y trouver leur compte selon le tandem Lévesque-Morin. Seuls les « purs et durs » cités plus haut, ne pouvaient trouver grâce aux yeux de Lévesque. Il leur montra combien il pouvait être intransigeant comme, à l'opposé, il pouvait être bien disposé envers les services canadiens et les accointances de son premier lieutenant avec les barbouzes. Qui demande encore à juger des résultats de 1981 sous la direction de Claude Morin ? Voilà de quoi est faite la prestigieuse réputation PQ !
L'identité territoriale et la puissante « minorité » de blocage
Sur au moins une question cependant, les positions défendues par le PQ se situaient dans la même veine que celles du RIN. Les deux considéraient l'identité territoriale québécoise comme la seule source de notre identité. Une amputation par rapport à notre histoire longue qui revendiquait la singularité d'un « Nous » nord-américain, qui s'était déployé depuis les rives du Saint-Laurent bien avant l'anglicisation du continent. La question de notre identité à libérer demeure difficile, une question qui, à ce jour, n'a pas été résolue de façon satisfaisante. Certes, les incertitudes quant à la vigueur du Canada français et de l'Acadie se posaient se posent toujours. Mais justifiaient-elles de rejeter toute communauté d'intérêt entre les « descendants des vaincus » pour, drôle de pari, tout miser sur une affinité nationale à construire avec le West Island ? L'identité territoriale magnifiée se condamnait à solliciter et à convaincre le château fort de la nation canadienne au sein du Québec. Un combat perdu d'avance. Si Lévesque avait eu raison de pester quelques fois contre les « Rhodésiens », il ne chercha ensuite que la conciliation. Pour une pièce d'anthologie sur le sujet, il faut relire le discours de Lucien Bouchard aux Anglais (au lendemain du référendum de 1995), un discours apparemment écrit par Jean-François Lisée. Le discours d'un prisonnier et d'un vaincu qui s'adresse à la puissante « minorité » de blocage.
Deux victoires suivies de graves échecs
C'est armé de cette façon abracadabrante que l'équipage de René Lévesque va monter sur son navire amiral. À part deux victoires initiales, le petit équipage de Tit-Poil ira de naufrage en naufrage. C'est mon hypothèse que c'est grâce à l'influence rayonnante de l'infusion riniste au sein du Parti québécois que ce dernier remportera deux victoires en cinquante ans. Ces deux victoires méritent d'être soulignées. D'abord la victoire électorale de 1976, qui souleva un vent d'enthousiasme jamais vu auparavant. L'autre, l'adoption de la Loi 101, une loi que René Lévesque finira par concéder après beaucoup d'hésitations et grâce à la ténacité de Camille Laurin. On découvrira vite que la loi péquiste sur la francisation du Québec sera vécue comme un avant-goût de l'indépendance. Elle avait à elle seule toute la vigueur d'une thérapie réussie. La confiance des Québécois en leur pouvoir et leur bon droit atteignit alors des sommets inégalés : un peuple se levait ! De mémoire, ce sont les deux seuls événements, deux intermèdes pendant lesquels la majorité démographique du Québec suspendra ses peurs - légitimes - de la répression pour s'imposer enfin comme une majorité sociologique.
Le reste du lévesquisme ne sera qu'une suite ininterrompue de reculs et d'échecs. En fait le PQ, qui continue de voguer avec Lisée comme si de rien n'était, comme René Lévesque, qui apparemment n'a jamais rien eu à se reprocher, aura fait plus reculer le Québec de 1980 à l'an 2000, que les 113 années précédentes de la Confédération. Il est vrai que les comparaisons sont toujours un peu injustes. Mais à part la Conquête et la répression des années 1837-38, il est difficile de voir ce qui aura le plus poussé les « descendants des vaincus » vers le néant historique et l'insignifiance à part les errances du péquisme. Même s'il ne porte pas toute la responsabilité, il a toujours refusé d'en assumer sa juste part. L'alibi usé du « méchant fédéral » et du « peuple qui n'a pas suivi » ne convainc plus.
Un surtemps qui se joue du coté des pâles lueurs
Les conditions objectives de la domination politique - exposées par les défricheurs de la lignée riniste – n'ayant jamais changées, la première doctrine indépendantiste n'a jamais cessé de se dresser contre la doctrine opposée, celle du Parti québécois. Andrée Ferretti, témoin important de l'époque du RIN, dont je suis moi aussi mais à moindre égard, rappelle que Guy Pouliot mena l'opposition contre la dissolution du parti voulue par Pierre Bourgault.
* * *
Des auteurs font renaître la dimension coloniale de notre condition
Au fil des ans, plusieurs personnes ont remis en cause le roman de René Lévesque. Une forme de résistance a été l'écriture de livres apparus pour analyser l'échec historique de la période péquiste et relancer le débat sur des bases plus saines. Savoir, à partir de quels fondamentaux faut-il aborder la question nationale au sein du Canada et du Québec ? Il y a bien sûr du temps supplémentaire qui se joue, sans espoir de compter un but; mais on fait néanmoins du surtemps pour ajourner un verdict déjà rendu par l'histoire. Il faudra néanmoins réaliser assez vite que l'avenir ne se trouve pas du coté des pâles lueurs d'une comète qui disparaît sur l'horizon.
Le Perdant de Martin Bisaillon
En 2004, Martin Bisaillon publie Le Perdant. Un petit livre de 103 pages qui retrace les années sombres de René Lévesque. Le livre sort très tôt et ne mérite pas le jugement très négatif qu'en fait Odile Tremblay dans le Devoir.
Pour ma part, je juge le livre équilibré, documenté et soutenu par de nombreuses références vérifiables. Perfectible, certes, mais déjà fort à la hauteur en 2004 par rapport à ce qui se publiait à l'époque et encore aujourd'hui. Au Québec, on dirait parfois que les consciences avancent comme de la mélasse en hiver.
Bisaillon écrit :
Je désire au moyen de ce livre apporter une nuance au tableau en esquissant une autre vision du passage de René Lévesque dans l'arène politique québécoise et dresser un autre bilan de ses décisions, une analyse critique démontrant que Lévesque ne fut pas un «libérateur de peuple ». (p.19)
Pour le lecteur intéressé, j'ai regroupé ici quelques extraits du livre :
Cessons d'être des colonisés ! de J. Maurice Arbour
Plus récemment (2015), le livre de J. Maurice Arbour, Cessons d'être des colonisés ! apparaît comme la contribution tardive d'un homme qui a enseigné pendant au moins 30 ans le droit constitutionnel canadien et le droit international. Contribution tardive mais un passage obligé, en dépit de quelques inexactitudes mineures sur l'histoire de la Confédération (Chapitre 7) et d'une certaine complaisance envers le Parti québécois (Chapitre 12), qu'il ménage après nous avoir convaincu qu'il était le principal vecteur de la mentalité du colonisé. Les chapitres les plus intéressants sont de loin ceux où il retrace dans une synthèse fort réussie les tribulations de la montée et de la chute de l'idée du colonialisme au Québec (Chapitres 3, 4 et 5).
Dans le chapitre 3, il écrit :
[...] à la fin des année 1950 et au début des années 1960, des intellectuels québécois ont discuté du colonialisme et de la nécessaire décolonisation du Québec. On y parle de domination politique, économique et culturelle.»
Plus loin, il passera plus en détail les contributions respectives d'intellectuels de l'époque qui ont voulu dresser le portrait d'un colonialisme à visage canadien, il mentionne un certain nombre d'entre eux, comme Raymond Barbeau, Marcel Chaput, Hubert Aquin, Raoul Roy, Paul Chamberland, André D'Allemagne, Pierre Bourgault, Gaston Miron...
Puis, écrit-il :
Jetant un regard global sur les années 1960, Gaston Miron et Andrée Ferretti affirment, par exemple, que le mouvement indépendantiste québécois de la fin des années 1950 se veut ''un véritable mouvement de libération nationale dont l'objectif primordial est de briser le cercle du colonialisme qui, depuis deux cents ans, enferme la nation québécoise dans la dialectique vicieuse de la domination, source d'aliénation, et de l'aliénation, soutien de la domination''. (p.44)
Selon lui, la fondation du Parti québécois a coïncidé avec le repli du puissant argumentaire de la libération. Il écrit : « il ne semble pas que la question du colonialisme canadien ait intéressé qui que ce soit dans les années qui suivirent immédiatement 1968 », année de la fondation du PQ. (p.44)
Dans le chapitre 4, l'auteur fait voler en éclats la prétention de Bernard Landry (p. 65) que nous ne sommes plus des colonisés parce que nous avons pris en main nos leviers économiques. Landry se doutait-il qu'il reprenait en 2013, l'argument des Trudeau et Pelletier, pour qui la condition économique avantageuse des Québécois n'était pas compatible avec l'existence d'une situation coloniale ? En fait, nous nous serions libérés après avoir révolutionné tranquillement dans des turbines hydro-électriques.
Si Arbour n'a pas de peine à reconnaître le ré-équilibrage économique des Canadiens français, il continue néanmoins d'enfoncer le clou :
[...] si beaucoup de choses ont changé dans les faits, aucun changement réel n'est intervenu là où ça compte, c'est-à-dire sur le chapitre des règles du jeu constitutionnel. Or, non seulement celles-ci n'ont pas évoluées à l'avantage des Québécois, mais elles ont régressé au détriment de ceux-ci, en 1981-1982. (p.67)
Le reste du chapitre 4 lance un avis de recherche du «colonisé» disparu de l'écran radar de la question nationale dans toute la mise en scène de la très soumise souveraineté-association. Il tonnera : Le parti québécois avait bien plus besoin de travailleurs d'élections que de cerveaux capables d'ouvrir les chemins de la libération. On ne pouvait mieux dire !
Mais là où je trouve qu'Arbour frappe le plus fort c'est quand il démontre qu'avec la disparition de toute référence au caractère colonial de la relation Canada-Québec, ce ne sont pas vraiment les thèses de Lévesque qui l'emportent, mais plutôt Lévesque qui défait ce que le RIN avait construit. Il le fait en reprenant pour son compte l'argumentaire de P.-E. Trudeau, de Gérard Pelletier - et de quelques amis français bien placés, comme Jean-Marie Domenach - dans leur plaidoyer contre l'existence d'une situation coloniale au Canada, dès le début des années 1960. L'idée de voir un colonisé dans son miroir était proprement terrifiante !
Pour lire d'autres extraits du livre :
Naître colonisé en Amérique de Christian Saint-Germain
Le personnage qui est certes le plus atypique de la nouvelle mouvance des décolonisés est sans contredit Christian Saint-Germain. Après avoir publié coup sur coup L'avenir du bluff québécois (2015) et Le mal du Québec (2016), il récidive avec un titre encore plus explicite : Naître colonisé en Amérique (2017). Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce professeur d'université bardé de diplômes dérange.
La critique de Nicolas Proulx
Saint-Germain ne laisse pas indifférent. À preuve, la livraison de décembre 2017 de la revue l'Action nationale lui consacre deux recensions. Une signée de Denis Monière, et l'autre de Nicolas Proulx. Proulx n'y va pas de main morte dans sa charge contre Saint-Germain qu'il décrit comme « destructeur et redondant ». Ce qui ne passe pas chez Proulx c'est la critique détachée de toute réserve d'un auteur qui s'en donne à coeur joie en pratiquant un humour caustique et inconvenant. Visiblement partisan du Parti québécois, Proulx attribue à l'auteur – et là-dessus il n'a peut-être pas tort – « ...une invitation à une révolution intestine au mouvement qui devrait d'abord être éviscérée (sic) de son enfant politique qui lui pourrirait les entrailles.»
La critique de Denis Monière
Et Saint-Germain polarise. Si Nicolas Proulx n'a à peu près rien de positif à dire, Denis Monièrel'a non seulement trouvé drôle, mais il en profite pour réinterpréter les thèses de Saint-Germain dans le style d'une analyse politique serrée. Honnêtement, paragraphe par paragraphe, j'ai trouvé impeccable ce que retient Denis Monière du livre de Saint-Germain avec lequel il s'accorde pour dresser un bilan négatif du Parti québécois. Comme bien d'autres, il attribue au néo-fédéralisme du PQ la disparition de toute forme de référence au Canada colonial depuis 1968.
[Mon soulignement]
Ce livre se propose d'explorer cette relation et de décrypter les rouages de l'inconscient colonial québécois. C'est en quelque sorte le portrait du colonisé québécois moderne. Mais attention : cœurs sensibles, s'abstenir de lire ce livre hors norme, ce chef-d'oeuvre de sarcasme et d'ironie décapante. La plume acide de Saint-Germain vitupère les conforts de notre bourgeoisie intellectuelle qui règne sur un peuple qui se tord de rire. Pour bien se faire comprendre, l'auteur emprunte lui aussi le chemin de l'humour puisqu'au Québec rien d'autre ne suscite de l'intérêt.
Plus loin :
Le PQ tourne en rond et a rabougri le destin du Québec. L'auteur ne ménage pas les insultes envers ce parti qu'il qualifie de parti de ronds de cuir, de pantouflards. Avec le PQ, '' le Québec est devenu un fœtus politique, amas informe, enfant mort-né de la révolution tranquille '' (p. 67) La faute du PQ est d'avoir camouflé et travesti les rapports de force entre le peuple du Québec et ses oppresseurs (voir p. 71) faisant ainsi des Québécois les victimes consentantes du fait colonial. La faute du PQ est de ne pas avoir assumé le « caratère ethnique de notre survivance ». Ses dirigeants avaient la terreur phobique de ce que l'Autre, le colonisateur penserait de cette affirmation de soi. Se nier soi-même pour ne pas déplaire à ceux qui dominent et créent les conditions de notre subordination, telle est la logique du colonisé. « Blanchis sous le harnais, le colonisé québécois garde des caractéristiques héréditaires d'une soumission reçue et transmise comme son unique moyen de conservation et de pérennité » (p. 114)
À la fin, Monière reprochera à l'auteur, mais sans insister, de n'avoir aucune solution à proposer :
« Tenant cette chronique d'une mort annoncée, il opte pour le « il n'y a rien à faire » avec une certaine mauvaise foi... » Mais l'heure des solutions n'a peut-être pas encore sonné pour un troupeau de moutons qui se laisse conduire sur la voie du suicide assisté.
Monière conclura :
[...] pour ceux qui ne renoncent pas, ce livre de Saint-Germain peut s'avérer salutaire, car il sonne l'alerte et oblige à sortir du prêt-à-penser qui produit la culture de la défaite péquiste. »
La critique de Mathieu Bock-Coté
Dans le Journal de Montréal, Mathieu Bock-Coté consacre la plupart de sa chronique à vanter Saint-Germain avec l'intelligence qu'on lui connait. Il l'a lu et manifestement bien compris. Il cite d'excellents passages du livre et en recommande la lecture. [3]
Dans le paragraphe suivant – hormis ce qu'il appelle « l'effondrement du parti ''indépendantiste'' » – il écrit de manière intéressante :
Saint-Germain parle aussi de la «pureté révolutionnaire essentielle à l’avènement d’un État français en Amérique» (p.81). Disons la chose en d’autres mots, peut-être un peu moins lyriques: il ne peut pas y avoir de politique indépendantiste sans mystique indépendantiste. Il ne peut pas y avoir de nation sans mystique nationale, et les Québécois qui ont oublié l’épopée de l’Amérique française seraient aujourd’hui en manque de mystique. Il y a quelque chose de sacré dans la poursuite de l’indépendance d’un peuple. On retrouve ici ce qu’on pourrait appeler la posture prophétique de Saint-Germain: alors que tous les nationalistes s’inquiètent d’un effondrement du parti indépendantiste, lui veut voir dans ce cataclysme possible un moment de renaissance. C’est en mourant qu’on peut renaître. On peut voir les choses autrement. il ne pourrait y avoir que le néant. »
Bock-Coté admet que « Pour Saint-Germain, ''le contexte social québécois n’est pas neutre: c’est un dispositif génocidaire silencieux, une aire de dressage construite par le conquérant'' (p.119). »
Il poursuit :
C’est de la disparition tranquille d’un peuple dont nous parle Saint-Germain, il s’agit de savoir si un peuple arrivé ici il y a plus de quatre cents ans et qui a fait ce pays, qui l’a fondé, pourra un jour assumer pleinement sa propre existence historique ou s’il consentira à sa régression à la manière d’une nation morte dont il ne restera que des traces folkloriques: il nous faut comprendre à quel point notre appartenance au Canada nous condamne à une inévitable disparition. (…) Saint-Germain ne tolère pas que les leaders indépendantistes n’assument pas clairement la charge existentielle du projet qu’ils portent depuis la fondation du PQ. Il le fait brutalement, sans trop de nuances et on se gardera d’endosser sa stratégie de la table-rase qui serait politiquement suicidaire pour tout un peuple. »
Ce qui m'échappe c'est le choix que semble poser Bock-Coté entre « endosser la stratégie... politiquement suicidaire de Saint-Germain », d'une part, ou celle « des leaders indépendantistes [qui] n'assument pas clairement la charge existentielle du projet qu'ils portent », d'autre part. Et pour bien enfoncer le clou, Bock-Coté pose la question de la vérité :
Et c’est la suivante: la question nationale n’est pas qu’une simple querelle gestionnaire et constitutionnelle seulement compréhensible dans les paramètres de la modernité québécoise. C’est une question de vie ou de mort pour le peuple québécois. »
Bock-Coté, pour nous éloigner de la voie suicidaire de Saint-Germain, nous proposerait donc la voie sucidaire des «leaders indépendantistes [qui] n'assument pas clairement la charge existentielle de [leur] projet. Entre deux suicides, y en aurait-il un plus joyeux que l'autre ? En quelque part, à la différence de Proulx et de Monière, Bock-Coté est celui qui semble le plus ambivalent. Le cœur et la raison avec Saint-Germain mais le reste ─ le trivial ─ avec «ceux qui n'assument pas clairement la charge existentielle du projet qu'ils portent. » Comme bien des Québécois, et non les moindres, il refuse de tirer la conclusion que lui dicte la clarté de son analyse.
Pour lire des extraits de Christian Saint-Germain :
* * *
En 2018, nous allons glisser graduellement dans une période électorale qui va nous distraire des enjeux d'envergure nationale. Non pas que les «affaires courantes» soient sans intérêt, elles le sont, mais les campagnes électorales se confinent généralement à elles seules. Dans La démocratie athénienne miroir de la nôtre, le philosophe Jacques Dufresne écrit : « Le ver de la démagogie, dont Périclès avait su retarder les méfaits, était dans le fruit de la démocratie depuis le début ». L'histoire des joutes électorales nous rappelle que la question nationale ─ si on oublie le RIN ─ ne fut posée qu'à une seule occasion en cinquante ans, soit lors de l'élection de 1973.
L'avénement de grands changements, comme ceux de l'ordre du statut politique, s'ils peuvent profiter d'accidents historiques indépendants et imprévisibles, ils ne peuvent, en revanche, gagner la faveur populaire que par la présence active d'un mouvement politique dédié à la revendication politique et à l'éveil des esprits; un mouvement dédié à la popularisation sans relâche d'une doctrine qui n'a pas à subir la défaite dans les urnes, mais qui doit plutôt gagner en influence sur le terrain jusqu'à ce que son heure soit venue. À cet égard, il convient de le rappeler, c'est Guy Pouliot et Andrée Ferretti qui avaient raison sur Pierre Bourgault. Car, une doctrine insuffisamment raffermie, ne peut que se défigurer dans les compromissions qu'oblige les concours de popularité électorale.
Avec d'autres, dont le nombre semble aller croissant, le déni de l'échec dramatique des cinquante dernières années ne peut se prolonger plus longtemps. Le mouvement d'émancipation national se trouve diminué, ruiné, rendu insignifiant par la mise en avant d'un électoralisme ambitieux et prématuré qui a contribué aux dérives de nos intérêts fondamentaux. La tenue d'états généraux des « descendants des vaincus » que propose Richard Le Hir, pourrait nous aider à sortir de l'impasse.
Références
- ^ https://www.erudit.org/fr/revues/bhp/2014-v22-n3-bhp01312/1024141ar.pdf
- ^ En fait, contrairement à ce que pensait Lévesque, le seul fédéralisme qui pourrait fonctionner au Canada exigerait le redécoupage du territoire en trois nations égales pour rendre justice aux « descendants des vaincus », parmi lesquels j'inclus ici les Premières nations. Ce fédéralisme organique - socio-historique - existe et fonctionne ailleurs.
- ^ http://www.journaldemontreal.com/2017/09/24/se-redecouvrir-comme-colonises---ou-pourquoi-il-faut-lire-christian-saint-germain
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