Le pouvoir médiatique et ses excès

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L'avenir de la politique sera de contourner les médias de masse

J’ai enfin revu hier soir À hauteur d’homme, l’excellent documentaire de Jean-Claude Labrecque consacré aux élections québécoises de 2003. Une chose m’avait frappé lors de sa sortie et me frappe encore plus aujourd’hui: le pouvoir des médias peut devenir tellement excessif qu’il peut en venir à se retourner contre la démocratie. On le voit dans le documentaire: les journalistes qui suivent la campagne de Bernard Landry lors des élections de 2003 ont décidé du récit à travers lequel ils présenteront sa campagne au public et cherchent seulement les faits susceptibles de le confirmer – quitte à les fabriquer en tordant une information ou en la surinterprétant tellement qu’elle n’a plus grand-chose à voir avec la réalité. Certains d’entre eux s’acharnent sans gêne, en essayant de le piéger à répétition, comme si c’était leur métier. Ils prétendent couvrir une campagne alors qu’ils mènent la leur.


Il ne s’agit pas de dénoncer les «méchants journalistes», loin de là, ou de contester leur rôle absolument essentiel en démocratie, mais de constater que certains, sans trop même s’en rendre compte, fabriquent souvent la réalité qu’ils prétendent décrire – et ils la fabriquent inconsciemment à partir de leurs préjugés, qu’ils peineront d’ailleurs à reconnaître comme s’ils incarnaient la pureté démocratique sous le signe d’une recherche de la transparence et de la vérité. Qu’on se comprenne bien, je n’y vois nul complot mais le simple effet d’un pouvoir démesuré qui n’a plus rien d’un contre-pouvoir à l’ancienne. Tout pouvoir doit être critiqué, et le pouvoir médiatique doit être critiqué aussi. J’en suis venu à croire, depuis un bon moment déjà, que devant un intervieweur inquisiteur qui fait preuve de trop de mauvaise foi, un homme politique est en droit de ne plus se soumettre à la question à la manière d’une victime condamnée à la soumission mais de dénoncer cette manœuvre en dénonçant le biais idéologique de celui qui masque son militantisme derrière sa pratique du journalisme. Ce qui est agaçant, ce n’est pas quand un éditorialiste éditorialise ouvertement, mais quand un reporter éditorialise sans l’avouer. 


Les médias sont devenus un pouvoir inconscient d’en être un. Ils mettent en scène la réalité, ils en tracent les contours, ils distribuent les étiquettes, ils fixent les codes de la respectabilité, ils décident qui sont les amis de la démocratie, et qui sont ses ennemis. En gros, ils sont les gardiens officiels de la réalité – ils se permettent même d’associer trop souvent aux fausses nouvelles les interprétations de la réalité qui leur déplaisent ou de réduire au statut de polémistes les analystes qui ne se soumettent pas à la grille d’analyse dominante. De ce point de vue, je comprends que certains politiciens cherchent à reprendre le contrôle de leur récit public en misant sur les nouvelles technologies. Ils ne veulent plus se faire imposer un récit qui n’est pas le leur, non plus que jouer un rôle dans un scénario qui leur est imposé de l’extérieur et dans lequel ils auront le mauvais rôle. Ils veulent se raconter tels qu’ils se voient. On y verra moins une volonté de contourner en soi les médias que de ne plus se soumettre à un pouvoir auquel ils ne font plus confiance.