Pourquoi le PQ assassine-t-il ses chefs? Pourquoi les uns après les autres doivent-ils tirer leur révérence dans la précipitation? Depuis le fondateur, René Lévesque, jusqu'à André Boisclair, tous ont quitté la scène comme si un Brutus allait surgir des rangs même du parti.
On cherche souvent l'explication dans le complot des adversaires, dans la culture de l'affrontement ou même dans le fait que le parti est une coalition disparate. Ces facteurs ont joué certes, mais ils ne sont pas suffisants pour expliquer ce qui se passe au PQ, tous les partis comptant des factions et des ambitieux.
La cause la plus fondamentale du malaise actuel se situe fort probablement dans la déception qui habite les militants et les membres de cette formation depuis quelques mois.
La déception conjoncturelle d'abord : André Boisclair a été chef pendant une courte période, mais celle-ci fut marquée par une très forte volatilité de l'opinion publique. À l'automne 2005, le PQ frôlait les 50 % dans les intentions de vote et la souveraineté semblait avoir le vent dans les voiles. Au moment où le jeune chef prenait la direction du PQ, la victoire était quasi acquise. Dix-huit mois plus tard, rien ne va plus. Avec ses 28 % d'appui aux dernières élections, le PQ semble avoir perdu presque la moitié de son électorat. Que s'est-il passé?
Plusieurs ont reproché à M. Boisclair certains choix et certains gestes. Et les erreurs commises sont suffisamment nombreuses pour qu'on puisse le rendre responsable des malheurs du PQ. Cependant, la cause de la dégringolade est beaucoup plus profonde. Aussitôt que Stephen Harper prend le pouvoir à Ottawa, qu'il amorce un changement d'attitude et annonce des concessions au Québec, le PQ commence à perdre des points. Bien des francophones ne sentent plus l'urgence d'un référendum « le plus tôt possible « et le programme radical adopté par les péquistes en juin 2005 se retourne contre eux. La suite est connue : l'ADQ, avec son autonomisme et son nationalisme de droite, est la seule formation à profiter de la grogne populaire à l'endroit des libéraux de Jean Charest. On est ainsi passé de la conviction que l'idéal était à portée de main à la plus importante défaite depuis 1970.
La déception structurelle ensuite : un phénomène de déception analogue, mais plus profond, exerce une influence fondamentale qui touche tous les chefs péquistes. Dans son programme, le PQ s'est soumis à une double exigence : gagner une élection, puis un référendum. La victoire référendaire, plus difficile, constituant le véritable objectif, lorsqu'on échoue, c'est la grande déception. Les chefs libéraux, eux, n'ont pas à gagner deux batailles consécutives pour qu'on les applaudisse.
Des questions fondamentales
À ce moment-ci, les péquistes ne doivent pas seulement se demander qui remplacera André Boisclair, ils doivent aussi se poser des questions plus fondamentales : pourquoi sont-ils si souvent déçus? Pourquoi cette déception se transforme-t-elle fréquemment en amertume? Pourquoi tant de chefs ont-ils «failli» à la tâche? Pourquoi depuis 1995 les souverainistes ont-ils subi cette hémorragie : 49 % lors du référendum de 1995, 43 % au scrutin de 1998, puis 33 % en 2003 et, finalement, 28 % en 2007. Pourquoi le Bloc québécois, le parti frère, a-t-il subi la même baisse de popularité au cours des derniers mois?
Le Parti québécois a été le véhicule de biens des idéaux depuis sa création : langue, nation, social-démocratie et souveraineté. Les grandes mesures linguistiques ou interventionnistes que le Québec a mises en place au cours des dernières décennies viennent le plus souvent de ce parti, ou de la pression qu'il a exercée. Ce passé réel, aux effets parfois exagérés, pèse lourd sur les épaules du chef de ce parti. Les attentes sont d'autant plus grandes que les souverainistes ont été choyés en comptant dans leurs rangs les meilleurs tribuns que le Québec ait connu au cours des dernières décennies : Pierre Bourgault, René Lévesque, Claude Charron et Lucien Bouchard. Héritiers de cette longue tradition, les militants du PQ n'acceptent pas de recul. Voilà aussi pourquoi, ils ne pardonnent pas au chef qui n'est pas à la hauteur de la tradition du parti.
La force du PQ est aussi sa faiblesse. À l'instar des grands partis idéologiques, par opposition aux partis de gouvernance, il a rassemblé beaucoup d'intellectuels, d'enseignants, d'artistes, de syndicalistes et d'anciens journalistes. Ces gens ont porté bien des idéaux qui ont marqué le Québec moderne, mais en cultivant tant d'idéaux ils en sont aussi devenus prisonniers. Pour eux, tout recul trouve sa cause dans une parole déficiente. Telle est la prétention pédagogique de la souveraineté. En ayant en tête ce phénomène, on comprend ainsi mieux pourquoi le porte-parole principal est éjecté dès que la déception frappe l'organisation.
La situation actuelle du mouvement souverainiste s'inscrit dans une tendance lourde que les membres et les militants auraient tort de n'associer qu'à un seul homme. La démission d'André Boisclair n'est qu'une pièce du puzzle. En transformant André Boisclair en paratonnerre de leurs déboires, les péquistes peuvent s'accrocher à leur idéal et rêver que le prochain chef les mènera à la victoire, mais ils peuvent aussi repenser leur idéal, le redéfinir, le moduler en fonction du temps présent. Les souverainistes peuvent ainsi saisir l'occasion de réaligner leurs forces et démontrer qu'ils ne sont pas les otages des idéaux du passé.
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Jean-Herman Guay
L'auteur est politologue à l'Université de Sherbrooke
Le poids des déceptions
La cause la plus fondamentale du malaise actuel se situe fort probablement dans la déception qui habite les militants et les membres de cette formation depuis quelques mois.
Boisclair démissionne
Jean-Herman Guay30 articles
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
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