Le Parlement catalan a approuvé vendredi l’»indépendance» de la Catalogne, une rupture sans précédent en Espagne, à laquelle Madrid a riposté en mettant la région sous tutelle.
Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy a immédiatement réagi au vote du parlement catalan en promettant de «restaurer la légalité» en Catalogne.
Et, signe de l’inquiétude que suscite cette crise en Europe, le président du Conseil européen Donald Tusk a souligné que l’Espagne restait «la seule interlocutrice» de l’Union européenne.
Washington, Berlin et Paris ont aussi fait savoir qu’ils soutenaient l’unité de l’Espagne.
M. Tusk a cependant appelé le gouvernement espagnol à choisir «la force de l’argument plutôt que l’argument de la force», alors que beaucoup craignent que la Catalogne ne soit entrainée dans une spirale d’agitation et de répression.
Loin des chancelleries, la liesse s’était emparée de dizaines de milliers de personnes massées aux abords du parlement catalan, envahies par le sentiment de vivre un moment d’Histoire.
Des hourras, des applaudissements et le cri «indépendance» en catalan se sont élevés de la foule.
Sablant le «cava» (mousseux) catalan et s’embrassant, les manifestants ont entonné l’hymne de la Catalogne, la plupart le poing levé.
La déclaration d’indépendance va cependant à l’encontre du souhait d’une bonne moitié des Catalans.
Lors des dernières régionales, en 2015, les indépendantistes avaient obtenu 47,8% des suffrages.
Symbole de cette fracture, la résolution déclarant l’indépendance de la Catalogne a été adoptée en l’absence de l’opposition, qui avait quitté l’hémicycle, par 70 voix pour, dix voix contre et deux abstentions.
Le texte proclame «la République catalane, comme État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social».
Une heure après son adoption, à Madrid, le Sénat espagnol validait le déclenchement de l’article 155 de la Constitution, permettant une mise sous tutelle la région, un événement également sans précédent en Espagne depuis que la démocratie a été rétablie en 1977.
Dans la foulée, Mariano Rajoy a convoqué un Conseil des ministres extraordinaire pour mettre en oeuvre les mesures qui en découleront: destitution de l’exécutif catalan, mise sous tutelle de la police. Deux dispositions controversées, la mise sous tutelle du parlement catalan et des médias publics, ont finalement été écartées.
Mariano Rajoy s’est en outre engagé à organiser des élections dans la région dans les six mois.
Le président indépendantiste de la région Carles Puigdemont a, lui, appelé les Catalans à rester «pacifiques et civiques».
Face au Palais de la Généralité, siège de l’exécutif, des milliers de séparatistes exigeaient déjà que soit retiré le drapeau de l’Espagne.
Dans ses attendus, la résolution demande à l’exécutif catalan de négocier sa reconnaissance à l’étranger, alors qu’aucun Etat n’a manifesté son soutien aux indépendantistes.
Avant ce vote, l’opposition avait quitté l’hémicycle.
Brandissant la résolution, Carlos Carrizosa, du parti anti-indépendantiste Ciudadanos, avait déclaré: «Ce papier que vous avez rédigé détruit ce qu’il y a de plus sacré, la coexistence» en Catalogne.
«État catalan»
La Catalogne n’en est pas à ses premières tentatives d’éloignement du gouvernement central. Mais son exécutif n’était jamais allé aussi loin. Le dernier épisode remonte à plus de 80 ans.
Le 6 octobre 1934, le président du gouvernement autonome de Catalogne, Lluis Companys, proclamait un «État catalan dans le cadre d’une République fédérale d’Espagne».
Cette tentative avait déclenché une proclamation d’État de guerre et des affrontements qui avaient fait entre 46 et 80 morts, selon les historiens. La Catalogne avait alors perdu son autonomie pendant deux ans.
L’article 155 de la Constitution - jamais appliqué - permet à Mariano Rajoy de suspendre de facto l’autonomie de la région.
Les conséquences de la déclaration d’indépendance comme de la mise sous tutelle de la région sont incalculables.
Face à l’insécurité juridique, plus de 1.600 sociétés ont déjà décidé de transférer leur siège social hors de Catalogne, agitée depuis des semaines par des manifestations pour et contre l’indépendance. Les banques catalanes accentuaient leur chute vendredi à la Bourse de Madrid. Banco Sabadell était en tête de la dégringolade, son cours perdant 4,85% à la clôture.
Les partis séparatistes présentent comme un «mandat» les résultats - invérifiables - du référendum d’autodétermination interdit du 1er octobre, qui avait été émaillé de violences policières: 90% de «oui» à la sécession, avec 43% de participation.
L’article 155 qui sera mis en oeuvre dans les prochains jours est une mesure délicate à appliquer.
Pour la Catalogne, il suppose un recul important, qui rappellerait la dictature de Francisco Franco (1939-1975) pendant laquelle elle avait été privée de cette autonomie.
Le gouvernement espagnol affirme cependant qu’il veut uniquement en faire un usage minimaliste, pour «restaurer l’ordre constitutionnel».
Mais la mesure choque d’autant plus localement que c’est justement autour du débat sur les compétences de la Catalogne, meurtrie par l’annulation partielle en 2010 par la justice d’un statut lui conférant de très larges pouvoirs, que s’est nouée la crise actuelle.
Les puissantes associations indépendantistes ANC et Omnium Cultural ont déjà prévenu qu’elles mobiliseraient leurs dizaines de milliers d’adhérents pour «défendre la république». Des «Comités de défense de la République», issus des quartiers, se disent également prêts à «résister pacifiquement».