Le juste milieu

En politique, le centre fait l’objet de toutes les convoitises et de tous les dénigrements.

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Sondage CROP-La Presse - Mars 2008


François Bayrou s'est employé à construire un nouveau parti, le MoDem (centre), qui a finalement été laminé aux dernières élections municipales françaises. Bayrou a lui-même été battu à Pau. Le centre, manifestement, n'est pas très porteur. (Photo AFP)

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In medio stat virtus. Cette locution latine, qui place la vertu au milieu des extrêmes, est utilisée depuis des siècles pour condamner les propos et les comportements excessifs et pour vanter, en toutes choses, les mérites de la mesure et de la pondération. Le choix de la raison serait-il toujours celui de la voie médiane ?


En politique, le centre fait l’objet de toutes les convoitises et de tous les dénigrements.
De toutes les convoitises parce qu’à gauche comme à droite on sait bien que les majorités stables se construisent au centre. Et que, si on peut gagner des élections en se campant résolument à gauche ou à droite, on sait que l’exercice du pouvoir, lui, vous ramène inéluctablement vers le centre. Stephen Harper peut en témoigner. Le centre fait aussi l’objet de tous les dénigrements parce qu’on fait généralement des « centristes » des gens qui, au mieux, n’ont pas le courage de choisir leur camp, au pire, des gens capables de basculer d’un côté comme de l’autre et prêts à se vendre au plus offrant.
En France, un homme politique, François Bayrou, tente depuis quelques années déjà d’incarner, en quelque sorte, « l’extrême centre », celui qui refuse tous les compromis pour rester fidèle à ses propres convictions. Au moment où s’est constitué l’UMP, le rassemblement de toutes les forces de droite, Bayrou est entré en résistance. Alors qu’une majorité de ses collègues centristes à l’Assemblée nationale se ralliaient au parti qui allait porter Nicolas Sarkozy jusqu’à l’Élysée, lui choisissait de revendiquer sa différence et réussissait à entraîner dans sa mouvance un certain nombre de députés.
Un succès imprévu
Aux élections présidentielles de 2007, il a connu un succès que personne ne lui avait prédit. Au premier tour, il a obtenu le soutien de près de 20 % de l’électorat, des millions de Français séduits par son discours qui renvoyait dos à dos la gauche et la droite et qui proclamait haut et fort qu’on pouvait faire de la politique autrement. Aux élections législatives qui ont suivi, un grand nombre des députés qui, jusque-là, lui étaient restés fidèles ont compris que leur réélection dépendait d’un rapprochement avec l’UMP et ils n’ont pas hésité à franchir le pas. François Bayrou, lui, est resté bien « droit dans ses bottes » et s’est employé à construire un nouveau parti, le MoDem (pour Mouvement Démocratique).
Aux récentes élections municipales, le MoDem vient d’être laminé. Pour ménager son indépendance, le parti a noué des alliances tantôt à droite, tantôt à gauche et ces alliances se sont souvent révélées désastreuses pour tous les intéressés. Malgré une alliance avec le MoDem, la droite a perdu Toulouse et la gauche n’a pas réussi à reconquérir Marseille. Bayrou lui-même a été battu à Pau.
Le parti renaîtra peut-être de ses cendres et Bayrou sera peut-être le prochain président de la République mais, pour l’heure, force est de constater que le centre n’est pas très porteur. On assiste en fait à une bipolarisation de la politique. On le voit en France mais on l’a vu aussi aux dernières élections en Espagne où les partis nationalistes, entre autres, ont fait les frais de cette bipolarisation. On n’observe pas le même phénomène en Allemagne mais cela tient au fait que le pays est actuellement gouverné par une grande coalition droite-gauche, ce qui tend à favoriser la montée des tiers partis.
Qu’en est-il ici ? La fin de la lutte à trois est-elle en vue ? L’ADQ a-t-elle tout à craindre d’un retour à la bipolarisation de la politique québécoise ? Pour le PQ, peaufiner son discours social-démocrate est-il le meilleur moyen de préparer les prochaines échéances électorales ? Pour le Parti libéral, deux adversaires valent-ils mieux qu’un ?
Au Canada, un grand pôle s’est déjà constitué à droite avec la fusion des conservateurs et des réformistes. Faut-il envisager maintenant la constitution, en face, d’un grand pôle « progressiste » comme l’évoquait déjà Stéphane Dion et comme l’évoquait encore Bob Rae au lendemain d’une presque défaite libérale en Colombie-Britannique, à la suite d’une remontée spectaculaire des Verts ?
S’il paraît difficile de contester une tendance générale à la bipolarisation, il faut éviter d’en exagérer la dimension idéologique. D’un côté comme de l’autre, à gauche comme à droite, on cherche surtout à construire des machines aptes à livrer les résultats électoraux que l’on souhaite. Au niveau des idées, on peut le déplorer, mais c’est le pragmatisme qui triomphe. La gauche et la droite ont, l’un et l’autre, pris le chemin du centre. L’espace entre les deux s’est beaucoup rétréci et c’est peut-être d’abord pour cela que le centre ne parvient pas à exister.
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Marie Bernard-Meunier
Diplomate de carrière, l’auteure a été ambassadrice du Canada à l’UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d’administration du CERIUM. (m.bernard-meunier@cerium.ca)

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