Le guichet automatique

Les élections, les chefs, les enjeux vont et viennent, mais le schéma demeure le même: une majorité de Québécois francophones votent maintenant en faveur du Bloc

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Cynique ou simplement méprisant?

Le Bloc québécois remportera le plus grand nombre de sièges au Québec, mardi prochain, pour la sixième élection consécutive depuis 1993.
Les élections, les chefs, les enjeux vont et viennent, mais le schéma demeure le même: une majorité de Québécois francophones votent maintenant en faveur du Bloc.

Au cours des présentes élections, on a dit que les Québécois francophones ont tourné le dos aux conservateurs à cause de coupes faites à deux modestes programmes culturels et en raison des sentences plus sévères qu'Ottawa veut imposer aux jeunes criminels. On a prétendu que ces coupes ont permis de voir l'âme du Parti conservateur et que les Québécois n'ont pas aimé ce qu'ils ont vu.
Faisons l'hypothèse que cette conclusion est correcte. Ça n'explique toujours pas la préférence continuelle des Québécois francophones pour le Bloc, élection après élection. Et cela laisse entendre que les électeurs qui ont opté pour le Bloc ont oublié toutes les décisions que les conservateurs ont prises pour gagner la faveur des Québécois, ou que ces derniers n'ont pas été impressionnés par ces mêmes décisions: reconnaissance du Québec comme «nation», des milliards de dollars pour régler le «déséquilibre fiscal», le «fédéralisme ouvert», d'importants investissements pour le développement régional, pour n'en nommer que quelques-unes.
Bien sûr, il y a des partisans du Bloc qui votent en faveur du parti parce qu'il préconise la sécession du Québec, même si le parti ne parle jamais de cet objectif. Mais il y en a d'autres pour qui un vote en faveur du Bloc est commode et rassurant.
Les gouvernements provinciaux du Québec protègent toujours ces intérêts, en partie en demandant toujours plus d'argent et de pouvoir à Ottawa. Même un gouvernement «fédéraliste» comme celui de Jean Charest n'a presque jamais rien de positif à dire sur le Canada. Il se contente de présenter une série de demandes et lorsqu'il a obtenu satisfaction, il demeure silencieux pendant un certain temps avant de formuler un nouvel ensemble de demandes.
Intérêts du Québec
Le gouvernement fédéral, qu'il soit libéral ou conservateur, compte toujours quelques députés et ministres en provenance du Québec. Or, ceux-ci tentent bien sûr de protéger les intérêts du Québec et de les promouvoir. Et avec le Bloc, les Québécois disposent d'un parti d'opposition qui ne s'exprime qu'en français et uniquement dans leur intérêt.
La conclusion inévitable doit être qu'une majorité de Québécois francophones n'est pas intéressée à gouverner le Canada. Pour eux, le Canada n'est pas «leur» pays, mais plutôt une sorte de guichet automatique politique dont ils retirent de l'argent périodiquement.
Ils me rappellent les Britanniques et l'Union européenne. Les Britanniques ne quitteront jamais l'Union parce que les intérêts économiques de leur pays sont trop intimement liés au marché européen. Mais en réalité, les Britanniques n'aiment pas l'Union, ils s'en plaignent constamment, ils refusent d'utiliser l'euro, et ils soutiennent toujours qu'ils ne sont pas traités équitablement par Bruxelles.
Les peuples qui croient réellement en l'Europe - les Français, les Allemands et nombre d'autres - trouvent cette attitude britannique pénible et irritante. Il y a un an, un ministre important du cabinet allemand devint si exaspéré qu'il lança publiquement que les Britanniques devraient quitter l'Union s'ils sont toujours aussi malheureux.
Imaginez si une majorité d'Ontariens, élection après élection, votaient en faveur du Bloc ontarien qui exigerait d'Ottawa qu'il mette fin à la ponction de 12 milliards (donnée émanant d'un récent rapport de la Banque Toronto-Dominion) auprès des contribuables ontariens chaque année et versés à des provinces telles que le Québec, qui insisterait pour qu'on mette fin au système de péréquation, et qui se plaindrait amèrement de chaque décision fédérale (sauf lorsqu'Ottawa ferait quelque chose de bien pour l'Ontario, auquel cas le Bloc ontarien s'en attribuerait le mérite). Supposons aussi que le premier ministre de l'Ontario inventerait son propre «déséquilibre fiscal», réclamant qu'on lui rende les milliards perçus des contribuables ontariens chaque année.
À l'évidence, le Canada ne pourrait pas fonctionner dans de telles circonstances. Un Bloc ontarien signifierait que de nombreux Ontariens refuseraient de prendre part à la direction du Canada tout en insistant encore pour que le Canada continue de fournir tous les avantages associés au fait d'être canadien.
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Gilles Duceppe
Photo: Rémi Lemée, La Presse
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L'auteur est chroniqueur politique au Globe and Mail.


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