Au lendemain des élections du 14 avril 2003, une des premières décisions du nouveau gouvernement libéral avait été de demander à l'ancien vérificateur général, Guy Breton, d'examiner les états financiers. Au lieu du «déficit zéro» dont le PQ se vantait depuis des années, il avait découvert un «trou» de 4,3 millions dans le budget de Pauline Marois.
Mardi, c'était au tour du successeur de M. Breton, Renaud Lachance, de constater qu'en vertu des conventions comptables toujours en vigueur, la présumée réserve de 2,3 milliards qu'a fait miroiter la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, masque plutôt un déficit de 5,8 milliards. On peut facilement comprendre que Mme Marois ait pris plaisir à tourner le fer dans la plaie en accusant la ministre de cacher la vérité sur la situation financière.
Ce tripotage de chiffres illustre le profond malaise que suscite le caractère factice du prétexte invoqué par le premier ministre Charest pour déclencher des élections. Certes, il n'est pas le premier à déclencher des élections sans raison autre qu'une conjoncture favorable, mais tout son discours est si grossièrement cousu de fil blanc que cela en devient presque indécent.
Cette tentative de faire de l'économie le seul et unique enjeu des élections, la prétention que seul un gouvernement majoritaire peut permettre au Québec de faire face à la crise, la grossière récupération du «oui» de 1995 dans le slogan libéral, tout cela dégage un désagréable parfum de fraude intellectuelle.
M. Charest ne peut pas faire valoir sa clairvoyance au cours des dix-huit derniers mois et soutenir du même souffle que l'opposition l'empêche d'agir. S'il a pu lancer un imposant programme d'infrastructures et abaisser les impôts d'un milliard malgré l'opposition de l'ADQ et du PQ, comme il l'affirme, où est le problème? L'entendre dire qu'«en son âme et conscience» il croyait à la nécessité d'un «gouvernement de stabilité» tenait de la farce.
Cela place les électeurs dans une situation assez inconfortable: même s'ils estiment que les libéraux sont les plus aptes à gouverner en temps de crise économique, personne n'aime avoir l'impression d'être pris pour une valise. Il arrive qu'on vote en se bouchant le nez; cette fois-ci, il faudra plutôt se boucher les oreilles pour ne pas entendre rire M. Charest.
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Bien entendu, les libéraux font le pari que le débat sur la justification du déclenchement des élections finira par lasser la population, comme elle le fait généralement, mais celle-ci pourrait aussi se lasser d'entendre M. Charest répéter jour après jour qu'il est le meilleur capitaine pour affronter la tempête.
En annonçant officiellement que les Québécois iront aux urnes le 8 décembre, le premier ministre n'a pas dit un seul mot sur la santé, l'éducation ou l'environnement. Il n'était même pas clair si le PLQ allait présenter une plate-forme en bonne et due forme qui détaillerait les engagements libéraux dans chaque secteur, comme s'il ne voulait pas distraire l'attention des électeurs de son message économique.
Mme Marois a cependant indiqué qu'elle entendait discuter de son bilan dans des dossiers comme le CHUM, le fiasco immobilier de l'UQAM, les listes d'attente, la situation du français à Montréal, sans oublier la «crise du fromage». Elle-même entend faire des propositions en matière d'environnement, d'éducation, de politique familiale.
Il est vrai qu'en principe, des élections axées sur l'économie avantagent le PLQ. Mme Marois devra trouver des arguments nettement plus convaincants que les réalisations des gouvernements péquistes antérieurs en temps de crise.
Charest a au moins retiré une épine du pied de Mme Marois en décrétant d'entrée de jeu que l'économie serait l'unique enjeu, dans la mesure où il sera difficile de reprocher à la chef du PQ de jouer la souveraineté en mode mineur.
Il reste à voir quel sera le niveau de performance de Mme Marois, dont ce sera la première campagne en qualité de chef. Inévitablement, la présence d'une femme forcera les deux autres chefs à faire certains ajustements. Hier, Mme Marois paraissait dans une excellente forme, à la fois vigoureuse et détendue, mais une campagne de 33 jours, avec une meute de journalistes aux trousses, peut devenir une expérience très éprouvante.
Elle a répété qu'elle ne visait pas seulement à redonner au PQ son statut d'opposition officielle, mais qu'elle entendait jouer pour la coupe. Si le cynisme de M. Charest indispose suffisamment d'électeurs et qu'elle-même réussit à offrir une solution de remplacement crédible, sait-on jamais?
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Hier, La Presse canadienne faisait état de sondages internes du PLQ qui lui permettraient d'espérer une récolte de 75 ou même de 80 sièges, mais une campagne réserve souvent de mauvaises surprises. Une baisse d'à peine quelques points suffirait à faire retomber les libéraux sous le seuil des 63 sièges nécessaires à la formation d'un gouvernement majoritaire.
Les stratèges libéraux font le pari que l'ADQ ne réussira pas à repasser la barre des 20 %. Hier, Mario Dumont se voulait combatif, mais il n'était pas très convaincant quand il a assuré, lui aussi, qu'il se battrait pour gagner. Après les défections de ses deux députés et le préavis de retraite donné par Gilles Taillon, il était bien difficile de croire à «l'état d'esprit extrêmement motivé» de son caucus. Son curieux pèlerinage au lac à l'Épaule, hier après-midi, ressemblait à une sorte d'appel à la Providence.
Il est vrai qu'on a souvent enterré le chef de l'ADQ, mais il n'est pas exagéré de dire qu'il jouera sa carrière politique au cours des prochaines semaines. Il y a des limites à toujours retourner à la case départ. S'il se retrouve encore une fois avec une poignée de députés le 8 décembre, Mario Dumont décidera vraisemblablement de fermer les livres et son parti ne lui survivra pas.
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mdavid@ledevoir.com
Le fil blanc
L'entendre dire qu'«en son âme et conscience» il croyait à la nécessité d'un «gouvernement de stabilité» tenait de la farce.
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