Le débat est dépassé

Chronique d'André Savard

Chaque année ou presque, il se publie un sondage demandant : « Le débat sur la souveraineté est-il dépassé? ». Chaque année on feint de se surprendre que la population le juge majoritairement dépassé. Et la presse fédéraliste pond une analyse sur le désuétude du projet souverainiste.
Pourtant, il faudrait être fou ou totalement déconnecté de la réalité pour ne pas juger le débat dépassé. Que l’on songe à ce qui se dit dès qu’on soulève la question de la souveraineté d’Etat à propos du Québec. Même s’il s’agit de voix humaines, elles surviennent avec la raideur d’une machinerie.
D’abord on dit que c’est le produit d’un mal moral. Et on entonne à nouveau des parties du discours qui se tient d’ailleurs même lorsque la cote du mouvement souverainiste est au plus bas. C'est encore la menace du vase clos qui guette le Québec, la tentation irrépressible du repli sur soi. Le commentaire surgit avec les réflexes d’une machine techno sociale, une armée de l’opinion qui procède au décodage des événements en fonction de la même grille.
On explique toutes les réclamations du Québec sous cet éclairage. Souci de ses juridictions, évocation de la laïcité, politique énergétique propre, le vecteur derrière doit nécessairement être le repli sur soi. Les fédéralistes ont cette logique de scribes implantés dans le cerveau et on sait d’avance qu’elle se juxtapose à tous les aléas de la vie politique québécoise. Les Québécois l’entendent depuis leur naissance. Comment voulez-vous qu’ils répondent autrement que par un « oui » si on lui demande si le débat est dépassé?
Tous les intellectuels confucéens, tous les scribes pharaoniques du Globe & Mail et du journal La Presse vont tomber dans la surenchère convenue si le spectre de la souveraineté du Québec est soulevé. On dira que le Québec représente le parti des dominateurs. On proclamera l’engouement pour le droit des minorités, un parti-pris contre le racisme et on dira qu’être en faveur d’un pays plus vaste où règne un esprit plus universel.
Surprenant que ce discours, un outil élégant et systématique, sente à plein nez la linéarisation mécanique, accusatrice et malhonnête? Surpris qu’on vomisse à l’idée d’un référendum qui sonne le cycle de l’éternel retour, avec les fédéralistes drapés dans leur vertu, leurs archaïsmes, leur dépersonnalisation du séparatiste qu’ils associent au fascisme, au racisme?
Surpris que si un sondeur est à l’autre bout du fil, on lui réponde que d’entendre cette grille d’interprétation multipliée au courbe suscite le tournis?
Le jeu est fondé sur la carence morale du Québec et son déficit d’esprit universel. On sait en plus qu’il n’y aura pas de dialogues car les fédéralistes jugent inenvisageable toute théorie des rapports entre une nation spécifique, la nation québécoise, et les autres nations du monde.
Par contre, dès que le débat reprend, les analogies implicites reprennent et les amalgames. Duplessis redevient un despote cruel comme Franco, et tout menace de resurgir, obscurantisme, racisme. On doit tout surmonter comme dans une bataille menée au futur antérieur contre les plaies passées de l’humanité. On pourrait développer un logiciel avec une ligne de centre, quelques phrases pivotantes, et on aurait l’argumentaire de la campagne fédéraliste au Québec.
Les énoncés ne demandent pas de réponses. C’est une clef de voûte qui vient réitérer des aspects d’un système cristallisé où tout se tient. On est qui on est mais heureusement sommes-nous impliqués dans une grande aventure de libération de l’esprit grâce à l’influence rouge Canada. Et on vous resservira les métaphores militaires sur le Canada qui nous libère du modèle dominant, celui qui nous libère de la logique sociale-démocrate d’une nation paresseuse qui souffre d’un déficit de productivité. On plaidera du côté fédéraliste pour les dissidences, le refus partiel, contre le harcèlement d’une faction qui se prend pour une majorité et qui veut voler l’Etat pour posséder un pays en propre.
Envie d’entendre tout ça?
Envie d’entendre que le Québec est, au moins potentiellement, le flanc contraire du monde moderne où l’esprit universel s’élève dans une splendeur nouvelle? Et si on veut échapper à ce cycle de l’éternel retour dans la guerre d’usure, que fait-on? Soit faire la souveraineté ou, se raconter un bobard collectivement avec une mauvaise foi avérée.
Le bobard, c’est de dire qu’il y a déjà eu déblocage de la situation ou, sinon, que le meilleur reste à venir puisque ça ne peut commencer avant de commencer. Si vous voulez des exemples, on vous parlera des susceptibilités provinciales et des compatibilités transcanadiennes, l’Alberta de d’autres pouvant créer ensemble une spirale indéfinie.
Cette situation « nouvelle » est alléguée comme moteur du changement depuis cinquante ans. Claude Morin y répondait dans son livre Le Combat Québécois dans les années 70:

“Curieux front commun!, écrivait-il. Pourtant on persiste à l’évoquer pour illustrer la puissance possible de la coopération interprovinciale. On oublie que les situations varient tellement d’une province à l’autre, aussi bien au plan politique qu’aux plans économiques et culturel qu’un véritable front commun soutenu et organisé de la totalité ou de la majorité des provinces serait, dans le cours normal des choses, beaucoup plus un accident que la résultante logique d’une conscience politique provinciale ou d’un comportement rationnel”.

Il ne suffit pas de vouloir chanter sur d’autres paroles. Il ne suffit pas de crier absurdement que le refus des enjeux propres à la nation québécoise correspond à une phase nouvelle du fédéralisme, pleine d’avenir pour tous. Il ne suffit pas de prétendre que les pratiques unitaires de la fédération canadienne nous permettent de nous dépasser et de rejoindre une sorte d’armée du salut. Au contraire, voilà la recette idéale pour conserver sa position de départ dans le cycle de l’éternel retour.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juin 2010

    C'est le faux système fédéraliste canadian qui est dépassé ,
    le faux système royaliste prppagandiste canadian qui est dépassé ,
    le faux système démocratique totalitaire des commandites qui est dépassé,
    le faux système '' péréquastiste ''canadian qui est dépassé,
    le faux système nationaliste fédéraliste canadian qui est dépassé,
    le VRAI système colonialiste impérialiste et raciste canadian qui est dépassé

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2010

    M. Savard, merci pour cette analyse. Une excellente synthèse. Il y a tellement de chose que je ne comprends pas dans nos rapports avec le Canada.
    Des exemples !-: Une constitution (1982) non signée par le Québec fait que le Québec reste lié par une loi qu’il n’a pas approuvée, mais qui lui a été imposée. Mon cerveau fonctionne d’une manière simple. Si mon voisin achète une voiture en mon nom et signe un contrat avec le concessionnaire, ce, sans mon consentement, je ne vois pas en quoi ce contrat me lie d’une quelconque manière et en plus m’imposerait d’avoir à lui fournir l’argent pour la financer. Pour moi, je ne fais plus partie du Canada depuis 1982 suite à un bris de contrat et en plus le Québec est devenu dès lors un pays. 2- La souveraineté est une absurdité pour le Québec selon le Canada. Alors en quoi le Canada est-il différent de nous ? Qu’il disparaisse et devienne une étoile de plus sur le drapeau américain. Ainsi il assumera sa logique jusqu’au bout et baignera dans la joie la plus totale. 3.- La langue, c’est l’anglais coast to coast. Etre bilingue signifie avoir la langue anglaise partout au Canada, ça il ne faut pas l’oublier. Le français peut disparaître, cela ne leur fait ni chaud ni froid. Soyons patient et nous finirons par les assimiler, se disent-ils depuis 1760. Ma logique simple me dit que si la langue, au fond n’a aucune importance, alors je propose que l’anglais soit remplacé au Canada par une langue nationale unique, à savoir le français. Ou pourquoi pas l’esperanto.
    J’arrête ici et vous souhaite une bonne journée.

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2010

    Monsieur Savard,
    Votre interprétation du dialogue de sourds est si réaliste qu’elle peut nous faire baisser les bras ou nous forcer à s’ingénier toujours plus dans notre plaidoyer.
    Une correspondante très Québécophile de France recevait récemment d’une « amie » un document (signé Têtu) de soutien au stratagème Maxime Bernier, qu’elle m’a refilé pour examen. Mon opinion fut celle-ci :
    Nous faisons ici face à la droite religieuse qui contrôle le gouvernement canadien comme beaucoup d’autres. On les voit comme sectaires, doctrinaires, militants preachers. Sophistes raffinés, ils utilisent les mêmes arguments que nous, mais à l’envers! Nous sommes pauvres parce que nationalistes quémandant et n’obtenant jamais assez du Canada? (Ou bien parce que le Canada nous boycotte comme nationalistes et retient nos dus?) Les médias!! Ils seraient, selon lui, au service des grands prêtres nationalistes! Nous démonisons le messager! (on sait que ce Bernier a dû démissionner comme ministre de la Défense pour avoir oublié une liasse de docu secrets chez sa maîtresse!: manque de jugement à répétition!) Si nous parlons de Quebec bashing, nous faisons du procès d’intention! Notre interventionnisme d’État, notre « socialisme », nous a mené à être les plus pauvres d’Am. du Nord, devenus « dépendants » du Canada dans la péréquation, charité des autres provinces… Il cite Pratte!… « Notre propagande nous faits fragiles », sans tenir compte de notre minorisation accélérée! Après les référendums « perdus » il aurait fallu arrêter de chercher la « chicane »! Et arrêter de réclamer de prétendus dus! « Nous sommes paranos » : Ennemis extérieurs les Anglais, intérieurs, les collabos ministres conservateurs à qui nous nions tout droit à leurs « analyses » Sophistes : le fédéral est un ennemi inventé avec qui, eux, plus lucides, ont choisi de travailler pour faire fonctionner le Canada au lieu de nuire comme nous faisons en votant Bloc, pour les « intérêts du Qc »
    Que prône-t-il? Soit -Patriostisme : logique coûts/bénéfices :assimilation. Soit - Traditionalisme : éviter cette « trahison », mais prendre sur nous tous les torts et nous améliorer nous-mêmes en -améliorant nos écoles en français et en anglais, démontrant ainsi que nous « n’avons pas peur des autres langues et cultures, voire religions : mieux intégrer les immigrants… Donc, tout ça peut se faire par nous-mêmes puisque nous sommes « grands et forts » et que personne ne nous persécute…
    Et, autre sophisme : Bernier étant fort, il a raison d’être fier de notre histoire et de nos 400 ans, puisque nous sommes encore là!… Ce sont les nationalistes, les timorés, qui pleurnichent toujours sur leurs défaites historiques et en veulent à leurs « ennemis » patentés! Soyons bons Canadiens et il n’y aura plus d’immobilité dans les grands projets au Québec, il n’y aura plus de déficits économiques, de dettes record, d’anglicisation. Cessons de chercher querelle aux Canadiens et nous serons plus prospères… (serait-on en train de démontrer que nos querelles les rendent vindicatifs?)
    La « bonne amie » réplique du tac au tac :

    Et pourquoi 3.5 personnes sur 10 auraient plus raison que les 6.5 autres
    parce que c est bien cela le nombre des séparatistes québécois. Ils ont eu la chance 2 fois et pourraient recommencer demain encore, rien ne les empeche, ils ne sont pas ni prisonniers ni esclaves du Canada. Voila pourquoi je ne comprends pas leur raisonnement.
    Alors je confie à ma correspondante :
    Donner raison aux 6.5 personnes contre 3.5, sans parler des intérêts de chacun, c’est oublier que cette majorité, qui est persuadée d’avoir vaincu militairement, domine la politique depuis ce temps et fait sa propagande facilement auprès des nouveaux arrivants, surtout qu’ils sont de la famille anglophone, hégémonique de par le monde. Le poids du nombre donne-t-il raison? C’est ce qu’ils croient à chaque occasion qu’ils saisissent lors des grandes consultations populaires, pour s’ingérer dans les règles du jeu pour influencer cette minorité déjà vulnérabilisée par une presse orientée. Ils nient ces tricheries prouvées : naturalisations en masse lors de référendums, vote de ces anglophiles déjà sortis du territoire depuis longtemps, voyages financés par avion et bus pour proclamer leur amour au Québec : we love you, don’t go (ne sommes pas prisonniers, dit-elle). On est toujours renversés d’entendre ces plaidoyers en français! Pourquoi ne vont-ils pas au bout de leur raisonnement jusqu’à renier cette langue qu’ils s’affairent à minoriser définitivement? En fait, ils ne reconnaissent même pas la légitimité de cette loi québécoise qui proclame le français seule langue officielle. Ils se basent sur le fait que comme « province » canadienne, nous vivons sous la loi canadienne du bilinguisme… qu’ils respectent si peu dans les autres provinces.
    Et j’aurai vite une réplique fédéraliste intégriste impossible à convaincre, pas plus que les intégristes des religions monothéistes ne parviennent à se convertir entre eux. Sempiternel mantra!