Parce qu’il s’apprête à déposer un projet de loi sur la laïcité, le premier ministre François Legault doit lâcher du lest.
En effet, il est prêt à accommoder raisonnablement, croit-il, les défenseurs du voile islamique en décrucifiant le Christ accroché au mur au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale. Un héritage des années trente de Maurice Duplessis, celui-là même qui se vantait de faire manger les évêques dans sa main.
Aucun gouvernement depuis 1936, ni libéral ni péquiste, n’a osé au nom de la laïcité prendre le risque politique de descendre en quelque sorte le Christ de la croix.
Vision laïque
Mais François Legault, homme modéré et plutôt conservateur en la matière, vit à une nouvelle époque. La majorité des Québécois, dont de très nombreux musulmans, partagent une vision laïque commune. Le temps est venu non pas de renier le passé catholique, mais d’instaurer la modernité laïque. Le crucifix ne peut donc pas être exposé dans l’enceinte même de l’État. On le rangera sans doute dans un lieu moins symbolique avec d’autres artefacts religieux.
La voie est ainsi ouverte pour interdire le voile islamique revendiqué comme essentiel par des fondamentalistes religieux, qui se réclament des pratiques de l’Iran actuel et de l’Arabie saoudite. Des pratiques ne trouvant guère de justification dans le Coran.
Le premier ministre Legault, qui a lui-même évolué sur la question du voile, croit avoir trouvé la solution. Le projet de loi interdira les signes religieux aux représentants de l’autorité de l’État, juges, gardiens de prison, policiers et enseignants des écoles.
Il s’apprêterait dans sa volonté de compromis à protéger ce droit pour celles qui portent déjà le voile en classe. Car François Legault n’est pas un laïc idéologique. Il ne cherche pas l’affrontement, mais le consensus.
Clause nonobstant
Il n’ignore pas que son projet de loi sera attaqué de toutes parts. Non pas par la majorité des citoyens du Québec, mais par les défenseurs acharnés des libertés telles qu’inscrites dans les chartes canadienne et québécoise. La seule échappatoire prévue dans la Constitution signée en 1982 par le Canada tout entier sauf le Québec, rappelons-le, est la clause nonobstant. Le premier ministre l’utiliserait pour soustraire sa loi pour une période de cinq ans.
Les cours de justice n’attendent que l’adoption du projet de loi sur la laïcité pour se mettre en branle, si l’on peut dire. François Legault est prévenu. Même s’il descendait tous les crucifix des lieux où ils sont exposés, cela n’empêcherait point les militants du voile et tous les multiculturalistes actifs de tenter d’invalider la loi québécoise, votée par un gouvernement qui estime que la laïcité est une des valeurs communes du Québec distinct.
En définitive, la Cour suprême pourra invalider au nom de la charte les raisons de l’utilisation de la clause nonobstant. En d’autres termes, tous les compromis, dont celui de retirer le crucifix, ne changeront pas la position définitive des militants en faveur du voile.
Nous entrons donc dans une ère de grande turbulence juridique et sociale.