Le complexe de Brutus

Plusieurs questions doivent trotter dans la tête des élus péquistes à l’heure actuelle

Pacte électoral - gauche et souverainiste


La rentrée parlementaire approche à grands pas et voilà que le député de Marie-Victorin, Bernard Drainville, dévoile aujourd’hui ses propositions afin de relancer le Parti Québécois, au plus bas dans les sondages d’opinion depuis des mois. Sur son site Internet, l’ancien journaliste dévoile aujourd’hui une série de dix propositions qui, à ses yeux, rétabliront la confiance des citoyens envers leurs institutions démocratiques, en plus de sauver sa formation politique. Devant la sortie publique de Bernard Drainville, l’on peut être en droit de se poser plusieurs questions. Où était donc le député de Marie-Victorin au dernier congrès péquiste, qui s’est tenu il y a quelques mois à peine? Pourquoi sortir avec autant de force maintenant, alors que la situation politique était toute aussi préoccupante au printemps dernier? Et que cachent réellement ses nouvelles propositions?
Où était-il ?

En novembre dernier, je consignais la lettre des « cinquante », avec quarante-neuf autres militants souverainistes qui réclamaient du Parti Québécois une démarche plus claire et positive d’accession à l’indépendance. Non seulement la réponse du PQ n’a pas tardé à venir, mais ce qui nous a le plus frappés, mes collègues et moi, c’est le ton condescendant et la méthode presque disgracieuse qui ont été employés contre nous et notre lettre. La direction du parti n’a pas manqué d’envoyer au « bat » ses ténors, dont Bernard Drainville, pour saper le débat que nous tentions de créer. Je revois encore Drainville lancer aux journalistes venus le questionner, les sourcils froncés, « Mais qui sont ces jeunes-là? », alors qu’il apprenait quelques jours plus tard que l’un de ces jeunes siégeait sur son propre exécutif de comté. Jeune qui s’est fait promptement montrer la porte, quelques temps plus tard, si ce n’est directement, du moins implicitement. L’on nous accusait de déloyauté, nous intimant de faire les débats dans les instances, alors que tous désormais, Drainville en tête, s’expriment allègrement sur la place publique. C’est bien, mais un peu trop tard! Car si le député péquiste semble soudainement avoir découvert les vertus du débat public et de la « consultation citoyenne », cette illumination survient quelques mois à peine après le congrès de sa formation politique. Congrès qui, au terme de plus d’un an de préparation, a jeté les grandes lignes du nouveau programme péquiste. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Drainville ne s’est pas fait remarquer, avant l’événement, par ses propositions novatrices, ni par son zèle à moderniser nos institutions démocratiques!
Le cynisme de la population était-il moins grand alors ? Le PQ représentait-il la voie du renouvellement, aura qu’il aurait désormais perdu, l’espace d’un été? Nenni ! Mais où était-il donc, celui qui aujourd’hui vient jouer les réformateurs en puissance ? Je me le demande toujours. La réaction de Drainville et l’attitude ultra partisane partagée par lui et nombre de ses collègues ont fait en sorte que je quitte définitivement son parti. J’ai beaucoup de difficulté à croire que, quelques mois plus tard, le politicien ait changé du tout au tout, lui qui jouait si bien le jeu partisan. Tous peuvent changer, j’en conviens. Seul le temps infirmera ou confirmera mes perceptions. Un autre élément doit cependant être pris en compte afin d’évaluer les propositions dévoilées aujourd’hui.
Jouer à visière levée

Depuis quelques temps, des rumeurs commencent à circuler au sein des troupes péquistes. Rumeurs voulant que Drainville serait en train de constituer, autour de lui, une future équipe de campagne advenant une course à la direction au Parti Québécois. Le siège de Pauline Marois n’étant pas vacant (elle a après tout obtenu plus de 90% d’appuis à son vote de confiance), c’est donc dire que le député de Marie-Victorin et ses proches envisageraient peut-être d’ébranler la chef péquiste, ou du moins envisagent-ils que d’autres pourraient être tentés de le faire. Tout ceci n’est que rumeur, est-il besoin de le rappeler, mais les agissements du député n’ont rien pour rassurer le cabinet de la cheffe de l’opposition officielle.
Au début de l’été, il lançait un appel aux citoyens et aux péquistes afin de recevoir leurs idées pour changer, moderniser le PQ, alors même que le parti sortait d’un congrès national. C’est donc dire qu’à ses yeux Pauline Marois n’était pas à même de maintenir son parti à flot, ou du moins qu’elle n’avait pas la même lecture politique que lui, elle qui affirmait que le parti se portait bien et que le geste des démissionnaires était le fait de désaccord personnel? Drainville considère-t-il donc que le congrès d’avril a accouché d’une souris ? Que les propositions adoptées n’étaient pas assez audacieuses, pas suffisantes, pour qu’il éprouve le besoin d’en élaborer de nouvelles?
La réalité est peut-être plus dure et plus concrète. François Legault représente désormais pour une majorité de Québécois, et deux sondages sont venus le confirmer dans les derniers jours, une alternative crédible aux partis en place. Marois est désormais moins populaire que Jean Charest et François Legault, son parti ne récoltant qu’un maigre 16% de voix face à la CAQ et au PLQ. Pour un groupe parlementaire, dont fait partie Drainville, ce sont des chiffres forts qui parlent d’eux-mêmes, surtout en troisième année de mandat. Plusieurs questions doivent trotter dans la tête des élus péquistes à l’heure actuelle. Rester fidèles à Marois et couler avec le navire ? Ou montrer la porte à la cheffe péquiste, mais de ce fait, passer aux yeux des militants péquistes et des citoyens pour de nouveaux Brutus, alors qu’il y a quelques mois, tous étaient debout pour applaudir le résultat sans ambigüité de l’ancienne ministre au congrès national de son parti. Bernard Drainville, aujourd’hui, s’est positionné. Il a désormais un programme de chef sous son bras, programme qui, astucieusement, est facile à retenir et s’articule autour de dix idées simples. Maintenant, osera-t-il jouer à visière levée et, plutôt que d’être toujours en porte-à-faux avec sa cheffe – obligeant celle-ci à dire qu’elle est confiante de sa loyauté – clairement montrer la porte à Pauline Marois. Il fait désormais face au complexe que beaucoup de politiciens ont éprouvé avant lui. Le complexe de celui qui veut devenir calife à la place du calife. Le complexe de Brutus.
pierrelucbrisson.wordpress.com


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