Mardi soir, sur le plateau de télévision où avaient pris place les 11 candidats à l’élection présidentielle française, Marine Le Pen semblait souvent étonnée des extravagances des petits candidats qui participaient à ce débat. Sur l’Europe, elle n’a pas été la plus virulente. L’un d’eux, François Asselineau, lui a même reproché de vouloir négocier avec Bruxelles avant de déclencher un référendum sur le « frexit ». De l’immigration, elle n’a pratiquement pas parlé. Face à une demi-douzaine de candidats qui disaient vouloir combattre les élites, la présidente du Front national avait soudain l’allure d’un candidat presque normal. Autrement dit, d’un candidat du « système ».
« En une soirée, la présidente du Front national a perdu sa spécificité : elle n’a plus le monopole de la radicalité et du peuple, qu’elle prétendait imposer », écrit Le Monde. Serait-ce la rançon de la gloire et le résultat de la stratégie de dédiabolisation conduite par Marine Le Pen depuis son accession à la présidence du FN en janvier 2011 ? Jamais, dans une élection présidentielle, le FN n’a occupé une place aussi centrale. Depuis des mois, les sondages le mettent en tête du premier tour et lui prédisent même des scores d’au moins 40 % au second. Bien loin des 17,79 % qu’avait obtenus son père en 2002.
La normalisation semble telle que, dans le journal La Croix, l’écrivain de droite Denis Tillinac se demandait « vers quel horizon politique Marine pilote-t-elle son destroyer ? Serait-elle tout simplement “libertaire” à l’instar des bobos de sa génération ? » Et l’écrivain de se demander : « Le marinisme est-il un surgeon du boulangisme ? Une bouture du bonapartisme ? Mystère. En tout cas, les médias ne qualifient plus son parti de “fasciste”, à l’exception de quelques archéos inconsolables du Libé de la haute époque. »
Évolution réelle ou simple mystification ? Parmi ceux qui croient qu’il s’agit d’abord d’une stratégie de camouflage, on trouve le philosophe Michel Eltchaninoff, qui vient de publier Dans la tête de Marine Le Pen (Actes Sud). Cette analyse largement psychologique estime que le nouveau discours du Front national est d’abord une façade destinée à convaincre que « nous ne sommes pas la peste brune ». Il y a quelques mois, on a même vu la présidente du FN critiquer Nicolas Sarkozy qui voulait assigner à résidence toutes les personnes fichées S par les services de renseignement.
Le Monde
Évoluer
Pour Eltchaninoff, qui ne nie pas que Marine Le Pen a profondément transformé son parti, il s’agit essentiellement d’une « stratégie de séduction » destinée à dissimuler qu’elle est l’héritière d’un parti xénophobe et antisémite. La présidente utiliserait même « un langage codé », dit-il, pour dissimuler son racisme. Il lui suffirait de prononcer les noms de Dominique Strauss-Kahn, Goldman Sachs ou Jacques Attali (tous juifs) pour faire un clin d’oeil à l’antisémitisme. C’est ce que le philosophe appelle des « signaux sémantiques ».
Pour une grande partie de la gauche, l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN en 2011 n’aurait été qu’une simple manoeuvre de diversion modifiant certes le discours du FN, mais pas son programme fondamental. Voilà ce que remet radicalement en question la socialiste Sarah Proust, auteure d’Apprendre de ses erreurs, la gauche face au Front national (Fondation Jean Jaurès). Cette élue socialiste adjointe au maire du XVIIIe arrondissement de Paris a créé un petit émoi à gauche en osant affirmer que depuis trente ans, la gauche s’était trompée.
« Je regrette d’avoir dit que le FN n’avait pas changé, a-t-elle déclaré dans un colloque tenu la semaine dernière à l’Institut Jean Jaurès, lié au Parti socialiste. Marine Le Pen a fermé la parenthèse des années trente et de la guerre d’Algérie. Il ne faut plus parler de fascisme. C’est faux. La filiation des années trente est fausse. D’ailleurs, ses militants ne s’y reconnaissent pas. » Pour Sarah Proust, associer le FN au fascisme et à un parti néonazi comme cela est encore courant à gauche relève de l’aveuglement pur et simple.
Cette ancienne militante antiraciste fait remonter l’évolution du FN à la scission avec Bruno Mégret en 1998. Ce dernier voulait alors rapprocher le FN de la droite française. La qualification du parti au second tour de l’élection de 2002 prouvera que cette évolution était possible et même souhaitable. Et c’est Marine Le Pen qui la matérialisera. Selon Sarah Proust, le FN s’inscrit plutôt dans le sillon de mouvements nationalistes, comme le boulangisme qui a marqué la fin du XIXe siècle. En s’enfermant dans un discours erroné, la gauche n’a fait que favoriser la progression du FN, dit-elle. Une erreur qu’elle a aggravée en lui abandonnant les thèmes de l’identité, de la souveraineté et de la laïcité, ajoute-t-elle.
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