La stratégie identitaire des libéraux

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Mais quelle stratégie libérale ?





Plus tôt, cette semaine, François Cardinal, l’éditorialiste en chef de La Presse, proposait une analyse si étrange de la vie politique québécoise qu’il n’est pas inutile d’y revenir. Pour l’essentiel, Cardinal soutenait que le PLQ tirait sa force du fait d’être le seul parti politique pragmatique à se tenir éloigné de la question nationale et des enjeux identitaires. Pour reprendre ses mots, «la seule formation à parler réellement aux électeurs qui n'ont pas d'appétit pour les débats identitaires et les guerres constitutionnelles est le Parti libéral». Plus encore, «sans effort, sans même lever le petit doigt, le PLQ devient ainsi une coalition des électeurs non identitaires non souverainistes... au moment où les sondages montrent qu'ils sont nombreux à tourner le dos aux enjeux identitaire et souverainiste ». Le PLQ disposerait en fait d’un monopole par défaut. Il serait seul à embrasser les préoccupations des électeurs alors que le PQ s’enfermerait dans l’option souverainiste et que la CAQ se définirait par son appropriation des questions identitaires. «Si le Parti libéral se retrouve encore aujourd'hui sans grande rivalité, c'est que les partis de l'opposition s'obstinent à le laisser seul sur l'autoroute électorale».


Cette analyse a l’immense défaut de se tenir à bonne distance de la réalité. Elle repose aussi sur l’oubli de la stratégie habituelle du Parti libéral. Peut-on sérieusement dire, par exemple, que le PLQ est le seul parti à nous tenir très éloigné de la question de la souveraineté quand il se présente essentiellement auprès de l’électorat qui peut faire barrage au séparatisme, pour le dire avec le vocabulaire subtil de ses stratèges? En 2014, on pourrait même dire qu’il n’a fait que ça, parler de souveraineté, même si c’était pour la diaboliser et la présenter comme une aventure apocalyptique - il présentait l'indépendance comme une source d'effroie. Et pourquoi le PLQ parle-t-il autant de souveraineté? C’est parce que le refus absolu de l’indépendance est la priorité de la plus grande part de son électorat et principalement, des anglophones et des allophones qui votent en bloc pour lui à cause de ça. Pour ces catégories de l’électorat, une chose est plus importante que la santé, l’éducation, l’éthique de nos gouvernements ou les finances publiques, et c’est de bloquer les souverainistes, quel qu’en soit le prix. En un mot, le fédéralisme radical du PLQ, qui correspond par ailleurs aux convictions de Philippe Couillard correspond aussi aux attentes politiques de son électorat. Comment peut-on décréter qu’il est indifférent à la question nationale alors qu’il vote d’abord en fonction d’elle?


De la même façon, le PLQ ne mise pas seulement sur le rejet enragé de la souveraineté mais sur la diabolisation de la question identitaire, qu’il présente toujours comme le vecteur d’une tentation xénophobe qui hanterait la politique québécoise. Le PLQ veut se présenter comme le seul défenseur possible des droits des minorités, qui seraient menacés par les souverainistes et plus largement, par tous ceux qui se réclament du nationalisme québécois – ce sera manifestement sa stratégie en 2018. Tour à tour, Philippe Couillard a ainsi comparé la CAQ et le PQ aux mouvements associés à la droite populiste. Il s'agit d'exciter la peur contre les nationalistes. De la même manière, le PLQ de Philippe Couillard confesse sa sainte horreur à l’idée d’encadrer sérieusement les signes religieux ostentatoires. Il sacralise ainsi les revendications identitaires des minorités ethnoculturelles, en les formulant dans le langage des droits fondamentaux. Mais quand on sacralise toutes les revendications identitaires associées aux «minorités», ce n'est pas qu'on refuse «l'identitaire», c'est seulement qu'on refuse l'identitaire pour la majorité historique francophone. Dans la logique libérale, plus la majorité historique francophone s'effacera, plus la diversité s’affirmera. Le multiculturalisme, autrement dit, n’est pas un refus de l’identitaire, mais un positionnement contre la thématique identitaire associée du «groupe majoritaire» qu’on refuse de voir comme le cœur de la nation.


François Cardinal, dans son analyse, laisse de côté une donnée essentielle : le très faible appui du PLQ chez les électeurs francophones. Autrement dit, ces derniers s’en détournent massivement. Il y a comme un désaveu fondamental du PLQ chez eux, sauf chez la petite minorité ultrafédéraliste qu’on y trouve. Comment ne pas voir dans ce rejet du PLQ chez les francophones un refus de son fédéralisme extrême et du multiculturalisme radical qu’il promeut? Comment ne pas y voir aussi la réaction naturelle des Québécois francophones devant un parti qui non seulement refuse de porter leur sentiment national mais n’hésite pas à le transformer en pathologie collective à combattre? Comme quoi on peut croire que si la majorité de l’électorat ne montre effectivement aucun intérêt pour l’indépendance ces temps-ci, elle conserve un réflexe de survie et sait rejeter un parti qui la rejette aussi fondamentalement. Il faudra un jour écrire l'histoire de la mutation du PLQ et de sa colonisation idéologique par le PLC. Elle serait indissociable de son ralliement à un fédéralisme inconditionnel, qui ne pense plus d'aucune manière la tension constitutive dans la relation Canada-Québec.


On en revient au point de départ. Si le PLQ domine notre vie politique, et risque de la dominer pendant encore un temps, ce n’est pas parce qu’il fait preuve d’un pragmatisme rusé mais simplement parce qu’il exerce, pour des raisons identitaires, justement, une hégémonie complète sur le vote non-francophone, qui a comme priorité indélogeable la défaite du souverainisme et le maintien du fédéralisme. C’est aussi parce que les francophones, de leur côté, sont terriblement désunis et ne parviennent pas à se rassembler majoritairement autour d’une grande option politique qui leur permettrait de renverser cette situation. Le PLQ, autrement dit, a une stratégie identitaire très active, mais qui étrangement, passe sous le radar de bien des analystes pour qui le fédéralisme inconditionnel ne cause jamais problème reposant sur la simple administration tranquille des vraies affaires et pour qui le multiculturalisme décomplexé est le visage du progrès qu'on ne saurait sérieusement contester, sauf, de temps en temps, dans ses manifestations les plus caricaturales. Il faudrait se demander pourquoi. 




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