L’Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution contre l’antisémitisme, mardi 3 décembre. Dans ce texte controversé, son auteur, le député La République en marche (LRM) Sylvain Maillard proposait au Parlement français l’adoption de la définition de l’antisémitisme telle que formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
« On recommence à tuer en France des juifs parce qu’ils sont juifs », a rappelé M. Maillard en ouverture des débats au moment où la nouvelle de la profanation d’une centaine de sépultures juives dans le cimetière de Westhoffen en Allemagne se propageait dans l’hémicycle.
Le débat sur ce texte a vivement divisé les députés, et en particulier la majorité. Il a d’ailleurs été adopté par un très faible nombre de voix : 154 députés ont voté pour – sur les 577 qui siègent dans l’institution – , 72 contre. De très nombreux parlementaires n’ont pas pris part au vote, alors même qu’ils étaient près de 550 présents deux heures plus tôt pour l’adoption définitive du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, signe du malaise suscité par ce texte.
Le tiraillement du groupe LRM, révélé par l’analyse du scrutin, est inédit alors que la résolution émanait de l’un de ses membres. Sur ses 303 membres, 84 ont voté en faveur du texte soit moins d’un tiers du collectif macroniste. 26 ont voté contre quand 22 se sont abstenus. La grande majorité du groupe était absente lors du vote, nombre d’entre eux ne souhaitant pas se prononcer publiquement sur ce sujet polémique. Le MoDem, allié de la majorité, s’est lui principalement abstenu sur le texte. 5 députés centristes ont voté pour, cinq autres contre.
Au cœur des reproches des opposants : le fait qu’il associe l’antisionisme à une forme d’antisémitisme. En février, Emmanuel Macron s’était dit favorable à l’adoption de cette définition, lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), estimant alors que l’antisionisme représente « une des formes modernes de l’antisémitisme ».
La définition de l’IRHA tient en quelques mots, dont le terme « antisionisme » est absent :
« L’antisémitisme est une certaine perception des juifs, qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »
La controverse vient des onze exemples qui précisent cette définition relativement vague, dont l’un considère comme antisémite le « traitement inégalitaire de l’Etat d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre Etat démocratique ».
Pour ses défenseurs, cette précision s’impose à l’heure où, ont souligné plusieurs députés, c’est l’« antisémitisme qui avance sous le masque de l’antisionisme ». « C’est l’honneur de notre Assemblée nationale que de dire la vérité, de regarder les choses en face et de mettre des mots sur les maux », a soutenu la députée LR Constance le Grip. « Cette définition pourra aider à mieux définir les circonstances aggravantes des crimes antisémites » a salué le député François Pupponi, membre du groupe Liberté et territoires.
« Ce texte ne dit qu’une chose, il affirme haut et fort la position de la France, il est une condamnation sans ambiguïté de tous les mots, les actes, les gestes antisémites » a soutenu Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Ce dernier a souligné que les termes « sioniste » et « antisioniste » ne figurent pas dans le cœur du texte, se gardant d’entrer dans le débat qui a été au cœur des échanges à l’Assemblée et qui a pavé tout l’argumentaire de son instigateur, M. Maillard.
Les opposants à cette définition craignent qu’elle ne soit instrumentalisée pour délégitimer la critique du gouvernement israélien et de l’occupation en Cisjordanie. Dans une tribune au Monde, 127 intellectuels juifs appelaient lundi à repousser la résolution. « A terme une logique de ce type peut porter atteinte à un certain nombre de droits d’expression, elle va criminaliser des idées mais n’apporte pas d’outils supplémentaires pour lutter contre antisémitisme et contre les racismes » s’inquiétait le député communiste Pierre Dharréville dont le groupe, comme l’ensemble de ceux de gauche, s’est opposé au texte.
M. Maillard assure du contraire. « Nous pouvons, nous devons critiquer les politiques des gouvernements israéliens sous tous leurs aspects lorsque cela est nécessaire. Car critiquer Israël et sa politique, y compris la question de ses frontières, n’est pas un acte antisémite. Mais lui refuser le droit à exister en est un » a t-il insisté devant ses collègues députés.
« C’est un terrain sur lequel nous croyons qu’il est risqué de s’engager », a néanmoins expliqué dans l’hémicycle le député MoDem Bruno Millienne, qui a appelé à « ne pas faire de distinction mais (à) combattre en même temps toutes les formes d’incitations à la haine ».
« Attention au risque politique », prévient une députée LRM hostile au texte. Le fait de pointer une seule forme de racisme va créer des frustrations » « Il y a un problème de calendrier », ajoute-t-elle. « Ça fait plusieurs mois qu’on a des débats compliqués autour de l’islam. Il y a une population musulmane en souffrance qu’on ne traite pas comme il faut. Et on va écrire qu’il est inadmissible que certains hommes ne peuvent pas se promener avec une kippa. Est-ce qu’on serait prêt à écrire la même chose pour une femme qui porte le foulard ? »
Dans un souci « d’apaiser », les craintes de son groupe, Gilles Le Gendre demandé la création d’une mission d’information « sur l’émergence des nouvelles formes de discrimination et de racisme et les meilleures réponses à y apporter » a-t-il précisé. Les socialistes ont eux déposé une proposition de résolution visant à lutter contre toutes les formes de racisme, d’antisémitisme et de discrimination.