On a eu, il y a quelques jours, un autre exemple de l'immaturité avec laquelle le Québec aborde ses grands débats de société à l'occasion du sommet organisé par les premiers ministres provinciaux sur l'éducation postsecondaire.
Ce sommet a pris la forme d'un pèlerinage à Ottawa, il y a deux semaines, où les premiers ministres provinciaux et leurs partenaires du monde de l'éducation se sont facilement entendus pour réclamer des milliards et des milliards d'Ottawa.
L'enjeu est majeur, parce qu'une économie qui repose sur le savoir a besoin d'une main d'oeuvre qualifiée et doit encourager la recherche et l'innovation. À ce chapitre, nous sommes très en retard et il faudra un virage pour que les gouvernements, ceux des provinces, mais aussi le gouvernement central, investissent beaucoup plus en éducation supérieure.
Ce qui est immature, c'est de croire que le retard actuel s'explique essentiellement par le sous-financement fédéral et que la solution passera donc par l'injection de fonds fédéraux. Bref, nous n'avons pas à faire des choix ou de sacrifices puisque la cause de nos problèmes est ailleurs et que la solution de nos problèmes est aussi ailleurs. Il suffit de crier fort.
Bien sûr, le Québec n'était pas seul dans ce pèlerinage. Les autres provinces participaient à l'exercice. Mais le Québec se distingue de deux façons. D'une part, ce n'est qu'au Québec que la tendance à accuser Ottawa de tous les maux a été érigée en religion. D'autre part, c'est ici que le sous-financement universitaire atteint des proportions les plus alarmantes.
Les ressources des universités québécoises sont beaucoup plus faibles au Québec qu'ailleurs au Canada. Et ces retards ne sont pas la faute d'Ottawa. Ils ont des causes purement québécoises.
Il y a deux façons de calculer ce manque à gagner. D'abord, en comparant le niveau de subvention actuel des universités à celui d'il y a dix ans, en tenant compte de l'inflation. L'écart cumulatif s'élève alors à 2,0 milliards de dollars. Ou encore en comparant avec les autres provinces canadiennes. Le sous-financement annuel moyen des universités québécoises, de 1995 jusqu'à 2003, s'établit alors à 322 millions par année, pour un total cumulatif de 2,9 milliards.
La comparaison avec les autres provinces se justifie parce que le monde universitaire est depuis longtemps dans un univers globalisé, où les universités québécoises sont en compétition avec les autres au Canada et aux États-Unis, pour les professeurs, pour les chercheurs, pour les fonds de recherche, pour les étudiants de haut-niveau.
Ce retard important s'explique par les coupures en éducation lors de la lutte au déficit, par la faiblesse des fonds de dotation des universités québécoises et aussi par le gel des droits de scolarité. Les autres gouvernements provinciaux ont augmenté sensiblement les droits de scolarité pour compenser le financement public moins généreux. Au Québec, on a gelé les frais, sans pour autant augmenter la contribution gouvernementale. Si les frais de scolarité rejoignaient le niveau canadien, les universités québécoises disposeraient de 447 millions de dollars de plus.
Ne serait-ce que pour nous remettre à niveau avec le reste du Canada, il faudrait injecter, à chaque année, un tiers de milliard de plus dans le réseau universitaire. Mais pour cela, il faudra reconnaître l'importance de l'éducation supérieure.
L'Ontario s'est engagé dans une telle démarche de réflexion, que le gouvernement McGuinty a confié à l'ex-premier ministre néo-démocrate Bob Rae. Celui-ci suggère un investissement rapide de 1,3 milliard dans les universités ontariennes, et 2,2 milliards pour rattraper le niveau de financement des universités publiques américaines.
Le Québec n'est actuellement pas capable d'amorcer ce débat majeur. Sa classe politique est prisonnière du tabou du gel des droits de scolarité. Elle est aussi prisonnière d'un folklore où le talent et la détermination se mesurent à l'énergie avec laquelle nos politiciens affrontent le gouvernement fédéral.
Ce n'est certainement pas l'opposition qui pourra changer les choses. Le PQ, cette semaine, reprochait, sur un refrain connu, à Jean Charest son manque de fermeté lors du sommet sur l'éducation post-secondaire. Et son chef, André Boisclair, a peut-être fait de l'éducation sa grande priorité, mais il promet de s'en occuper après la souveraineté, lorsqu'il aura mis la main sur les milliards qui, à Ottawa, poussent aux arbres. Son pari sur l'éducation ne repose pas sur des choix, mais sur une fiction.
Avant de demander des fonds à Ottawa, il serait sage que le Québec fasse d'abord ses devoirs. Et pour cela, il faudra un débat au Québec pour faire une priorité de l'éducation post-secondaire. La maturité, ce sera d'oser faire des choix pour combler nos retards: dégeler les frais de scolarité et accepter de moins dépenser ailleurs pour consacrer plus de ressources collectives à l'éducation supérieure.
Adubuc@lapresse.ca
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