L'Office de la langue française ne se contente pas de laisser dormir sur les tablettes une étude faisant état d'un recul du poids démographique des francophones. La Presse a aussi appris que sa présidente a muselé son propre conseil d'administration, forçant ses membres à prêter serment. Le gouvernement Charest nie pour sa part toute ingérence politique auprès de l'organisme, tandis que l'opposition officielle rugit et exige qu'on reprenne le débat sur les seuils d'immigration.
Dans un geste pour le moins inusité, la présidente de l'Office de la langue française, France Boucher, a exigé, à la fin de 2007, que tous les membres de son conseil d'administration prêtent serment parce qu'on mettait en doute leur discrétion dans le délicat dossier linguistique. La directive a aussi été imposée aux experts embauchés pour faire le suivi de la situation linguistique,
«Je ne cacherai pas que j'ai demandé aux membres de l'Office de s'assermenter», a reconnu Mme Boucher, en entrevue à La Presse.
Interrogé à ce sujet, le président du comité, et aussi membre de l'Office, Simon Langlois, professeur à l'Université Laval, a raccroché précipitamment le téléphone. «Je dois couper la ligne», a-t-il dit.
Membre du comité de suivi, le mathématicien Charles Castonguay, qui analyse le dossier démolinguistique depuis des décennies, a répondu, sibyllin: «Il appartient à cette administration d'expliquer ses façons de faire.»
Dans une entrevue percutante à La Presse, publiée hier, le réputé démographe Marc Termote relevait le climat de «paranoïa» qui s'était installé au gouvernement comme à l'Office de la langue pour toutes les questions controversées. Le chercheur, qui en était à la quatrième révision de la même étude en plus de 15 ans, n'avait jamais vu ses conclusions cachées par les organismes publics par lesquels il a été mandaté.
«Attitude policière»
«Cette attitude policière est incompréhensible», a renchéri hier Fernand Daoust, l'ancien secrétaire de la FTQ qui, sous le PQ comme le PLQ, détient le record de longévité comme membre du Conseil de la langue française. «J'ai été membre de l'Office pendant 25 ans. Jamais on ne m'a demandé de prêter serment... C'est incroyable!» lance M. Daoust.
«Je n'ai pas prêté serment, pas même à la reine!» ironise son successeur à l'Office, le syndicaliste René Roy, de la FTQ. Il souligne toutefois qu'en décembre dernier, Mme Boucher a lourdement insisté sur la confidentialité.
Mme Boucher était profondément irritée hier que La Presse ait rappelé son passage dans les cabinets politiques du gouvernement libéral. Elle souligne que son prédécesseur sous le PQ, Nicole René, venait aussi du sérail politique - sous le gouvernement Lévesque -, «et cela ne l'a pas empêchée de gérer cet organisme pendant 10 ans». Mme Boucher insiste: elle ne prend pas ses directives du cabinet de la ministre Christine St-Pierre.
Des proches de la ministre confient toutefois que la direction de l'Office est en contact «régulier» avec Sylvia Garcia, la chef de cabinet de Mme St-Pierre. Mme Garcia, ex-candidate du PLQ, arrivait du cabinet de Jean Charest quand elle a été nommée au cabinet de l'ex-journaliste. On indique aussi dans les coulisses des cabinets libéraux que l'Office est à couteaux tirés avec le Secrétariat à la politique linguistique, l'organisme mis en place sous Claude Ryan pour coordonner toutes les actions gouvernementales dans ce secteur. Avant les Fêtes, le conseiller politique de Mme St-Pierre pour le dossier linguistique, l'ex-journaliste de Radio-Canada, Jacques Rivard, a claqué la porte.
Hier, Mme Boucher a expliqué qu'elle avait elle-même décidé de rendre publique l'étude de Marc Termote. «Et je me suis ravisée», a-t-elle ajouté. Pour elle, il n'était pas souhaitable de rendre publiques des études qui servaient à alimenter le bilan quinquennal qui doit, pour la première fois, être déposé par l'Office, en mars prochain.
Pour la présidente, l'étude de M. Termote n'est pas terminée «tant que l'Office n'a pas donné son accord final».
Cette situation fait bouillir Charles Castonguay, un des experts mandatés par l'Office pour vérifier la validité de ces études. Comme il n'a pas le droit de commenter une étude non diffusée, il se rabat sur le dernier rapport annuel de l'Office déposé à l'Assemblée nationale, en décembre dernier. «On fait un constat général. On dit: la situation linguistique évolue favorablement au Québec! Demandez donc à l'Office sur quoi ils ont basé cette affirmation. Quand on dit que la situation linguistique évolue favorablement... on parle probablement de la situation de l'anglais!» s'insurge l'universitaire.
«La réalité est faite de nuances. Surtout dans le domaine linguistique, la réalité est complexe», réplique Mme Boucher, qui ajoute: «Il y a des gens qui voudraient se voir membres de l'Office sur ce comité. Ils se verraient même PDG ou même ministre, mais ce n'est pas leur rôle!»
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