La jungle au coin de la rue

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Il faut se rappeler que le Mal existe


Je ne me souviens pas d’une mort d’enfant ayant autant secoué tout le Québec que celle de la fillette de Granby.


Mes enfants ont aujourd’hui 17 et 21 ans, mais je me demandais, en regardant la télévision, ce que je leur dirais s’ils étaient plus jeunes.


Pendant que j’y réfléchissais, je me revoyais quand ils étaient petits.


J’avais peur de leur faire mal en leur coupant les ongles.


Je trottinais les bras écartés à côté du vélo auquel je venais d’enlever les petites roues de soutien.


Je mettais moi-même leur casque, toujours trop serré selon eux.


J’exigeais qu’ils sortent de la piscine pendant le temps dont j’avais besoin pour aller aux toilettes.


J’enlevais le couteau de leurs mains pour tartiner moi-même la tranche de pain ou couper la pomme.


Faux


Mais fouillons au fond de nous-mêmes un instant...


On voit parfois des parents qui secouent un enfant au centre d’achat. Interviendra-t-on ?


Généralement, non. On dira de la mère ou du père : « maudite folle », « maudit malade », et c’est tout...


Si c’est un voisin, que l’incident se répète sous nos yeux ou qu’on entend des bruits suspects, on alertera les autorités.


Et on espérera que celles-ci feront leur boulot.


Voyez pourtant dans quel univers mental grandissent nos enfants, surtout ceux des milieux privilégiés.


C’est un univers de dessins animés où les lions et les tigres parlent, dansent et ne mangent personne.


Tout le monde est gentil, tout le monde est en peluche, et on sait qu’à la fin, le Bien triomphera du Mal.


Mais c’est un monde faux, tellement faux que, face à des images tirées de la vie réelle, on prévient le spectateur qu’il pourrait être choqué.


Je me demande si ce monde faux ne contribue pas à désarmer nos enfants.


En 2008, ma fille avait 7 ans, l’âge de la fillette de Granby, quand l’affaire Fritzl éclata. Souvenez-vous, c’était en Autriche.


À 11 ans, Elisabeth Fritzl avait été violée par son père, qui l’avait ensuite enfermée dans une cave pendant 24 ans, et lui avait fait 7 enfants.


Ma fille était abasourdie. J’avais cherché mes mots longtemps.


Maintenant que mes enfants sont grands, je continue à stresser en regardant les nouvelles.


À quatre jours du début de son procès, Anthony Pratte-Lops, 24 ans, vient de reconnaître avoir traqué, jour et nuit, sa copine du temps, Daphné Huard-Boudreault, 18 ans, avant de la tuer de 15 coups de couteau.


Pourtant, tout l’entourage voyait que cette relation était toxique. Les autorités avaient été alertées.


Quand ma fille sort, je peine à trouver le sommeil tant que je n’entends pas la clé dans la porte.


Prudence


Alors, je reviens à ma question de départ : quoi dire à nos enfants ?


Peut-être leur dire que, dans le monde réel, dans la vraie vie, le Mal existe, les monstres existent.


Et qu’ils prennent des formes humaines : parents, amis, amoureux, voisins.


Et qu’il faut donc, sans s’interdire de jouir de la vie, faire attention, faire très attention, tout le temps.