La liste des décisions prises par le gouvernement conservateur s'inscrivant dans une idéologie de droite sociale s'allonge. Maintenant, c'est le refus du Canada d'inclure l'avortement dans le programme de soutien à la santé des mères et des enfants dans les pays pauvres que le premier ministre Harper a proposé à ses partenaires du G8. Un refus que ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne n'approuvent.
Cette prise de position, comme bien d'autres, illustre l'existence au Canada d'un phénomène social et politique profond et lourd de sens. Et ce n'est pas que le gouvernement conservateur soit très à droite. Ça, on le savait déjà. Ce qui est plus significatif, c'est que l'appui à ses idées conservatrices est beaucoup plus large qu'on pouvait l'imaginer.
Quand le premier ministre Harper défend un point de vue qui satisfait sa base réformiste, il ne gagne pas nécessairement de points. Mais il n'en perd pas non plus. Le dernier sondage Ekos montre qu'il devance toujours les libéraux de trois points. Ses politiques de type républicain - l'inaction environnementale, l'opposition au registre des armes à feu, l'obsession pour la loi et l'ordre, la radicalisation de la politique sur le Moyen-Orient, le traitement d'Omar Khadr - ne suscitent pas d'indignation populaire, pas plus au Québec que dans le reste du Canada.
La victoire conservatrice a permis à un génie de sortir de la bouteille, un génie de droite, dont on ne soupçonnait pas l'existence. Ce qui fait en sorte que l'on assiste à un déplacement de ce que l'on pourrait appeler le consensus canadien.
Les équilibres politiques et sociaux canadiens sont définis, depuis plus d'un demi-siècle, par une conception du Canada, de ses valeurs, de son rôle international, qui reposaient sur un consensus profond. Un consensus qu'incarnait parfaitement le Parti libéral du Canada, le parti naturel du pouvoir au Canada. Mais ces valeurs étaient aussi celles du NPD, qui a contribué à les façonner, tout comme celles du courant conservateur tory, incarné par Brian Mulroney ou Joe Clark. Bref, à peu près tout le monde.
Assez pour qu'on puisse y voir une sorte de pensée unique. Ces valeurs consensuelles étaient institutionnalisées, maintenues par un imposant appareil - la fonction publique fédérale, l'intelligentsia universitaire et médiatique, la tradition juridique de la charte -, tant et si bien qu'il y avait plein de choses qu'on ne pouvait pas dire et penser sans risquer d'être perçu comme non-canadian. Cela a engendré une forme de déficit démocratique parce qu'une partie de la population, notamment dans l'Ouest, ne se reconnaissait pas dans ces valeurs imposées par le Canada central.
Ce déficit démocratique a nourri le sentiment d'aliénation de l'Ouest, qui a donné naissance au courant réformiste et qui a trouvé son aboutissement par la victoire conservatrice. Mais cette victoire a eu un impact plus large en permettant à tous ceux qui ne se reconnaissaient pas dans les valeurs dites canadiennes de relever la tête et de s'exprimer sans honte.
Cette vague est assez puissante pour transformer le débat politique. Le chef libéral Michael Ignatieff, par exemple, n'est pas capable d'imposer la vision libérale traditionnelle à l'ensemble de ses troupes dans certains dossiers chauds, comme l'avortement dans les programmes d'aide au tiers-monde, ou le maintien intégral du registre des armes à feu. Le premier ministre libéral Dalton McGuinty vient d'abandonner un programme d'éducation sexuelle dans les écoles sous les pressions des courants évangélistes.
Ce qu'on ne sait pas encore trop, c'est la durée et l'ampleur de ce mouvement de balancier. Est-ce un intermède avant un retour à la normale, ou est-ce un déplacement plus durable des valeurs dominantes canadiennes et donc aussi de l'échiquier politique?
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