En regardant les colons laisser s'envoler leurs ballons bleus et blancs à l'annonce de la levée du moratoire sur les constructions juives en Cisjordanie, dimanche, j'ai immédiatement songé à Efrat - une implantation israélienne située à une quarantaine de kilomètres au sud de Jérusalem, en plein territoire palestinien.
J'ai visité Efrat il y a huit ans, à l'occasion d'un reportage sur la deuxième Intifada qui faisait rage à l'époque. L'homme qui me servait de guide n'avait pas ménagé ses efforts pour me convaincre des charmes de sa ville, étalée sur sept collines aux noms de fruits. Par ici, le quartier des pommes grenades. Par là, celui des dattes. Ici, la nouvelle bibliothèque. Plus loin, la piscine.
Mon guide m'avait surtout fascinée par sa perception de la géographie locale. «On ne peut plus construire par là», m'avait-il dit en pointant son doigt vers le Nord, où Efrat commençait à s'approcher drôlement de la ville palestinienne de Bethléem. Par contre, croyait-il, il était possible d'agrandir Efrat vers l'est, là où des collines désertiques abritaient pourtant plusieurs villages palestiniens.
«Des Palestiniens? Mais non, regardez, il n'y a personne, c'est vide», m'avait-il répondu quand je lui en avais fait la remarque.
L'homme n'était pas particulièrement fanatique. Originaire de France, il avait trouvé une superbe ville de banlieue où élever sa famille. Et optait pour l'aveuglement volontaire en faisant fi de la réalité de ses voisins palestiniens.
À l'époque, la Cisjordanie comptait 220 000 colons juifs qui, comme lui, tablaient sur la politique du fait accompli. Et espéraient que, une fois leur ville bien ancrée, personne n'oserait la faire évacuer. Que les Palestiniens du voisinage finiraient par se volatiliser, comme par magie.
Huit ans plus tard, la population des implantations juives en Cisjordanie frôle les 300 000 habitants. Le nombre de citoyens juifs dans la partie arabe de Jérusalem approche les 200 000. Près d'un demi-million des 7 millions d'Israéliens vit donc hors du territoire internationalement reconnu de l'État hébreu.
Certains colons habitent dans de grandes villes de banlieue dont plus personne n'envisage sérieusement le démantèlement. D'autres, dans de petites communautés entremêlées à des villages palestiniens qui paient le prix fort pour ce voisinage imposé: routes fermées, restrictions de mouvement, communautés coupées en deux, etc.
Les colonies occupent aujourd'hui 9% du territoire de la Cisjordanie, mais, en raison des restrictions de toutes sortes, c'est 42% de la Cisjordanie qui tombe sous leur contrôle, selon l'organisme israélien B'tselem.
Depuis 10 mois, Israël a gelé partiellement le boom immobilier des implantations, ralentissant les constructions - sans toutefois les arrêter. En levant ce gel, dimanche, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a repris la fuite en avant qui a, depuis des années, marqué la politique israélienne. Même à l'époque où la paix semblait à portée de main. Et même sous des gouvernements bien plus à gauche que le gouvernement actuel.
Otage d'une coalition d'extrême droite, le premier ministre israélien avait-il vraiment le choix? Oui, croient plusieurs analystes, dont Alon Ben-Meir, spécialiste du Proche-Orient à l'Université de l'État de New York.
Selon lui, s'il avait reconduit le gel, Benyamin Nétanyahou aurait peut-être fait voler en éclats sa coalition. Mais il aurait alors pu en constituer une autre moins radicale, par exemple avec le parti Kadima, qui serait prêt à monter dans le train d'un gouvernement plus ouvert aux concessions.
Il est possible qu'un compromis soit trouvé dans les prochains jours pour freiner de nouveau les constructions juives en Cisjordanie et sauver ainsi, du moins pour l'instant, les nouveaux pourparlers de paix israélo-palestiniens.
Mais en levant le gel malgré les appels de la communauté internationale, Benyamin Nétanyahou a raté une belle occasion de montrer que quelque chose a vraiment changé sous le soleil du Proche-Orient.
Jusqu'à preuve du contraire, la fuite en avant se poursuit. Et ce ne sont pas les timides admonestations américaines, ou encore les «regrets» exprimés hier par Ottawa, qui y changeront quoi que ce soit.
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